LE STAND est installé depuis 11 h 30 à l’entrée du marché des Grandes-Bornes, une cité de Goussainville . C’est l’heure d’affluence. « Bonjour, madame, vous êtes contre la drogue ? Alors venez signer la pétition. Vous vous engagez à ne jamais en prendre et à en parler autour de vous. » L’homme est avenant, souriant. Les badauds, hélés hier midi, marquent un temps d’étonnement avant de s’approcher. Evidemment, ils sont tous contre. Zohra s’inquiète pour les petits du quartier, Marie ne sait plus comment s’y prendre avec son fils de 21 ans, fumeur de shit. Ridah « a des petits enfants » et se sent « concerné ».

Alors l’un après l’autre, des hommes, des femmes, des jeunes filles signent sans hésitation la pétition que leur tendent les membres de Non à la drogue, oui à la vie. En moins d’une heure, plus de 150 signatures ont été recueillies. C’est la même équipe de cette association, parrainée par l’Eglise de scientologie, qui se déplace depuis un mois dans les banlieues. « Avant de venir, je me renseigne sur la substance qui se vend dans le secteur. J’appelle les commissariats », explique Alexandra Michel, trésorière nationale de Non à la drogue, oui à la vie.

Elle est aussi responsable d’une Eglise de scientologie à Paris, dans le XVII e arrondissement. La jeune femme ne cache rien. C’est aussi inscrit sur les livrets d’information laissés en évidence sur le stand et émaillés de messages de Ron Hubbard, philosophe américain, fondateur de l’Eglise de scientologie. Mais pas un passant ne le remarque. On pose la question, quelques mètres plus loin. « C’est le message qui importe, répond Zohra, Pourquoi se compliquer à savoir d’où il vient ? L’essentiel est de le faire passer. La drogue fait peur. »

« Les sectes repèrent les zones de fragilité »

 MEMBRE du conseil d’orientation de la Miviludes, Jean-Pierre Brard est le vice-président du groupe d’étude sur les sectes à l’Assemblée. La Scientologie fait une tournée en banlieue, contre la drogue. Cela vous étonne-t-il ? Jean-Pierre Brard . Pas du tout. Les nazis spéculaient sur le chômage.

Typiquement, les sectes repèrent les zones de fragilité et veulent apparaître comme le saint-bernard. Elles essayent d’attirer en promettant une solution à un problème très grave, avant d’instaurer une relation de dépendance. Il y a de nombreuses ressemblances entre la dépendance sectaire et la toxicomanie : on a du mal à s’en sortir et c’est ruineux. La dépendance sectaire, c’est comme la drogue, il faut se soigner pour en sortir.

Pourquoi la Scientologie, dont on connaît l’intérêt pour les milieux dirigeants, s’intéresse-t-elle à la banlieue ? En France, la Scientologie a reculé sous les coups que nous lui avons infligés, mais il lui faut des adeptes pour faire du prosélytisme, des gens vulnérables qui vont être les petites fourmis. L’argent intervient dans un deuxième temps. Sur le plan financier, c’est certainement la secte la mieux huilée. Une secte peut-elle agir impunément ? Il n’y a pas de définition juridique de la secte. Ce sont les actes illégaux qu’elle mène qui sont poursuivis. Rien ne vous interdit de croire aux tables qui tournent, par exemple, mais vous n’avez pas le droit d’obliger votre voisin à y croire ni de lui vider son porte-monnaie.

Si la Scientologie trouve une telle écoute, c’est bien qu’il y a un terrain à investir… Les sectes sont le symptôme de la maladie de nos sociétés, où l’individualisme règne en maître. Quand vous ne pouvez vous raccrocher à rien, vous pouvez être séduit par l’idée de faire partie d’un groupe, un groupe qui deviendra aliénant. Ce qu’il faut, c’est garder l’esprit critique.

Propos recueillis par Carole Sterlé

Entre 2 000 et 6 000 adeptes en France

TOM CRUISE n’a pas son pareil en France pour défendre la Scientologie. Cette église ne jouit pas en France de l’aura qu’elle a sur sa terre natale, les Etats-Unis, où elle est née au milieu des années 1950, en Californie, de l’idée de Lafayette Ronald Hubbard, auteur de romans de science-fiction. Avant de mourir dans un accident à 77 ans, en 1986, le romancier a eu le temps d’écrire « la Dianétique », l’ouvrage référence de la Scientologie.

La Scientologie a traversé l’Atlantique dans les années 1970 et figure depuis 1995 dans un rapport parlementaire sur les dérives sectaires, bien que l’organisation s’en défende. Pourtant, plusieurs critères objectifs existent : la référence au gourou Hubbard, les exigences financières réclamées aux adeptes…

Et certains préceptes qui laissent pour le moins dubitatif : les saunas et la « dianétique » suffiraient à se remettre de toute maladie. Vingt-trois adeptes ont d’ailleurs déjà été jugés pour homicide involontaire, escroquerie, abus de confiance… à Lyon, en 1996, après le décès d’un dessinateur industriel qui s’était jeté du 12 e étage. Sur sa table de nuit, on retrouvait des médicaments prescrits par un scientologue.

Le dirigeant de l’Eglise de l’époque avait alors été condamné à dix-huit mois de prison ferme. La Scientologie afficherait quelque 6 000 adeptes, mais la Miviludes lui en reconnaît seulement 2 000 sur notre territoire.

C.S. le parisien 20avril 2004