Bruno Raffi, vous avez été président du Centre contre les manipulations mentales (CCMM) de 2000 à 2002 et vous êtes avocat au barreau de Saint-Pierre, à la Réunion. Comment définiriez-vous la secte du "Coeur douloureux et immaculé de Marie" ?
Ce n’est pas une secte apocalyptique, ufologue ou autre. Il faut la replacer dans le contexte réunionnais. Celui d’une société à la fois très croyante et très animiste, un peu fétichiste. Par exemple, ceux qu’on appelle les "Malbars" sont des Indiens christianisés qui pratiquent souvent les deux cultes, catholique et hindou. Il y a aussi beaucoup d’Eglises évangéliques inoffensives. Dans toutes les localités, des associations proposent "salut et guérison", "mission de Jésus- Christ". Le public qui les fréquente va aussi à la messe le dimanche. Juliano Verbard, lui, a développé son mouvement dans un contexte catholique, très marial. Il avait trouvé l’astuce pour avoir des extases tous les 8 du mois.
Etait-il sincère ou bien escroc ?
Je pense que c’est un simulateur qui a trouvé un moyen facile d’asseoir un semblant de pouvoir, de récolter des dons, de bénéficier d’une aura auprès de ses comparses et d’assouvir ses penchants sexuels. Il me fait penser un peu à Raël. C’est un prédateur.
Quel rôle a joué l’Eglise catholique ?
Elle a essayé de le canaliser. Quand quelqu’un dit "j’ai des visions", il est normal que l’Eglise fasse en sorte de l’accompagner. L’évêque lui a proposé d’être encadré par un directeur de conscience, comme cela se pratique souvent. Mais il a tout fait pour se dérober aux aides spirituelles qu’on lui proposait. Il a développé son mouvement hors structure. Celui-ci était organisé sur le modèle habituel de la secte, avec obéissance au gourou, etc. Il n’est même pas sûr que ses membres aient eu conscience de participer à un enlèvement.
Le contexte réunionnais est-il favorable au développement des sectes ?
Le public est assez crédule. La foi du charbonnier est bien ancrée dans la société réunionnaise. Les fidèles accordent leur confiance assez facilement.
Quel était le profil des fidèles qui suivaient Juliano Verbard ?
Surtout des femmes, un public entre 20 et 30 ans. Le mouvement a pris son essor à Saint-Paul, au nord-ouest de l’île, dans une zone populaire. Le public était réunionnais. On n’y trouvait pas de "zoreilles" (métropolitains). A la belle époque, la secte comptait entre 200 et 300 membres, à la fin, 30 à 40. Dimanche, la police a arrêté le noyau dur, soit une quinzaine de personnes.
Comment le gourou a-t-il pu rester caché aussi longtemps ?
Il avait écumé toutes ses bases de repli dans l’Ouest. C’est quelqu’un qui vivait en autarcie dans son petit monde, servi par ses lieutenants.
Propos recueillis par Xavier Ternisien
Le Monde 06/08/2007