Erevan, 16 mars 2006 – Les jeunes appelés arméniens qui, pour des raisons religieuses, refusent d’effecteur leur service militaire font à nouveau l’objet de poursuites judiciaires malgré l’adoption, il y a deux ans, d’une alternative légale à la conscription obligatoire. Les objecteurs de conscience arméniens, essentiellement des Témoins de Jéhovah, refusent de se plier à la possibilité qui leur est offerte d’effectuer un service civil, au motif que celui-ci est placé sous le contrôle de l’administration militaire. Actuellement, ils sont une cinquantaine à attendre de passer en jugement.

Les organisations locales et internationales des droits de l’homme ont longtemps critiqué les autorités arméniennes pour leur attitude répressive à l’encontre des objecteurs de conscience. En 2001, le Conseil de l’Europe avait fait de l’abrogation des mesures coercitives une condition indispensable à l’admission de l’Arménie comme membre du Conseil. Malgré l’adoption, en juillet 2004, d’une loi sur le service civil, les problèmes sont loin d’être résolus, et les instances dirigeantes du Conseil de l’Europe estiment que cette loi ne répond pas aux standards européens et qu’elle devrait être amendée.

Aux termes la loi de 2004, les objecteurs de conscience ont le choix entre un service militaire de trois ans "hors unités de combat" ou de trois ans et six mois au sein d’institutions civiles. A la promulgation de cette loi, 22 témoins de Jéhovah optèrent pour le service civil et furent ainsi affectés au sein d’unités médicales civiles spécialisées comme, par exemple, le principal hôpital psychiatrique d’Arménie. Ayant réalisé que ces unités médicales sont placées sous la responsabilité des autorités militaires en ce qui concerne le contrôle et l’alimentation des personnels, ils désertèrent aussitôt leur poste, avant d’être arrêtés en août dernier et condamnés à des peines variant de deux à trois ans de prison pour désertion. Un jugement intervenu avant que les autorités ne promulguent, en janvier dernier, une loi qui prévoit l’emprisonnement en cas de désertion dans le cadre d’un service civil.

André Carbonneau, l’avocat canadien qui défend les intérêts des Témoins de Jéhovah arméniens fait valoir que "pour un Témoin de Jéhovah, il est inconcevable d’être sous quelque forme que ce soit au service de l’institution militaire". Selon lui, les jugements ainsi prononcés, sont entachés d’irrégularités, au motif qu’il s’agit d’une application rétroactive de la loi, rétroactivité contraire à la Constitution. En réponse à l’appel formulé par l’avocat canadien, les cours d’appel ont récemment rendu un jugement qui renvoie virtuellement les justiciables devant des tribunaux de rang inférieur et ont refusé de les libérer, dans l’attente d’un nouveau procès.

La réponse des Témoins de Jéhovah ne s’est pas faite attendre. Ils ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme dont ils espèrent qu’elle ordonnera leur libération. Les organes de surveillance du Conseil de l’Europe semblent partager cette opinion. Selon Bojana Urumova, qui dirige le bureau arménien de l’institution strasbourgeoise, "le conseil de l’Europe estime que l’Arménie ne respecte pas ses engagements et qu’elle devrait modifier la loi de manière à ce qu’elle soit en conformité avec les standards européens afin de proposer une alternative réelle de service civil".

Du côté arménien, des amendements sont actuellement en cours de discussion mais rien ne permet de dire, à l’heure actuelle, s’ils satisferont les revendications des Témoins de Jéhovah. La crainte des autorités militaires est, en amendant la loi, d’ouvrir la boîte de Pandore, en proposant une alternative au service militaire, dans laquelle s’engouffreraient de nombreux jeunes citoyens désirant échapper à la conscription. Les Témoins de Jéhovah ont été longtemps perçus avec suspicion par les autorités arméniennes en raison de leur forte opposition à toute forme de service militaire qui selon elles, est préjudiciable à la sécurité nationale de ce pays en butte à un conflit territorial avec son voisin azerbaïdjanais.

La légalisation de ce mouvement religieux en octobre 2004 ne s’est pas faite sans douleur. L’Eglise apostolique arménienne dénonçant "des organisations religieuses totalitaires qui sapent les intérêts et les aspirations de la nation arménienne". Pour Tigran Harutiunian, le porte-parole des Témoins de Jéhovah en Arménie, mis à part ce problème juridique, "il n’y a pas lieu de se plaindre depuis la reconnaissance de son mouvement religieux qui compte près de 20.000 membres".