Les attentats des 7, 8 et 9 janvier ont été suivis d’une floraison d’explications conspirationnistes qui séduisent une partie notable des élèves.
Avait-il l’intention de dénoncer les théories complotistes ou de faire leur apologie? Fin février, un professeur du lycée Fulbert à Chartres a été muté pour avoir montré à ses élèves de première une vidéo Internet soutenant des thèses complotistes, liées aux attentats du 11 septembre 2001.
Et ce, au lendemain même de la tuerie du 7 janvier dernier àCharlie Hebdo. Sans accompagner la vidéo d’explications. «Il a reconnu les faits», explique le directeur académique d’Eure-et-Loir, qui pointe «au minimum, un grave défaut pédagogique».
Le professeur de sciences économiques, un contractuel dont la mission arrivera à terme en avril, a été soutenu par un mouvement de grève de ses collègues. «En le déplaçant, nous lui laissons le bénéfice du doute.
Dans le contexte actuel, ce type de fait est très préjudiciable», poursuit le directeur académique, estimant que les enseignants doivent être «outillés».
Au lendemain des attentats contre le journal satirique et l’Hyper Cacher, la «théorie du complot» s’est infiltrée dans les établissements scolaires, surfant sur des réseaux sociaux eux-mêmes abreuvés d’infos en continu. À en croire certains comptes Twitter et Facebook, la mort du policier froidement abattu par l’un des frères Kouachi serait ainsi une «mise en scène», les terroristes d’ailleurs seraient liés aux services secrets français. Pour les complotistes de tout bord, ces attentats ont été préparés et menés par une entité autre que celle désignée par la classe politique et les médias. Chacun ayant son bouc émissaire et une cause à défendre.
«Il s’agit de moments de crise qui, vécus dans l’impuissance, ébranlent les fondements de la vie sociale, où le Bien se confond avec le Mal, le vrai avec le faux»
Pierre-André Taguieff
Ces discours rappellent les thèses conspirationnistes véhiculées à propos des attentats du 11 septembre 2001 et de bien d’autres événements encore, de la Révolution française à l’épidémie de sida, en passant par les catastrophes naturelles. «Il s’agit de moments de crise qui, vécus dans l’impuissance, ébranlent les fondements de la vie sociale, où le Bien se confond avec le Mal, le vrai avec le faux», explique le politologue Pierre-André Taguieff, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, dont l’un sur les protocoles des Sages de Sion, ce faux rédigé en 1901, qui se présente comme un plan de conquête du monde par les Juifs et les francs-maçons.
Au terme de «théorie du complot», il préfère celui de «récits» complotistes. Lesquels reposent pour lui sur cinq grands principes, ainsi formulés par le complotiste: «Rien n’arrive par accident», «tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou de volontés cachées», «rien n’est tel qu’il paraît être», «tout est lié ou connecté, mais de façon occulte», «tout ce qui est officiellement tenu pour vrai doit faire l’objet d’un impitoyable examen critique». Pour le chercheur, le danger majeur du conspirationnisme actuel vient d’un scepticisme exacerbé, de cette «hypercritique», à laquelle la jeunesse est sensible, séduite par un discours de défiance de principe vis-à-vis de la culture «officielle», celle des parents, des médias, de l’institution scolaire, des autorités politiques. Pour autant, le complotiste doute de tout, sauf de ses propres certitudes…
Distinguer un fait et une opinion
«Les hommes s’accrochent à des arbres complotistes, comme à des superstitions ou des religions», conclut Pierre-André Taguieff. Si le complotisme date de la nuit des temps et alimente inlassablement la littérature, le cinéma, les séries et les jeux vidéo, les historiens s’accordent à considérer que la première «théorie du complot» s’est répandue avec les Lumières et la Révolution. «Avec la Révolution, commence l’ère de l’incertain et de l’indécis. L’histoire n’obéit plus aux plans divins, la société se trouve livrée à elle-même, sans vérité transcendante (…) C’est le début de la dénonciation du complot maçonnique», explique l’historien des religions Emmanuel Kreis.
À la suite des attentats et de ces folles rumeurs, le président Hollande a lui-même parlé, le 27 janvier dernier, au Mémorial de la Shoah à Paris, de la prolifération de «thèses complotistes». Il a évoqué la création d’un «cadre juridique», la «responsabilité des plateformes Internet» et d’éventuelles «sanctions».
Quel est le rôle de l’école sur ce terrain? Sa mission n’est-elle pas, entre autres, d’aider les élèves à faire la distinction entre un fait et une opinion? Après les attentats, la rue de Grenelle a décrété un vaste plan, qui démontre une fois de plus le talent de Najat Vallaud-Belkacem à surfer sur l’existant. Ainsi, l’éducation aux médias et à l’information, instaurée en 1983 dans la scolarité, sera intégrée dans le «parcours citoyen». La ministre promet aussi un média (radio, journal, blog ou plate-forme collaborative en ligne) «développé dans chaque collège et dans chaque lycée». Des annonces qui ne soulèvent pas forcément l’enthousiasme des enseignants, qui estiment que cette éducation au média se résume à l’annuelle semaine des médias à l’école. Cette 26e édition, qui se déroulera du 23 au 28 mars, sera placée sous le signe de la liberté d’expression, largement interrogée après les attentats contre les caricaturistes de Charlie Hebdo. Et après?
source : lefigaro.fr
Par Caroline Beyer
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