Jacky Cordonnier, historien des religions (Dérives religieuses, Chronique sociale), organise depuis des années des conférences sur les dérives sectaires dans les collèges et les lycées de l’Hexagone. Qu’a-t-il découvert? Que des flopées d’élèves jouent aux apprentis sorciers. Que des foules de gamins sont accros au spiritisme, à l’image de leurs héros des séries télévisées Charmed ou Buffy et les vampires. «Les profs sont sidérés et ils ont de quoi! s’exclame Cordonnier. Les élèves de quatrième ou de troisième font de l’alchimie, ils torturent des animaux, vont chercher des potions et des incantations sur Internet, lancent des invocations au diable et sont persuadés que ça marche!»

Etudiant en BTS électronique, Youri, 17 ans, affirme communiquer depuis deux ans avec l’au-delà au moyen d’une feuille et d’un crayon en bois. Pas de plastique ni de Critérium: «Les esprits n’aiment pas.» Il explique d’un ton sérieux la marche à suivre: «Vous placez votre crayon sur la feuille, vous fermez les yeux et vous posez vos questions. Il ne faut pas s’inquiéter si on ne sent pas le crayon bouger du premier coup, il faut de la détermination.» Et une infinie patience, sans doute. Youri assure que son rituel lui apprend «des tas de choses sur la mort, sur l’avenir» et lui procure «une grande satisfaction intérieure».

Un jeu? Oui, mais un jeu dangereux. «Certains adolescents peuvent être instrumentalisés par des gourous et souffrir de troubles psychiatriques», prévient Jacky Cordonnier. D’autant que l’ésotérisme peut mener au satanisme, doctrine qui invite, elle aussi, à découvrir une autre vérité, en procédant au renversement systématique des valeurs morales. Portée par le rock black metal, la mode gothique et le succès d’icônes pop comme la star androgyne Marilyn Manson, qui était en concert à Paris, le 14 juin, la vague démoniaque se propage chez les jeunes. Les colifichets favoris de ces adeptes au look de vampire? Croix renversées ou étoiles à cinq branches, symboles du Malin. D’après une étude du sociologue Yves Lambert, 21% des 19-28 ans croyaient en l’enfer en 1999, pour 11% en 1981. L’an dernier, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes a relevé 23 profanations de cimetières à caractère nettement satanique, pour 18 en 2003. Certains de ces disciples de Satan basculent vers la mouvance néonazie et son apologie du mal, avertissent les spécialistes. Pas de quoi s’alarmer pour autant, estime le chercheur Guy Michelat. «Les jeunes se bricolent leur propre système spirituel. Du coup, chaque croyance prise séparément, détachée de la symbolique catholique et de sa cohérence, perd de sa signification, analyse le sociologue. Le diable renvoie au mal au sens très large, il devient porteur du désir qu’éprouvent les adolescents de s’opposer à la société.»

Devant un tel foisonnement, on comprend que l’occultisme en poudre de perlimpinpin fasse un malheur. «De 20 à 30% de ma clientèle s’adonne à un ésotérisme de bazar», témoigne le psychiatre Jean-Marie Abgrall, expert des dérives sectaires. Mais les acheteurs de pierre de lune et les magnétiseurs de viande rouge n’ont pas empêché un ésotérisme plus éclairé d’émerger. Fondé sur un cheminement initiatique et des invocations rituelles, le soufisme, la mystique de l’islam, a le vent en poupe. Cette doctrine, qui ne se mêle pas de politique, «attire de plus en plus les musulmans qui veulent vivre un islam de paix, en opposition aux dérives intégristes, et ceux qui cherchent un guide spirituel, explique Soumeya Hjij, de l’association l’Isthme. Nos ateliers rassemblent toutes sortes de gens, des enseignants, des intellectuels, des secrétaires de direction, des assistantes maternelles…».

(L’Express – Toutes nos sources) ajoutée le 2005-06-23