Les évangéliques sont connus en Amérique où certains courants exercent une influence politique importante. En France, ils n’ont encore que peu de visibilité mais ont le vent en poupe : multiplié par 10 depuis 1950, leur nombre s’élève aujourd’hui à près d’un million de personnes. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Plongée en banlieue parisienne dans les sphères évangéliques.

Foisonnante diversité

La petite église est discrètement installée à l’entrée d’un quartier pavillonnaire de Viry-Châtillon, dans l’Essonne. De l’autre côté de la départementale, se trouve La Grande Borne, cité de Grigny, l’une des villes les plus pauvres de France. Dans un bâtiment préfabriqué, le lieu de culte est seulement annoncé par une pancarte « église protestante évangélique » et une modeste croix blanche en bois.

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À l’intérieur, le pasteur Luc Olekhnovitch, spécialiste reconnu des questions éthiques, reçoit avec sa femme dans une salle qui tarde à se réchauffer. Il est membre de l’Union des églises évangéliques libres. Née en 1849 et partie prenante de la création de la Fédération protestante de France (FPF) en 1905, elle compte une cinquantaine d’églises en France, majoritairement dans le quart sud-est. Le pasteur aux cheveux gris et aux allures de professeur décrit une petite communauté familiale d’une centaine de fidèles, « où l’on peut entrer et sortir librement ». Ici la foi s’exprime avec une certaine austérité, « la Bible au centre », souligne-t-il d’emblée.

À trente minutes en voiture, l’église Impact Centre Chrétien (ICC) à Boissy-Saint-Léger, dans le Val-de-Marne, offre un tout autre visage de l’évangélisme. Installée dans une zone industrielle peu accueillante, en face d’une entreprise de location de bennes de chantier, elle attire des milliers de fidèles. Pour la plupart d’origine afro-antillaise, beaucoup arrivent dans des bus affrétés par l’église, qui assurent la navette avec la station du RER A la plus proche.

Hors périodes de restrictions sanitaires, trois cultes enflammés sont célébrés chaque dimanche autour du très énergique pasteur de 49 ans, Yvan Castanou. Originaire du Congo-Brazzaville, en France depuis ses 18 ans, ce diplômé de l’École supérieure de commerce de Rouen se revendique du courant pentecôtiste : « Nous croyons que quand le Saint-Esprit vient, il transforme les vies, comme à la Pentecôte ».

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Entre l’église de Viry-Châtillon et l’ICC, un même qualificatif : évangélique. Et pourtant, deux univers et des différences profondes, illustration parmi tant d’autres de la foisonnante diversité de ce courant qui demeure mal connu en France. « Le monde évangélique se conjugue au pluriel, rappelle Pierre-Yves Kirschleger, spécialiste de l’histoire du protestantisme, maître de conférences à l’université Paul-Valéry Montpellier 3. De l’extérieur, les différences ne s’appréhendent pas facilement, pourtant, il existe de vrais clivages et une pluralité de sensibilités. »

« Il existe de vrais clivages et une pluralité de sensibilités. »

Pierre-Yves Kirschleger, spécialiste de l’histoire du protestantisme

« Les » évangéliques n’existent pas : il serait plus juste de parler « des » évangéliques, tant leur diversité est forte, née d’un développement éclaté. « Je m’oppose à l’idée d’une distinction entre le protestantisme historique luthéro-réformé et l’évangélisme qui ne le serait pas, alors que les sensibilités évangéliques sont présentes depuis le XVIe siècle et traversent le temps », tranche le sociologue des religions et spécialiste du protestantisme Jean-Paul Willaime. L’évangélisme, marqué par « une recherche permanente d’un vécu chrétien plus authentique », n’est pas, en effet, un phénomène nouveau, y compris en France.

Qu’est-ce qu’un évangélique ?

Aussi différents soient-ils, les évangéliques se définissent traditionnellement selon quatre grands critères. D’abord, ils accordent une place fondamentale à la Bible, « entièrement fiable », selon la Déclaration de foi de l’Alliance évangélique mondiale. Parole de Dieu, elle « fait autorité pour la vie et la foi du croyant », comme le résume le Conseil national des évangéliques de France (Cnef).

Ils insistent aussi largement sur la prédication de la Croix pour le pardon des péchés et le salut. La conversion est au centre de la foi évangélique : « on ne naît pas chrétien, on le devient par choix personnel et engagement individuel ». Enfin, les évangéliques considèrent, une fois convertis, que cette foi qui transforme leur vie doit être annoncée au plus grand nombre.

Au gré de plusieurs mouvements de « réveil » en Amérique du Nord et en Europe, de multiples dénominations sont apparues dans cette galaxie : les baptistes, les Assemblées de frères, les méthodistes… Derniers nés, les pentecôtistes et « néopentecôtistes » connaissent aujourd’hui la plus forte expansion. Ce courant, né aux États-Unis, est présent en France dès les années 1930. Il s’est largement renouvelé depuis trente ans, marqué par un développement spectaculaire des églises issues de l’immigration, africaine principalement.

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Les évangéliques français se partagent aujourd’hui en une multitude d’unions, parfois très anciennes comme les mennonites. Certaines appartiennent à la FPF, instance rassemblant une trentaine d’unions d’églises de toutes les sensibilités du protestantisme, d’autres (environ 70 %) au Conseil national des évangéliques de France (Cnef), ou bien aux deux à la fois, comme la Fédération baptiste. Mais tout un pan – 20 % environ – échappe aux structures nationales, dont de multiples églises issues de l’immigration. Cette nébuleuse est la plus difficile à cerner car peu visible, à l’écart des centres-villes, et très instable : des églises ouvrent et périclitent régulièrement, rendant encore plus difficile l’établissement d’une cartographie.

Croissance à contre-courant

Peut-on alors parler d’une « explosion » ou d’une « expansion fulgurante », comme on peut le lire parfois ? Des ouvrages (1) au titre évocateur, mais au propos plus nuancé, parlent même de « conquête » et reflètent une certaine fascination pour ce courant dont le dynamisme tranche dans un pays largement sécularisé. Si l’« explosion », parfois annoncée avec fracas, doit être relativisée, le mouvement a bel et bien le vent en poupe. Il s’est développé ces dernières décennies sur tous les continents et compterait, d’après les dernières estimations de l’historien Sébastien Fath, 660 millions de fidèles dans le monde.

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En France, les statistiques peuvent différer selon les observateurs. Une étude du Cnef de 2017 estime à 650 000 le nombre de pratiquants réguliers, dont 500 000 en métropole, un chiffre multiplié par 10 depuis 1950. D’autres évaluations évoquent entre 700 000 et 800 000 fidèles en métropole et environ un million avec les territoires d’outre-mer (contre quatre à cinq millions de musulmans et plus de 30 millions de Français se définissant comme catholiques). Ils représenteraient ainsi plus du tiers du protestantisme français en général (deux millions de personnes, soit environ 3 % de la population selon une enquête Ipsos de 2017), mais trois quarts des pratiquants réguliers.

Autre indicateur d’un essor manifeste, un annuaire – non exhaustif – mis à jour par le Cnef recense plus de 2 500 églises, dont plus de 2 200 en métropole. Chaque année, 35 nouvelles églises ouvrent : une croissance forte et surtout à contre-courant, qui rend le phénomène de plus en plus visible, notamment en région parisienne, où La Croix a concentré son enquête.

Ce développement connaît une grande disparité, car les nouvelles églises, liées pour l’essentiel aux mouvements migratoires, s’implantent principalement dans les banlieues des grandes villes. L’ampleur réelle de ce phénomène, appelé à se poursuivre dans les prochaines années au gré des flux migratoires avec l’Afrique notamment, est mal connue : ces églises-là échappent en partie aux réseaux FPF et Cnef. La Seine-Saint-Denis est de loin le département le plus représentatif de cette expansion, avec 95 églises recensées – pas moins de 17, rien qu’à Saint-Denis.

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Pour évaluer cette croissance, il faut se rendre dans une zone industrielle de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), bordée par une voie de chemin de fer et l’A86, dans un ex-entrepôt, au milieu des installations d’une entreprise de recyclage. L’église Paris Centre Chrétien (PCC) y est installée depuis les années 1990. Fondée par un pasteur pentecôtiste venu d’Inde et formé au Danemark, Selvaraj Rajiah, décédé en 2011, elle est désormais guidée par sa femme, Dorothée, elle aussi pasteure. L’église doit déménager à l’horizon 2022-2023 dans un autre quartier de la ville afin d’accueillir jusqu’à 2 500 personnes, contre 1 000 actuellement.

« Nous croyons à la manière d’exprimer la foi de manière adaptée à notre époque. »

Yvan Castanou, pasteur de l’église Impact Centre Chrétien à Boissy-Saint-Léger
(Val-de-Marne)

À Boissy-Saint-Léger, cette même volonté de pousser les murs et de sortir de la zone industrielle est tout aussi perceptible dans l’église ICC, qui prépare un déménagement pour de plus vastes locaux. Portée par une stratégie très offensive sur les réseaux sociaux, la communauté, qui a essaimé dans toute la France, mais aussi en Belgique ou en Afrique, prospère et s’est même renforcée à la faveur des confinements. La chaîne YouTube d’ICC compte près de 300 000 abonnés. « Nous avons la meilleure des bonnes nouvelles : il faut apprendre à l’annoncer à ceux qui ne sont pas convertis en faisant preuve d’innovation et de modernité, soutient Yvan Castanou. Nous ne changeons pas le message de la Bible, mais nous croyons à la manière d’exprimer la foi de manière adaptée à notre époque. »

La Porte ouverte chrétienne à Mulhouse (Haut-Rhin) ou l’église Martin Luther King à Créteil (Val-de-Marne), suivent la même courbe ascendante. Cette dernière, née en 2004, se trouve à l’étroit dans ses locaux actuels qu’elle s’apprête à quitter. Avec son très entreprenant et toujours enthousiaste pasteur breton Ivan Carluer, elle attire environ 1 500 fidèles tous les dimanches. Depuis la crise sanitaire, les vidéos des cultes en ligne totalisent souvent plus de 10 000 vues. Ces grandes églises restent toutefois des exceptions dans le paysage français, plutôt composé de petites et moyennes assemblées. Et, si comme le souligne Sébastien Fath, les évangéliques ont atteint numériquement une « masse critique » les rendant plus visibles, ils demeurent « assez marginalisés et ont encore du mal à se faire reconnaître comme légitimes en France ».

Au point de faire même peur. Certains les accusant tout à la fois de dérives sectaires, d’ingérence étrangère, et même de vouloir développer une influence politique. En octobre 2019, une ancienne ministre de François Hollande appelait ainsi à s’intéresser aux actions dans les quartiers de ceux qu’elle nommait les « évangélistes », au prix d’une confusion encore largement répandue. Lundi 4 janvier, l’Assemblée nationale a encore servi de caisse de résonance à ces débats à propos du projet de loi sur le séparatisme. Auditionné, le pourtant flegmatique François Clavairoly, président de la FPF, a élevé la voix : « Non les évangéliques ne sont pas une menace pour la République ! (…) Ça suffit, ce discours de soupçon à l’égard du christianisme dans sa version évangélique ! »

Impact social

Pour Didier Leschi, ancien chef du bureau des cultes au ministère de l’intérieur entre 2004 et 2008, les évangéliques ne se signalent pas par une volonté de « séparatisme ou d’imposer des normes contraignantes »« Mais il ne faut pas nier les courants qui essayent de passer sous les radars et doivent susciter notre vigilance », tempère Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité.

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Faudrait-il alors se méfier de l’influence des évangéliques ? Simon Kéglo, pasteur de l’église baptiste de Massy (Essonne) n’a rien du « gourou » cherchant à tout prix de nouveaux adeptes : « Je me moque du nombre de personnes qui viennent au culte, ce qui compte c’est de les amener à Christ ». « Je suis originaire du Togo et je suis arrivé en France à la vingtaine, raconte l’homme affable à la fine moustache lui donnant un faux air du pasteur baptiste Martin Luther King. J’ai été pasteur en Picardie, puis en Martinique. Chez les baptistes, une telle fonction relève d’un appel mais après, il faut se former. Il n’y a pas de pasteurs autoproclamés au sein de notre fédération. » Allusion explicite à un manque de contrôle à l’origine de certaines dérives.

Lui-même possède une maîtrise de théologie obtenue à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine (Yvelines), institution reconnue accueillant des étudiants de la quasi-totalité de la galaxie évangélique. Dans son bureau exigu où les livres débordent des étagères, le pasteur décrit non sans fierté sa communauté « multiethnique et multiculturelle » de plus de 300 fidèles : « Je ne suis pas pour des églises ethniques. À mon sens, il est préférable d’être à l’aise au sein de la communauté française. L’église a ce rôle à jouer. » La sienne, en travaux d’agrandissement en ce moment, abrite une école de langue française. Créée à l’origine pour les missionnaires étrangers, elle a été agréée par l’État, qui y envoie régulièrement des personnes devant justifier de leur niveau de français, notamment pour être naturalisées.

« Nous nous battons pour le bien-être des gens et pour aider à répondre aux problèmes de société. »

Dorothée Rajiah, pasteure de l’église Paris Centre Chrétien à La Courneuve
(Seine-Saint-Denis)

Plutôt qu’une hypothétique influence politique, comme dans certains pays du continent américain, les églises évangéliques se signalent surtout en France par leur impact social, peu médiatisé, notamment auprès de leurs fidèles issus d’une immigration récente. « Nous nous battons pour le bien-être des gens et pour aider à répondre aux problèmes de société », affirme Dorothée Rajiah, pasteure du PCC à La Courneuve, où Gilles Poux, le maire communiste, reconnaît volontiers l’utilité de leurs actions de solidarité. « Lorsque l’église enseigne les principes bibliquesévidemment, nous faisons en même temps œuvre d’éducation auprès des jeunes. »

→ REPORTAGE. Comment des évangéliques français veulent investir le terrain politique

Pour la plupart des évangéliques, la foi en un Dieu « qui fait du bien, qui guérit », comme le résume Sébastien Fath, ne peut rester confinée à la sphère privée mais doit conduire à l’action et se voir. « Quand tu reçois Jésus, il change ta vie, insiste Yvan Castanou. Une fois transformé, tu n’as pas le droit d’être oisif, ta vie doit glorifier Dieu sur la terre. » D’où l’accent mis sur le soutien scolaire, l’aide à l’orientation professionnelle ou à la gestion des finances, appuyé par un discours ultra-mobilisateur, régulièrement diffusé lors des cultes, pour répéter aux fidèles qu’ils sont « des bâtisseurs », des « écrivains de l’histoire » qui doivent « influencer le pays » avec leurs « valeurs » et leur « intégrité ».

Cet activisme est regardé avec méfiance par les tenants de la laïcité alors que les évangéliques sont souvent accusés d’entretenir une lecture fondamentaliste de la Bible et de véhiculer des idées « conservatrices ». « En France, ils ne se reconnaissent pas dans une lecture littéraliste de la Bible, en revanche, ils insistent sur son inspiration et son autorité, temporise le pasteur Étienne Lhermenault, directeur de l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne) et ancien président du Cnef. Par exemple, la majorité ne partage pas la position des néocréationnistes américains. »

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Ce qui ne l’empêche pas de s’inquiéter d’une résurgence récente de cette vision qui reste toutefois minoritaire. S’il existe des nuances au sein d’un mouvement très divers, pour Sébastien Fath, on peut toutefois affirmer que « la majorité des évangéliques gardent une approche conservatrice de tout ce qui relève de l’éthique sexuelle et familiale », ce qui les différencie le plus souvent des protestants luthéro-réformés et les rapproche de l’Église catholique.

Zèle missionnaire

Dans les quartiers où ils sont implantés, les évangéliques se placent parfois en situation de concurrence avec les autres cultes. Le père Georges Ouensavi, curé de La Courneuve, raconte avoir accompagné une jeune fille à la confirmation avant d’apprendre qu’elle avait rejoint une église évangélique dont elle vantait la « chaleur humaine ». Même si sa paroisse prête tous les dimanches une chapelle à une communauté évangélique tamoule, il confie, presque surpris, travailler et dialoguer davantage avec les musulmans. « Il faut passer de la concurrence à l’émulation », plaide sœur Anne-Marie Petitjean, chargée des relations œcuméniques dans le diocèse de Saint-Denis.

« Nous annonçons la Bonne nouvelle avec le courage de proposer la foi sans ne jamais forcer personne. »

Simon Kéglo, pasteur de l’église baptiste de Massy (Essonne)

Souvent blâmés pour leur prosélytisme, les évangéliques croient à la conversion personnelle et à la nouvelle naissance – d’où le terme anglais de « born again » – et sont en effet marqués par une ardeur missionnaire généralement décomplexée. Malgré l’absence de chiffres précis, les conversions de catholiques, de personnes sans religion, ou même de tradition musulmane, ne sont pas négligeables. D’autant que les églises évangéliques apparaissent souvent plus « modernes » et attirantes pour les jeunes. « Nous annonçons la Bonne nouvelle avec le courage de proposer la foi sans ne jamais forcer personne », assume Simon Kéglo. Si l’évangélisation de rue se fait plus rare, leur identité même, comme l’affirme le Cnef, les pousse à vouloir faire « entendre le message de l’Évangile » afin que chacun puisse « choisir en toute connaissance de cause d’accueillir ou de refuser le salut offert en Jésus-Christ ».

→ ENQUÊTELes « bonnes recettes » des évangéliques font école chez les catholiques

Un zèle missionnaire qui ne les pousse pas, surtout au sein du courant pentecôtiste, à un dialogue soutenu avec les autres cultes, celui-ci étant parfois mal perçu au sein des communautés. Yvan Castanou d’Impact Centre Chrétien reconnaît, lui, sans acrimonie, son absence de liens avec les catholiques : « Ils ne sont pas venus vers nous et inversement ». La méconnaissance est encore plus grande avec les musulmans. Installé à Boissy-Saint-Léger depuis douze ans, il assure n’avoir appris l’existence d’une mosquée dans la ville qu’il y a quelques mois de la bouche d’un policier. « En dehors des églises bien établies, comme les baptistes par exemple, les évangéliques ne recherchent pas vraiment le dialogue, cela ne les intéresse pas », déplore sèchement une ancienne déléguée à l’œcuménisme d’un diocèse francilien.

Même entre protestants, les relations sont parfois distendues. À Corbeil-Essonnes, l’Église protestante unie de France, née de l’union des Églises réformée et luthérienne en 2012, partage depuis plusieurs années son temple avec deux communautés évangéliques pour mutualiser les coûts d’entretien. « Nous avons quelques liens, mais il faut bien reconnaître que nous vivons surtout les uns à côté des autres, concède Manuel Viguié, président du conseil presbytéral. Nous avons des approches tellement différentes de la foi. »

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Pour autant, toutes les églises évangéliques ne sont pas repliées sur elles-mêmes. À Viry-Châtillon, le pasteur nourrit des relations amicales avec les prêtres du secteur et a même déjà été invité au sein de l’établissement catholique de la ville. Simon Kéglo est, lui, un partisan engagé et reconnu de l’œcuménisme : « Nous ne pensons pas être les seuls chrétiens. »

« Il existe une forme de concurrence qui ne pose pas de problème. »

Sébastien Fath, historien

Hardi, il n’hésite pas non plus à aller au contact des musulmans de sa ville : « Ils sont très ouverts et font tout pour pacifier les rapports entre communautés religieuses, ce sont des amis. » Parfois nombreux dans les mêmes quartiers, musulmans et évangéliques entrent rarement en conflit – même si les conversions d’une foi à l’autre peuvent susciter quelques crispations dans les familles. « Il existe une forme de concurrence qui ne pose pas de problème », assure Sébastien Fath.

Visibilité accrue

À Créteil, l’église Martin Luther King a fait le choix volontariste de regarder vers l’extérieur. À l’aise dans le paysage religieux très divers de la ville, Ivan Carluer, le pasteur principal, entretient des relations amicales, parfois chaleureuses, avec les autres cultes. Dans cet esprit, l’Espace MLK, futur lieu d’accueil de l’église, dont l’ouverture est prévue au printemps, est bien plus qu’un lieu de culte : un projet socioculturel ouvert à tous. « Nous avons choisi de partager cet espace avec les différents acteurs qui favorisent le lien social », plaide avec conviction Ivan Carluer.

Acquis par la Fondation du protestantisme, le bâtiment doit abriter une crèche, un restaurant, des salles pour les mariages, le culte, les associations… Ce projet, symbole éclatant d’une plus grande visibilité du protestantisme évangélique, a coûté plus de 15 millions d’euros, financés par un emprunt, par l’église évangélique MLK, mais également des subventions de la mairie, de la région, du conseil départemental ou de l’Union européenne. La pose de la première pierre de l’Espace MLK, en avril 2019, a réuni le maire (PS) de Créteil, Laurent Cathala, le président (PC) du conseil départemental, Christian Favier, l’évêque du diocèse Mgr Michel Santier ainsi que le député LREM de la circonscription Jean-François Mbaye. Ce dernier, sollicité par Ivan Carluer, a été convaincu par un projet « tourné vers la cité et sa mixité ».

→ REPORTAGE. À Créteil, les évangéliques poussent les murs de leur église

Cet exemple demeure toutefois l’exception. Non loin de Créteil, Yvan Castanou évoque des relations toujours tendues entre ICC et la mairie de Boissy-Saint-LégerLa source de discorde officielle : le manque de places de parking. Déjà en 2008, après une longue période de recherche pour trouver un lieu, l’église n’avait vaincu les réticences que grâce à l’appui décisif de son union d’églises, la Communauté des églises d’expression africaine francophone, ainsi que de la Fédération protestante de France, gage de sérieux aux yeux des autorités.

« Le principal sujet avec les évangéliques concerne les lieux de cultes et dans ce domaine, ils sont les plus discriminés en France », déclare Didier Leschi. Dans certaines villes, l’installation d’églises évangéliques dans des locaux peu ou pas adaptés cristallise les tensions. Dans ces cas-là, la FPF ou le Cnef peuvent intervenir pour tenter de trouver des solutions. Un travail de longue haleine : encore peu d’élus appréhendent le phénomène évangélique. À cet effet, le Cnef a créé un service pastoral auprès des parlementaires pour mieux se faire connaître.

→ ANALYSE. Profession, implanteur d’église évangélique

« J’ai pu constater le développement de ces églises mais je n’ai jamais été officiellement sollicitée par l’une d’elles, contrairement aux autres cultes, témoigne Marie-George Buffet, ancienne ministre et députée communiste de Seine-Saint-Denis depuis dix-huit ans. Faute d’espoir politique collectif, elles offrent l’espoir d’un monde meilleur à des populations précaires. Je préfère les églises qui ont pignon sur rue et qui dialoguent avec les élus plutôt que l’entre-soi. »

« Ces églises offrent l’espoir d’un monde meilleur à des populations précaires. »

Marie-George Buffet, ancienne ministre et députée communiste de Seine-Saint-Denis

Dans sa circonscription, si l’église Charisma qui réunit des milliers de fidèles au Blanc-Mesnil est parfois critiquée pour ses pratiques, le Paris Centre Chrétien entretient, lui, des relations suivies avec la mairie, qui l’a adoubé comme un acteur reconnu. « J’y suis allé plusieurs fois », se souvient Gilles Poux, le maire, qui a mené « une bataille assez forte » pour mettre fin à l’implantation anarchique d’églises évangéliques. Convaincu du « sérieux » de cette église qui ne s’est pas enfermée dans une démarche isolationniste, l’édile assume parfaitement de l’accompagner dans son projet immobilier. Une relation de confiance qui prévaut dans de nombreuses communes, surtout avec des églises implantées depuis plusieurs décennies.

Si certaines municipalités disent en privé ne pas vouloir accéder aux demandes des évangéliques pour ne pas avoir à répondre aux mêmes sollicitations de certains groupes musulmans, d’autres, au contraire, cherchent à leur faciliter les démarches. « Certains élus, inquiets de la montée de l’islam politique, dépassent leur méfiance à l’égard des évangéliques », analyse un fin connaisseur du sujet.

→ PODCAST. Franck Meyer, la foi d’un maire évangélique à l’épreuve de la loi

Sur le plan national également, le mouvement évangélique gagne en visibilité. La FPF cherche à toujours mieux valoriser leurs églises en son sein et le Cnef est devenu un interlocuteur reconnu par les autorités, comme le démontre l’intervention du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin pour les dix ans de l’organisation, en décembre. Au-delà des fantasmes tenaces qui les entourent, les évangéliques, dont l’ardeur peut déranger, ont encore un patient travail à mener pour mieux se faire connaître « dans une société marquée par une perte de compréhension du phénomène religieux », comme le relève Jean-Paul Willaime. En dépit de son extrême diversité, « un mouvement d’institutionnalisation du protestantisme évangélique est en cours ».

  • Les évangéliques à la conquête du monde, Patrice de Plunkett, Perrin, 2009, 324 p., 20,50 € et Soldats de Jésus : les évangéliques à la conquête de la France, Linda Caille, 2013, Fayard, 18 €.
  • source :
  • La Croix
  • Arnaud Bevilacqua (avec Pascal Charrier),
  • le 19/01/2021 2020

https://www.la-croix.com/Religion/qui-sont-vraiment-evangeliques-france-protestants-2021-01-19-1201135718