L’une des splendeurs de notre monde vient de l’existence de liens entre les choses les plus éloignées. Par exemple il y a un lien entre Hitler, Tom Cruise, un attentat, les extraterrestres, l’antipsychiatrie et la drogue. Il existe un lien entre une volonté trop féroce de parfaire le monde et la destruction du monde.
Un film (oui, encore un autre) sur la Deuxième Guerre mondiale, doit être filmé à Berlin cet été. C’est Tom Cruise qui a été désigné pour y jouer le rôle du comte Claus Schenk von Stauffenberg, un officier de l’armée nazie qui a tenté de tuer Adolf Hitler en 1944 à l’aide d’une valise bourrée d’explosifs et placée sous une table en bois massif. La valise ayant été malencontreusement déplacée, le dictateur «national-socialiste» en est sorti indemne. Un lointain copain, un rien trop zélé, un rien trop «dedans», me confie tristement, un soir de pluie:

– Tu sais, Adolf a bien failli y passer cette fois-là…

– Quoi? Tu appelles Hitler par son petit nom?

– Pis? C’est pas parce qu’il est à l’origine de plusieurs millions de morts qu’il ne s’appelle plus Adolf. D’ailleurs tu remarqueras que depuis le passage d’Adolf sur Terre, Adolf est complètement disparu de la surface des choix de prénoms. C’est dommage, c’est tout doux, quand on le prononce, c’est comme une caresse. Adolf…

– Ah, ah. Une caresse, en effet. Pas de doute. Écoute, je viens de me souvenir que j’ai oublié un important rendez-vous. On se rappelle et on déjeune?

Bref, l’adhésion de Tom Cruise à l’Église de Scientologie pose problème pour les Allemands. C’est douteux. Ça jette le discrédit. Le propre fils du comte, qui est toujours vivant, n’est pas «chaud-chaud» à l’idée de voir Tom Cruise représenter le symbole de la dissidence à l’intérieur même du Parti, à une époque où tout le monde était aveuglé par la folie «d’épuration» d’un chef.

«Il m’est désagréable qu’un scientologue notoire joue le rôle de mon père.»

Car, évidemment, il ne s’agit pas de n’importe quel père… Pour les Allemands, ce Von Stauffenberg, c’est un peu ce qui les réconcilie avec le consentement social qui a permis l’horreur que l’on sait.

C’est vrai que l’adhésion de Tom Cruise à la Scientologie entache le rôle par sa clownerie, mais c’est surtout, je crois, que le prosélytisme de la secte ressemble trop à celui du nazisme. Mais encore faut-il savoir de quoi il retourne. C’est quoi, la Scientologie? De prime abord on imagine un système plus ou moins bancal de lieux communs, genre «croyance en soi», «cheminement intérieur», «autodépassement», «au plus fort la poche», «au commencement fut le Big Bang». Détrompez-vous. C’est bien pire, et aussi beaucoup plus drôle, que l’on pense.

Son fondateur, L. Ron Hubbard, a élaboré, sous l’influence de je ne sais quelle drogue, une mythologie très proche de celle de Raël, qui explique – entre autres – pourquoi les hommes font le mal alors que, fondamentalement, ils sont bons. Eh bien, nous dit-il, c’est parce qu’ils ont une pensée «parasitée», «réactive». Dans cette «réactivité», qui bloque la raison, la justesse des raisonnements est déviée par l’intrusion de données fausses et cachées.

Ce n’est pas tout, parce qu’il y a une origine au «mental réactif», à la déviation de la pensée rationnelle vers la sottise, qui est celle-ci:

«L’être extraterrestre et maître de la Confédération galactique, Xenu, a déporté sur Terre des milliards d’extraterrestres congelés venus de toute la confédération (composée de 76 planètes) à bord de vaisseaux ressemblant à des avions DC8 américains, il y a 75 millions d’années. Il les a ensuite placés dans des volcans avant de les faire exploser avec des bombes atomiques. Leurs âmes se sont alors agrégées en se réfugiant dans les corps des êtres vivants sur Terre.»

Il fallait y penser. Tout s’explique: «Ces âmes sont les “thétans de corps” et subsistent jusqu’à aujourd’hui dans les corps des vivants. Cet épisode se nomme Incident II, et les souvenirs traumatiques associés, Mur de feu ou implant R6.»

C’est-y pas beau, ça? Je trouve cette histoire extraordinaire, et encore plus extraordinaire le fait d’y croire.Ironiquement, la Scientologie se donne comme but de fonder une civilisation sans folie. Non moins ironiquement, elle s’oppose à la psychiatrie ainsi qu’à toute forme de traitement chimique de la maladie mentale, parce que les psychotropes «altèrent» le jugement. Si vous en doutez, posez donc la question au Xenu, pour voir…

NELLY ARCAN Canoé 12/07/2007