Vous allez bientôt être aussi célèbres que le village d’Astérix", a prédit Jean-Pierre Brard à la quarantaine d’habitants de Deyvillers (Vosges), reçus mercredi 18 janvier à l’Assemblée nationale. Le député (apparenté PCF) de Seine-Saint-Denis, vice-président du groupe d’étude sur les sectes, tenait ainsi à saluer la ténacité de cette commune de 1 400 habitants, située à 4 kilomètres d’Epinal. Depuis plus d’un an, elle s’oppose au projet de construction, à l’initiative des Témoins de Jéhovah, d’une "salle du Royaume" d’une capacité de 1 500 places, équipée d’un parking de 500 places.
Tôt dans la matinée, des habitants avaient pris le car pour Paris. Successivement reçue au Sénat, à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et à l’Assemblée nationale, la délégation de l’Association de défense de l’environnement de Deyvillers (ADED) avait aussi demandé un rendez-vous au ministère de l’économie et des finances. Jusqu’au dernier moment, Michel Heinrich, député (UMP) des Vosges, qui l’accompagnait, s’est démené. Il a réussi à obtenir ce rendez-vous "juste avant que la batterie de (son) téléphone portable ne rende l’âme".
A l’arrivée à Bercy, les villageois ont remarqué des gens que rien n’identifiait comme des journalistes filmant leur descente du car et leur entrée au ministère. Au chef de cabinet de Jean-François Copé, ministre délégué au budget, ils ont exprimé leur étonnement que les Témoins de Jéhovah aient pu acquérir pour 600 000 euros un terrain de 6 hectares situé sur leur commune alors qu’ils n’ont toujours pas réglé une dette fiscale de 45 millions d’euros, confirmée par la Cour de cassation le 5 octobre 2004. "On nous a dit qu’ils avaient commencé à payer leur dette et que des sûretés avaient été prises. Nous demandons que le Trésor saisisse le terrain de Deyvillers pour parer tout risque d’insolvabilité organisée", a expliqué plus tard Hubert Sylvestre, président de l’ADED, aux députés du groupe d’étude sur les sectes en leur remettant une lettre-pétition réclamant leur soutien. M. Brard a trouvé l’idée "géniale".
Des idées, les habitants de Deyvillers n’en ont pas manqué depuis qu’à l’automne 2004 ils ont eu vent des intentions des Témoins de Jehovah et se sont constitués en association. Sous le panneau d’entrée dans la commune est suspendue une pancarte la rebaptisant " Jéhovah City ?". "Avec un point d’interrogation, car on espère que ça n’arrivera pas", précise M. Sylvestre. Le 11 décembre 2004, un référendum consultatif local était organisé. Avec une participation de 74 %, plus de 96 % des votants ont dit non au projet.
Le maire du village, René Crozat, a refusé le permis de construire déposé par la société civile dite "Les vergers fleuris", en invoquant des raisons techniques et de sécurité. Manifestations, opérations escargots de 300 voitures entre Deyvillers et Epinal ou "maisons à vendre", au cours de laquelle 70 % des propriétaires ont affiché ce panneau sur leur façade, remise au préfet des Vosges d’une pétition portant 3 500 signatures, conférence-débat réunissant un demi-millier de participants, la mobilisation des habitants de Deyvillers et des alentours n’a pas faibli depuis un an.
Le mouvement des Témoins de Jéhovah a fait transmettre par huissier, mardi 17 janvier, une assignation réclamant la dissolution de l’ADED. Il dénonce "une campagne de dénigrement systématique qui dépasse le cadre légal de la liberté d’expression". Pour Alain Gest (UMP, Somme), se pose une simple question de "traitement équitable" devant la loi : "Comment expliquer à nos concitoyens que l’administration fiscale n’exige pas d’une des organisations les plus puissantes financièrement au plan mondial le recouvrement de sa dette alors qu’elle saura le faire pour une simple contravention de stationnement ?"
En fin de journée, les habitants de Deyvillers sont remontés dans le car qui les attendait devant le Palais-Bourbon. De l’autre côté du quai, des caméras filmaient leur départ.
Patrick Roger
Article paru dans l’édition du 22.01.06 Le Monde