Profanations, suicides, multiplication des sites Internet… Le satanisme, et ses avatars comme la « culture gothique », font des émules en France, surtout parmi les jeunes. La mission interministérielle de lutte contre les sectes tire le signal d’alarme.

SUCCÈS des sites Internet consacrés à Satan, banalisation des symboles sataniques chez les adolescents, notamment via de nombreux groupes musicaux ou des stars telles Marylin Manson, fascination pour la magie noire, profanations de cimetières… L’attrait grandissant des jeunes pour les mouvements satanistes inquiète. D’autant que l’on dénombre aujourd’hui une quarantaine de mouvances satanistes sur Internet et 4 000 activistes surveillés en France.
En octobre dernier, deux adolescentes d’Ivry (Val-de-Marne), fans de musique rock morbide black et death metal, autoproclamées adoratrices de Satan, se suicidaient sous les yeux de deux de leurs camarades de collège en se jetant d’une tour. Depuis un mois, une série de profanations de chapelles, d’églises et de symboles sacrés effraie la Bretagne. Les malfaiteurs ont signé leurs méfaits des symboles classiques du satanisme : croix inversées, pentacles, nombre 666 graffité sur les murs, c’est-à-dire le fameux « chiffre de la Bête »… Le satanisme d’aujourd’hui va du folklore jusqu’à la destruction, voire la mort.

« Des adolescents en mal de vivre »

De quoi inquiéter au premier chef les associations de lutte antisectes. Car si le satanisme n’est pas une secte au sens strict, il peut conduire à des comportements dangereux, tant pour le sataniste que pour la société. En 2004, dans son rapport annuel, la mission interministérielle de lutte contre les sectes (Miviludes) pointait ainsi une progression sensible des dérives satanistes en France perceptible au travers d’un certain nombre de profanations. Qui sont ces satanistes ? Historiquement, des adorateurs de Satan, l’incarnation du Mal dans les traditions religieuses monothéistes. Dans les faits, des « microgroupes hybrides aux attaches multiples et aux obédiences mal affirmées », selon la Miviludes. Des groupes constitués le plus souvent de jeunes, en général issus de milieux sociaux aisés, intelligents, mais en déshérence, qui « opèrent une sorte de synthèse entre satanisme et nihilisme », allant parfois jusqu’à flirter avec l’idéologie néo-nazie. « Ce sont en fait des adolescents en mal de vivre qui ont une connaissance erronée du satanisme, constate le père Benoît Domergue, spécialiste en démonologie et intervenant dans les collèges et lycées (1). Les rituels qu’ils pratiquent s’inspirent de l’imaginaire satanique véhiculés sur des sites Web, via certains groupes de metal, dans des films, des livres ou des bandes dessinées. Fragilisés, en mal de repères, ces jeunes, bien qu’affiliés à aucune secte, peuvent en quelques mois adopter des conduites déviantes qui les marginalisent. »

« Guerre sainte satanique et guerre sainte néo-nazie »

Un véritable boulevard pour la quarantaine de noyaux d’activistes satanistes, eux très structurés – comme l’Ordre des neuf angles ou les Bêtes de Satan – qui prônent une idéologie néo-nazie. « Ces groupes minoritaires mais extrêmement dangereux utilisent cet engouement pour le satanisme et sa symbolique pour véhiculer leur idéologie auprès de jeunes qui, sans cet habillage, rejetteraient l’extrême droite. C’est dans ce rapprochement entre les partisans de la guerre sainte satanique et ceux de la guerre sainte néo-nazie que réside le plus grand danger », estime Paul Ariès, historien des religions (2). L’Ordre des neuf angles organise ainsi de véritables messes noires en l’honneur de « Mein Kampf », écrit par Hitler. L’Eglise de satan revendique, elle, la fin de l’égalité, le rétablissement de la peine de mort, le renforcement de l’appareil répressif ou encore la sélection génétique des meilleurs… Une exhortation à la haine déjà présente dans « la Bible satanique » publiée en anglais il y a trente ans qui, parodiant la Bible chrétienne, indique qu’« il ne faut pas tendre l’autre joue », glorifie Satan, symbole du péché, et prône le culte de l’homme supérieur. Pour la première fois en France (lire à droite) , cet ouvrage vient d’être publié en français par un éditeur jusque-là spécialisé dans les ouvrages musicaux.

Nathalie Perrier et Anne-Cécile Juillet    
Le Parisien , vendredi 17 février 2006