Trois ans de « calvaire » pour « devenir hétéro » : Benoît Berthe, 30 ans, nous raconte son histoire et son expérience des thérapies de conversion. Ce mercredi, il était auditionné à l’Assemblée Nationale dans le cadre de la mission d’information relative aux pratiques prétendant modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. Pour le jeune homme, qui s’en est sorti, il est grand temps de faire cesser ces pratiques.

« Je viens d’une famille catholique pratiquante mais pas intégriste. J’ai vécu une enfance plutôt heureuse au sein d’un foyer aimant. J’ai reçu une bonne éducation, j’avais beaucoup d’activités extrascolaires, mes parents étaient bienveillants. À 10 ans, j’ai découvert que j’étais attiré par les garçons, ce qui n’était pas bien reçu dans ma famille catholique pratiquante, proche du dogme, des textes et du catéchisme de l’Eglise. On y lit que l’homosexualité est intrinsèquement désordonnée, ce qui est très violent et très fort. Je savais que c’était quelque chose qui n’était pas bien perçu par mon entourage. Je me suis promis à l’âge de 10 ans de leur cacher ça.

Quelques années plus tard, mes parents participaient à des sessions oecuméniques à la communauté des Béatitudes, entachée depuis de dérives et de scandales. Chaque été, ils tenaient une grande conférence avec des prêches de prêtres un peu bizarres qui prétendaient faire des miracles. Cela me mettait très mal à l’aise. J’étais en retrait, je lisais un livre : Harry Potter, dont j’étais très fan. J’entends le prêtre au loin dire que la saga était la nouvelle Bible satanique des jeunes et qu’il ne fallait absolument pas que les enfants la lisent. J’étais vraiment vexé et choqué de ce qu’il racontait, je me suis insurgé devant mes parents.

Ils se sont un peu agacés : « Regarde dans quel état ça te met. Et puis, on voit bien que ça fait deux-trois ans que t’es renfermé sur toi-même, il y a quelque chose qui ne va pas ». Trouvant la situation injuste, j’ai décidé de dire la vérité et briser mon secret, d’expliquer que j’étais peut-être moins communicatif depuis que j’avais découvert être attiré par les garçons. J’ai fait un coming out forcé en quelque sorte. Ma mère est tombée de haut et m’a posé deux questions révélatrices de sa vision de l’homosexualité à ce moment-là : « Est-ce qu’un prêtre t’a touché ? » — j’étais enfant de coeur dans ma paroisse ; et « Est-ce que tu as déjà eu une expérience avec un garçon ? ». Pour elle, ça ne pouvait venir que de l’extérieur, ça s’attrapait, comme une maladie. Finalement, elle a conclu en disant qu’on s’en occuperait plus tard mais qu’en attendant, on me supprimait Harry Potter.

« Quand tu te masturbes, tu penses à quoi ? »

De 15 à 18 ans, ils m’ont envoyé dans des thérapies de conversion pour « résoudre ce problème ». J’ai vécu le calvaire de ces sessions, notamment celle de « guérison des blessures profondes ». Je faisais face à un accueil plutôt bienveillant, ces gens-là sont convaincus de leur connerie, convaincus d’aider des personnes à ne pas tomber dans la dépravation. On trouvait un mélange dangereux de manipulation mentale. Ils mêlent spiritualité et psychologie, sans aucun diplôme, sans maîtrise des sujets. Ils expliquent pourquoi c’est tordu et cela doit être redressé. Ils m’ont posé des questions extrêmement humiliantes qui touchaient à mon intimité comme « Quand tu te masturbes, tu penses à quoi ? ». Les sessions n’étaient pas constantes, j’y allais deux semaines par-ci par-là, un mois en camp d’été… Ce n’était pas des thérapies non-stop sur plusieurs mois.

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J’étais parfois face à des gens d’une immaturité sexuelle eux-même certainement attirés par les garçons, et refoulés. De ce que je m’en souviens, l’ambiance était austère, je ne pouvais pas parler avec les autres. Mon cerveau a archivée et enfoui ces vieux souvenirs pour m’en protéger. Ça n’a pas été facile d’en parler dans le cadre du livre et du documentaire. Mon mal-être était grandissant, je ne me reconnaissais pas du tout dans ce qu’ils racontaient.

À 15 ans, on fait confiance à ses parents. On m’a dit que c’était passager, que la sexualité est quelque chose de malléable. J’entendais bien que la société évoluait autour de nous et qu’elle était de plus en plus favorable à l’homosexualité. Quand on m’a dit que je pouvais changer, je sentais en moi que c’était enraciné, que ça faisait partie de moi. J’étais pétri de doutes. Je n’ai pas vécu de violences physiques là-bas, plus des violences psychologiques. Je pense que la violence est de se voir amené par ses parents dans ce type de thérapies pour redresser ce qui n’est pas « redressable ».

« À cause des stéréotypes qu’on m’avait inculqués, j’avais une crainte inconsciente de la communauté homosexuelle »

J’ai conscience d’avoir beaucoup de chance, j’ai pu en sortir. Certains ont vécu des exorcismes et on fait des tentatives de suicides à la suite des thérapies. À 18 ans, je suis parti de la maison pour faire des études en art. Je visais une école de cinéma d’animation. À cause des stéréotypes qu’on m’avait inculqués, j’avais une crainte inconsciente de la communauté homosexuelle. J’avais peur de rencontrer des personnes homosexuelles assumées. J’avais une forme d’homophobie refoulée.

C’est grâce a un site web pour homos, une communauté en ligne respectueuse, que j’ai demandé à une cinquantaine d’internautes de me raconter leur vie et je me suis fais ma propre éducation comme ça. J’ai compris qu’il n’y avait pas qu’une seule façon de vivre son homosexualité mais autant d’homosexualités différentes qu’il y a de personnes. Sur ce site, j’ai rencontré mon premier amour, qui a duré six ans. Il n’y a eu aucune violence, aucune brutalité comme pouvaient le raconter les thérapeutes. Avec cette histoire amoureuse, j’ai pris conscience qu’on m’avait menti depuis vingt ans. J’ai pu commencer à embrasser cette vie sans crainte ni refoulement. C’était une super victoire.

« J’ai vu cette hypocrisie et j’ai claqué la porte de l’Église. »

À ce moment-là, j’allais toujours à l’Eglise. Pendant la période des Manifs pour Tous, j’en ai eu ras-le-bol d’entendre les prêches des curés qui nous incitaient à manifester, à croire que leurs paroissiens étaient tous de droite, hétérosexuels et homophobes. J’ai vu cette hypocrisie et j’ai claqué la porte de l’Église. Mes amis étudiants en art étaient en clash constant avec les membres de ma famille sur les réseaux sociaux.

En arrivant à Londres pour mes études, épuisé par cette confrontation permanente, j’ai décidé de déposer les armes. Je n’ai pas mérité de devoir me battre tout le temps. J’ai commencé à appeler mes parents comme s’ils étaient gay friendly, pour leur partager ma vie et mon bonheur, ce que je m’interdisais de faire jusqu’à présent. Cela a complètement apaisé nos relations. Peu après les attentats du Bataclan, mes parents m’ont appelé pour m’expliquer que dans leur entourage catholique pratiquant, il y avait des paroles extrêmes et racistes. Les musulmans étaient dénigrés, jugés responsables des attentats. Ils ont compris que ce que je disais depuis des années sur l’ambiance raciste et homophobe de notre famille était vrai. À partir de ce jour-là, ils m’ont présenté leurs excuses, ils ont cherché à comprendre et ont rencontré d’autres personnes homosexuelles. Ils se sont rendus compte de l’énormité de leur idéologie, qu’ils ont eux-mêmes reçu de leur entourage.

Ma mère témoigne dans le documentaire et elle m’a dit « Je fais ça pour te demander pardon ». Je lui ai pardonné depuis longtemps. Elle pensait bien faire, par amour. Je lui ai répondu que son témoignage pourrait contribuer à faire cesser ces thérapies et aider ceux qui y sont encore. »

« HOMOTHÉRAPIES, CONVERSION FORCÉE »

de Bernard Nicolas, écrit avec Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre (auteurs de l’enquête Dieu est amour, aux éditions Flammarion)

Diffusion : le 26 novembre 2019 à 20:50 sur Arte

Le documentaire s’appuie sur le travail des deux journalistes qui ont enquêté sur les thérapies de conversion en France. On retrouve les témoignages de Benoît et sa famille dans l’ouvrage et dans le documentaire.

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