Impossible d’y échapper ! Sur les couvertures des manuels d’éducation et des magazines pour enfants, en tête de gondole au rayon « jeux d’éveil », dans les conversations des parents légitimement soucieux de l’éducation de leurs enfants… « Montessori » est partout.

Cette pédagogie inspire de nombreuses écoles privées, mais aussi des agences de soutien scolaire ou de baby-sitting. Des marques osent même les « vêtements pour bébés d’inspiration Montessori » ou le « coussin musical personnalisé d’inspiration Montessori ».

Ce nom qui sonne comme une formule magique évoque une promesse éducative mariant douceur et ambition. Il renvoie à l’approche pédagogique développée au début du XXe siècle par l’Italienne Maria Montessori, qui rêvait de « changer la société par l’éducation ». Sa méthode, conçue auprès d’enfants handicapés et défavorisés, s’appuie sur l’appétit de découvertes des petits, et encourage leur autonomie.

Une offre qui explose

Des faubourgs crasseux de Rome aux rayonnages des magasins de jouets, des gamins laissés-pour-compte aux élèves scolarisés dans des établissements à 10 000 € l’année, la parenté semble lointaine. Elle peut. Le nom de Maria Montessori n’étant pas protégé, n’importe qui peut ouvrir une école ou un centre de formation qui s’en réclame, ou afficher « Montessori » sur ses produits.

La quasi-totalité des 243 établissements privés pratiquant cette pédagogie sont hors contrat

La pédagogue italienne a quand même fondé en 1929 l’Association Montessori internationale (AMI), garante de la formation des éducateurs, et l’Association Montessori de France (AMF) y est affiliée. Mais « la marge de manœuvre est très faible » quand une école qui se prétend Montessori pose problème, signale Anouche Hovnanian. « On n’a pas d’autorité sur le sujet. »La quasi-totalité des 243 établissements privés repérés par le ministère de l’éducation nationale comme pratiquant cette pédagogie sont hors contrat. Sans financement de l’État, ils n’ont pas à suivre les programmes de l’éducation nationale, mais seulement à garantir aux élèves la maîtrise du « socle commun de connaissances, de compétences et de culture ».

Pas de label qualité mais des critères précis

S’il n’existe pas vraiment, pour le moment, de label garantissant le sérieux d’une école, Anouche Hovnanian liste des critères nécessaires : à l’âge de la maternelle, le groupe doit compter une trentaine d’enfants de 3 à 6 ans, et travailler en ateliers autonomes par périodes de trois heures avec du matériel Montessori, encadré par un éducateur diplômé par l’AMI.

Loin de l’image libertaire qu’elle véhicule parfois, cette pédagogie s’appuie sur un cadre très précis au sein duquel l’enfant est encouragé à l’autonomie. Le matériel, par exemple, est spécifique, testé et étalonné par Maria Montessori, et rangé dans la classe à des endroits bien définis.

Emboîtements cylindriques, lettres rugueuses, boulier… Comme seuls trois fabricants dans le monde proposent un matériel agréé par l’AMI, les autres marques qui s’affichent « Montessori » ne sont que des inspirations ou interprétations de la méthode : jeux, presse, édition… Ainsi, Bayard Presse (qui publie La Croix L’Hebdo) a lancé en 2018 Ma maison Montessori, magazine trimestriel pour les 3-6 ans. Un effet de mode ? « Bayard Jeunesse s’inspire de Montessori depuis toujours, mais sans l’afficher, appuie Claire Etchegoyhen, directrice de la cellule développement. Ce magazine, conçu avec une éducatrice diplômée par l’AMI, met la pensée Montessori à la portée du plus grand nombre, à un prix accessible. C’est une manière, parmi d’autres, d’aborder cette pédagogie. »

Des écoles souvent hors de prix

Pour Andréa, dont les deux enfants sont scolarisés dans une école Montessori, ces propositions éducatives inspirées par la méthode en permettent la démocratisation. « Ça ne peut pas faire de mal, estime-t-elle. Et tout le monde n’a pas les moyens de payer une telle école ! »

Pour cette quadragénaire qui travaille dans le marketing, la scolarité de ses deux enfants, à 1 600 € mensuels en tout, représente « un gros effort » financier. Mais qui vaut la peine au regard de « l’épanouissement » et des « progrès » qu’elle observe. « Mon fils de 5 ans lit les chiffres jusqu’à un million, et connaît tous les pays d’Afrique. Et ma fille, à 7 ans, sait faire des divisions, des fractions… »

Ce choix éducatif a un coût, entre 4 000 € et 10 000 € annuels
par enfant

Si elle n’a « pas vraiment de point de comparaison » avec d’autres écoles, Andréa sent aussi ses enfants épanouis. « Après huit ans à l’étranger, on voulait qu’ils gardent leur niveau d’anglais, et surtout la bienveillance expérimentée à l’école en Australie. À notre retour en France, une école Montessori bilingue nous semblait le meilleur choix. » Même si certains établissements tentent d’être plus accessibles avec des tarifs échelonnés en fonction des revenus des parents, ce choix éducatif a un coût, entre 4 000 € et 10 000 € annuels par enfant.

Entrepreneur parisien, Jérémie a opté pour une école appliquant cette pédagogie après un court passage de son aînée dans une maternelle publique où « il y avait beaucoup d’enfants, de cris… » Il est conquis par « l’ambiance Montessori » pour les 3-6 ans, où évolue son fils. Mais vient de retirer sa fille de la classe 6-9 ans. « Il faut garder un œil sur ce qu’apprennent les enfants, conseille-t-il. À 8 ans, ma grande ne sait pas faire de soustractions, tâtonne sur les additions… Les éducateurs me disent que c’est son rythme, que ça va venir… mais je ne veux plus payer 1 000 € par mois en attendant que ça vienne ! »

Différences d’approche

Il signale les différences d’approche d’un éducateur à l’autre : « Celui de mon fils lui laissait apporter en classe ses cartes Pokémon. Ce n’est peut-être pas très puriste, mais il a suivi l’envie de mon enfant, qui a appris à lire comme ça ! L’éducatrice de mon aînée, elle, est une pure montessorienne. Mais en deux ans, ma fille n’a rien appris… » Jérémie se prépare à faire potasser son aînée pour accompagner son retour sur les bancs du public. « L’école dépend beaucoup des gens qui la font. À Montessori comme dans le public, d’ailleurs. Mais quand on paye, on veut être sûr ! »

Difficile de se faire une idée a priori. Cadre supérieur dans l’aéronautique, Serge avait été « heureux dans le public ». Pas son épouse, qui a souffert que les enseignants ignorent sa dyslexie. « Elle ne voulait pas faire vivre ça à nos enfants. » Le couple opte pour une maternelle Montessori : « On a adoré ! » Pour l’élémentaire, autre structure, autre expérience : « Les progrès des enfants n’étaient pas du tout les mêmes. C’était un établissement en perdition. » Nouveau changement, cette fois vers une école privée catholique « d’inspiration Montessori » : « On est ravis, et les enfants sont heureux. »

Après ce panel d’expériences, le père relève « des différences majeures entre établissements. Car ce sont des structures petites, instables, où la qualité de l’expérience est très liée à l’enseignant. » Il n’en demeure pas moins convaincu par l’approche de la pédagogue italienne, « adaptée aux besoins de l’enfant. On se réalise mieux par la valorisation que par la sanction ou l’échec. »

C’est valable aussi à la maison, où Serge et son épouse essaient « d’entretenir le désir et le plaisir d’apprendre » de leurs enfants. « Ils sont toujours actifs, et en demande d’activités », se réjouit le quinquagénaire.

Les parents ne choisissent pas Montessori par hasard. « Tous sont très investis dans l’éducation de leurs enfants, constate Serge. Du coup, c’est compliqué de distinguer l’influence des parents de celle de l’école. » Quelques études ont été menées sur les effets de cette pédagogie sur les apprentissages, mais elles sont rares et discutées, et il reste difficile d’isoler la méthode de la motivation de l’enseignant ou de l’influence de l’environnement familial.

En France, Montessori concerne surtout des catégories sociales aisées et éduquées

Car, en France, Montessori concerne surtout des catégories sociales aisées et éduquées. Pour se tourner vers cette pédagogie, il faut la connaître, et pouvoir se le permettre. « Notre souhait serait qu’elle profite à tous les enfants, plaide Anouche Hovnanian, présidente de l’AMF. Si les écoles coûtent cher, c’est parce qu’elles ne sont pas subventionnées par l’État. »

Inspecteur de l’éducation nationale et secrétaire général du SNPI-FSU (syndicat des inspecteurs), Paul Devin juge que la sélection est précisément ce que souhaitent certaines familles : « Montessori, c’est un entre-soi social qui ne dit pas son nom. C’est plus facile de justifier son choix par l’approche pédagogique que d’assumer de dire qu’on évite la mixité sociale ! » Que l’élitisme soit la cause du choix de l’école ou une simple conséquence, il est en tout cas présent dans beaucoup d’établissements Montessori, comme d’ailleurs dans d’autres écoles privées.

Une pédagogie qui infuse…

L’attrait pour cette pédagogie est, quoi qu’il en soit, porteur de messages que l’éducation nationale ne peut se permettre d’ignorer. L’approche de Maria Montessori rencontre les aspirations actuelles d’épanouissement individuel, de respect des différences et de bienveillance.

Infirmière en formation pour devenir éducatrice Montessori, Marie est séduite par cette « vision de l’éducation » : « Les apprentissages se font dans la joie, selon les désirs et les besoins de chaque enfant. On leur fait confiance, on leur montre qu’ils sont capables. » Pour cette mère de trois filles, cette pédagogie interroge nos relations aux enfants, et même nos relations tout court : « Il y a dans notre société trop de fonctionnements fondés sur des rapports de domination, déplore-t-elle. Avec Montessori, l’adulte n’est pas un maître, mais un guide, qui a foi en l’enfant. C’est une approche pleine de confiance en la nature humaine. »

Parmi les parents qui choisissent une école Montessori, nombreux sont aussi ceux qui ont souffert de leur propre scolarité, ou des premières années de leurs enfants dans l’enseignement classique. « L’instituteur de mon mari le tapait, le mien jetait les cahiers par terre », se souvient Andréa. Jérémie s’est « beaucoup ennuyé à l’école ».

Quant à Marie, elle a vu dans les classes de ses filles « des humiliations, des violences, des enseignants incapables de gérer une dyslexie… Leur formation ne garantit pas grand-chose. Et, concrètement, quand tes enfants ne sont pas bien à l’école, tu cherches une solution. » 79 % des parents pensent qu’il est prioritaire d’orienter davantage les pédagogies vers la confiance en soi des élèves (1).

Élan d’innovation pédagogique

Des enseignants aussi aspirent à autre chose. L’expérience menée par Céline Alvarez dans une école maternelle publique de Gennevilliers, de 2011 à 2014, relatée dans le livre Les Lois naturelles de l’enfant (2), a suscité des agacements mais aussi un élan d’innovations pédagogiques.

Tandis que Céline Alvarez s’est inspirée de la pédagogie Montessori pour développer sa propre méthode, l’association Public Montessori a été créée en 2015 pour appliquer la pédagogie Montessori au sein de l’école publique. Pour permettre aux enseignants intéressés de pratiquer dans leur classe, l’association propose du prêt de matériel, des bourses de formation…

« Notre but n’est pas que toutes les écoles publiques fassent du Montessori, mais qu’il y en ait davantage. Il y en a si peu ! » regrette Yanek Husianycia, président de l’association. Cet enseignant est également formateur en Espé (École supérieure du professorat et de l’éducation), et regrette qu’on y aborde si peu les pédagogies alternatives. « Par leurs lectures, certains parents en savent plus sur Montessori que les enseignants ! »

« Notre but n’est pas que toutes les écoles publiques fassent du Montessori, mais qu’il y en ait davantage. Il y en a si peu ! »

Et pourtant, elle infuse, la pédagogie Montessori. S’il y a des écoles qui s’en revendiquent sans vraiment l’appliquer, d’autres l’appliquent sans le revendiquer… « L’écart entre une maternelle Montessori et une maternelle classique n’est en fait pas énorme, observe l’inspecteur Paul Devin. Mais il est mis en scène par le matériel, les rituels, les discours… L’école publique aurait intérêt à mieux expliquer ce qu’elle fait, et à mieux se valoriser. »

Le choix des approches pédagogiques

« Cela ne me gênerait pas qu’un enseignant mette en œuvre cette pédagogie dans sa classe, confie un directeur d’école publique. À condition qu’il respecte les programmes. » C’est en effet l’exigence des établissements publics ou privés sous contrat avec l’État.

L’enseignant a, dans ce cadre, le choix des approches pédagogiques. « Se limiter à une approche, quelle qu’elle soit, est une erreur, estime Paul Devin. Ce n’est pas bon d’être dans la docilité avec les principes d’une méthode. La compétence enseignante est synthétique, il faut une vue d’ensemble. Je pense qu’il ne faut rien modéliser, ni rien écarter. Mieux vaut observer les enfants et proposer, parmi une gamme de méthodes. »

La « vraie » pédagogie Montessori est-elle soluble dans les programmes scolaires ? Pas sûr, puisqu’un des principes est d’adapter le rythme des apprentissages à chaque enfant. Peut-on imaginer une approche Montessori qui accomplisse le double défi d’une éducation pour tous et de l’épanouissement de chacun ? C’est en test dans certaines classes. Souhaite-t-on des professeurs qui s’abreuvent à une seule source, ou s’inspirent de différents courants ? C’est une question cruciale, qui réclame des formations solides pour les enseignants. Veut-on la même éducation pour tous, et combien est-on prêt à y investir, individuellement et collectivement ? C’est un choix de société.

source : /www.la-croix.com/Famille/Education/pedagogie-Montessori-promesse-business-2019-11-12-1201059923