L’Express du 18/04/2005 par Jacques Sédat

 Les adeptes des nouvelles sectes ne veulent pas rentrer dans le monde civilisé, mais au contraire l’anéantir

 La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui remplace la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (Mils), vient de publier en mars son premier rapport. Ce changement de sigle, qui date de 2003, témoigne de l’approche de phénomènes nouveaux par rapport aux sectes instituées.

 Entrer dans une démarche sectaire relève d’une demande. Demande de soin face à la fatigue d’être soi. Fatigue marquée par des interrogations sur son identité dans un monde désenchanté, où les repères familiaux, sociaux ne sont pas réellement lisibles. Il y a la tentation de se réfugier sous la coupe d’un maître ou d’un gourou, d’une doctrine ou d’une communauté qui puisse nous mettre à l’abri de notre propre subjectivité. Car la secte offre une intelligibilité totale des choses et du monde qui permet de soigner les incertitudes de l’existence. Même si le prix à payer est de se priver de sa liberté de penser. Entrer dans une secte, c’est donc la possibilité de mettre fin à nos questions, au besoin à travers une identification totale au maître incarné. On l’a vu en 1978 en Guyana où toute une communauté a suivi Jim Jones dans le suicide et, plus récemment, avec l’autodestruction de l’Ordre du temple solaire.

 Aujourd’hui apparaissent, notamment en France, des formes nouvelles de dérives sectaires totalement solitaires et individualisées. Souvent par Internet, dont les premières cibles sont des adolescents à l’identité fragile. Là, on ne demande rien. On devient soi-même une réponse en s’identifiant à la pure négativité et au fantasme de détruire la civilisation.

 Cela s’accomplit à travers la mode gothique, le satanisme mêlé d’un zeste de nazisme éventuellement, et une façon de retrouver de vieux mythes païens et nordiques de l’homme des bois qui échappe à la civilisation. Celui que Pierre Vidal-Naquet appelle le «chasseur noir» des civilisations méditerranéennes antiques, ce guerrier jamais civilisé, éphèbe et éternel adolescent, qui ne deviendra jamais adulte ni sexué. Dans le Ku Klux Klan, on était encore socialisé contre l’autre, le différent, le «nègre», qu’il fallait exterminer. Avec ces nouveaux rites individuels – véritables religions privées – il s’agit d’une expédition solitaire, une mission de pureté pour accroître le mal dans le monde.

 Peter Pan ne voulait pas grandir, pour rester dans le monde bienheureux de l’enfance. Le jeune sataniste, version modernisée d’Orange mécanique, ne veut pas entrer dans le monde civilisé. Désinhibé sous son identité d’emprunt, il entend au contraire l’anéantir.

 Deux livres récents nous éclairent sur ce nouveau phénomène: Le Complexe du loup-garou. La fascination de la violence dans la culture américaine, par Denis Duclos (La Découverte, 2005), et Satanisme et vampyrisme, par Paul Ariès (Golias, 2004).