Modifier son état de conscience peut provoquer des troubles potentiellement graves, en particulier chez les personnes atteintes d’affections psychiques. Attention aussi au dévoiement de cette pratique au profit de dérives sectaires. Cet article est issu du magazine Sciences et Avenir n°875 daté janvier 2020.

La vie en plein conscience n’est pas toujours rose. Et si la méditation apparaît de plus en plus comme une pratique aux bénéfices multiples, elle présente aussi, comme toute stratégie thérapeutique, son lot d’effets secondaires et de contre-indications. À trop chercher à réguler ses émotions, il arrive même que celles-ci… disparaissent ! “J’ai vu des cas où les méditants avaient ‘surrégulé’ leurs émotions. Ils en avaient certes très peu de négatives, mais aussi très peu de positives, jusqu’à une perte d’affection pour leurs enfants par exemple”, raconte Willoughby Britton, directrice du Laboratoire de neuroscience clinique et affective (CLANlab) de l’université Brown, à Providence (États-Unis).

La forme du bien-être en méditation a la forme d’un U inversé

Des cas dus à une pratique trop intensive ou inadaptée selon cette spécialiste. En effet, la courbe du bien-être promise par la méditation n’est pas celle que l’on croit. “Elle a la forme d’un U inversé. Autrement dit, il existe une durée optimale au-delà de laquelle le méditant peut se retrouver dans une situation plus inconfortable qu’au départ”, poursuit la chercheuse. Une fenêtre qui dépend à la fois du profil du méditant et du type de méditation pratiqué, certains y consacrant plusieurs heures par jour durant plusieurs années quand d’autres se satisfont de trois à vingt minutes quotidiennes.

S’il est encore difficile aux neurosciences de mesurer la durée optimale pour chacun, cette théorie de la courbe en U inversé devrait encourager les instructeurs à une plus grande vigilance dans leurs pratiques. Willoughby Britton a ainsi cosigné en 2018, avec un collectif international de 15 chercheurs spécialisés, une revue de la littérature en forme de plaidoyer, alertant sur le fait que les effets négatifs ont été négligés par la recherche. Or on ne modifie pas impunément ses états de conscience. En particulier chez les personnes atteintes d’affections psychiques : dépression, addictions, schizophrénie, troubles bipolaires ou risque psychotique. Sauf exception, il s’agit de contre-indications. “De trop hauts niveaux de concentration sur soi ont été associés, de façon répétée, à une aggravation de la santé mentale des personnes atteintes de ces pathologies”, rappelle Willoughby Britton dans un article publié en 2019. En cause ? Une hyperactivation d’un des lobes du cerveau (cortex insulaire) provoquée par “l’interoception”, soit l’attention qu’on porte à ce qui se passe “à l’intérieur” de soi, que ce soit physique (respiration, battements du cœur, sensations) ou psychique (émotions, sensibilité…). Cette partie du cortex s’active lorsqu’on mesure notre rythme cardiaque ou qu’on a faim mais est aussi fortement impliquée dans la régulation des émotions ou des fonctions autonomes comme les systèmes nerveux et immunitaire. En méditant, l’intensité de l’interoception est multipliée, comme l’est l’activation des réseaux de neurones impliqués. C’est ce qui procure le “bien-être” promis par la méditation de pleine conscience.