Lancée avant la sortie du film "Da Vinci Code", la stratégie de communication de l’Oeuvre s’est voulue transparente et ouverte. Bilan, un an après, de cette tourmente médiatique

Il y a un an, par un dossier de Newsweek (numéro du 26 décembre 2005) consacré au Da Vinci code, l’Opus Dei apprenait qu’il serait cité dans le film. « Jusque-là, on ne savait rien à ce sujet », raconte Arnaud Gency, dynamique responsable de la communication de l’Opus Dei en France.

Lui qui s’était rendu aux États-Unis dès la sortie du roman de Dan Brown (et l’avait lu en anglais), avait vite compris l’importance que ce livre aurait pour l’Œuvre. Il faut dire que ce thriller ésotérique (40 millions d’exemplaires vendus dans le monde, dont 4,5 millions en France) est bâti sur l’histoire d’un complot de l’Église catholique, appuyé par des tueurs à la solde de l’Opus Dei.

Dès le 10 janvier 2006, les responsables de communication de l’Opus Dei de Rome, New York, Londres, Paris, Cologne, Lagos et Montréal se retrouvent au siège romain de l’Œuvre, pour une réunion de crise, en présence de Joaquin Navarro-Valls, membre de l’Œuvre et alors porte-parole du pape. Une stratégie est définie.
La "tactique de la limonade"

La campagne serait mondiale, puisque le film allait sortir dans tous les pays. Et puisque le film allait faire passer l’Opus Dei pour une organisation méfiante et fermée, elle serait ouverte et respectueuse (pas de critiques directes), transparente (opérations portes ouvertes, points presse, communications intenses sur les sites) et positive (pas d’appel au boycott)… Une première interview du « numéraire » Marco Carroggio, à l’époque responsable de la campagne aux États-Unis, est diffusée sur Internet par l’agence romaine Zenit : le ton est donné…

Plutôt que de porter l’affaire devant les tribunaux et d’affronter la multinationale Sony, société productrice du film aux considérables moyens financiers, il s’agit de « retourner » les critiques en un intérêt positif pour le christianisme, pour l’Église catholique et l’Opus Dei. Marco Carroggio appelle cela la « tactique de la limonade » : transformer l’amertume du citron en boisson sucrée !

Peu après, les responsables de communication de France, de Belgique et de Suisse se retrouvent pour lancer leur propre plan média. Deux dépliants sont préparés pour répondre aux erreurs repérées dans le livre ou le film et pour prolonger les questions avec divers témoignages de membres travaillant à des œuvres humanitaires et sociales : ils seront imprimés à 40 000 exemplaires.

En mars, le nouveau site de l’Opus Dei (démarré en 1996) est mis en ligne, décliné en 22 langues, avec des informations sur l’Œuvre, mais aussi sur l’Église catholique. Pour la France, 930 000 pages de ce site auront été lues entre janvier et septembre 2006 (contre 725 000 en 2005).
Un super-plan média

Après le magazine américain Times qui consacre sa une à l’Opus Dei, le Figaro Magazine fait de même (numéro du 22 avril) avec une interview du prélat de l’Œuvre Mgr Javier Echevarria, ouvrant une série de dossiers dans Le Nouvel Observateur et L’Express (numéros respectifs du 18 mai).

Au total, 400 articles paraîtront, toutes presses confondues. « D’habitude l’Opus Dei n’intéresse pas, poursuit Charles Sobrinot, adjoint à la communication ; mais là, les demandes ont afflué. » Y compris de la part des radios, quinze jours avant la sortie du film, le 19 mai. Le P. Antoine de Rochebrune, vicaire régional de l’Opus Dei pour la France, est invité sur France-Info puis sur toutes les grandes radios.

Le plus surprenant se passe avec les télés, quand deux maisons de l’Œuvre, à Strasbourg et Toulouse, ont l’idée d’organiser – une première – une journée portes ouvertes le 11 mai. Leur communiqué envoyé à l’Agence France-Presse, « sans trop y croire » selon Arnaud Gency, est aussitôt diffusé. « C’est apparu comme un super-plan média, sourit Charles Sobrinot, alors que c’était providentiel ! »

Ce jour-là, ces deux centres accueilleront chacun une demi-douzaine d’équipes de télévision. Si la plupart des journalistes arrivaient avec des préventions à l’égard de l’Opus Dei – « ils nous demandaient d’emblée si on était une secte, ou si on portait le cilice », sourit Charles Sobrinot –, leurs reportages ont été, dans l’ensemble, plutôt respectueux.
"Une nouvelle manière de se référer à l’Église dans les médias"

« On a indéniablement gagné en image, en notoriété », constate Arnaud Gency qui, les mois suivants, a été invité à plusieurs reprises sur des plateaux télé pour débattre de l’actualité de l’Église. « En parlant avec des membres réels de l’Opus Dei, les journalistes ont compris qu’il s’agit de personnes normales », souligne Juan Manuel Mora, responsable de la communication mondiale de l’Œuvre jusqu’en juin dernier, et professeur de communication à l’université de l’Opus Dei de Navarre (Espagne).

Il voit là un « tournant » dans la communication de l’Église et de l’Opus Dei : avec des catholiques s’efforçant de « communiquer mieux » et des journalistes veillant davantage à « être libres des stéréotypes et des simplifications faciles ». « Si cette tendance se poursuit, estime Juan Manuel Mora, nous pourrions assister à une nouvelle manière, plus respectueuse et moins conflictuelle, de se référer à l’Église dans les médias. »

Et quand on lui demande quelle leçon il a tirée de cette période d’intense médiatisation, Juan Manuel Mora répond simplement : « Nous, les catholiques, pouvons nous plaindre de ceux qui diffusent de faux stéréotypes (sur l’Église), mais il est beaucoup plus efficace d’y faire face avec de l’information, de la transparence, de l’ouverture et de la cohérence. »

À vrai dire, cet intérêt pour l’Opus Dei est vite retombé. À la veille de l’été, Arnaud Gency a proposé divers sujets aux médias sur des camps et stages pour enfants et adolescents organisés par l’Opus Dei, en vain : l’actualité était passée. Reste à savoir enfin si l’image de l’Opus Dei a vraiment changé, y compris parmi les chrétiens.

Claire LESEGRETAIN

L’Opus Dei en France et dans le monde

Dans le monde : en 1975, à la mort du fondateur, Josémaria Escriva de Balaguer, on compte 60 000 membres. En 2006, ils sont 85 000, dont 1 900 prêtres. Parmi les membres laïcs, 25 % sont des « numéraires » (hommes et femmes célibataires et disponibles au sein de la prélature) et 75 % sont des « surnuméraires » (pouvant être mariés, le conjoint n’étant pas forcément chrétien ni membre de l’Opus Dei). Parmi les « surnuméraires », 55 % seraient des femmes.

En France : l’Opus Dei a commencé son travail apostolique en France en 1957. Le premier Français a avoir demandé à faire partie de l’Opus Dei est Catherine Bardinet, en 1949. Aujourd’hui, l’Opus Dei compte un millier de membres, dont 300 « numéraires » et 700 « surnuméraires », ainsi que 28 prêtres. L’œuvre dispose de 35 centres (maisons au sein desquelles est donnée la formation), dans 9 villes – Paris, Grenoble, Lyon, Aix, Marseille, Toulouse, Strasbourg, Rennes et Nantes – et effectue un travail apostolique dans une trentaine de diocèses.

la Croix du 28 décembre 2006