GROUPE DE RÉFLEXION « SPIRITUEL ET PSYCHOLOGIE »
– Document rigoureusement confidentiel, à ne diffuser sous aucun prétexte –
Dossier du groupe au terme de son travail
– SEPTEMBRE 2011 –
Réflexions du Groupe « Spirituel et Psychologie »
(au terme de son travail – septembre 2011)
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Notre société est marquée par le souci du bien-être. C’est devenu une priorité pour nos contemporains. Pour eux, le droit au bien-être, non seulement social mais également psychologique et biologique, est un impératif justifiant tous les investissements possibles.
L’Église consonne pour une part à ce souci d’un mieux-être qui manifeste un aspect de la vocation de l’homme : il aspire au bonheur et à son développement personnel. Dans une création en devenir, il lui revient de les trouver à partir de la réalité d’aujourd’hui et des possibilités qu’il sait être en lui et dans les autres. Il est responsable de son avenir, de l’avènement d’un monde meilleur. D’autre part, l’Église ne peut renoncer à annoncer que le bonheur intégral de l’homme consiste dans la vision de Dieu que seul le Salut réalisé dans le Christ lui permettra d’atteindre.
L’Église se réjouit donc de voir de nombreux chrétiens faire leur un tel souci et mettre en œuvre toutes les ressources médicales et psychothérapeutiques pour lutter contre les multiples modalités de la souffrance qui minent leur bonheur ou le bonheur des autres. Elle sait cependant que « la création entière gémit maintenant en travail d’enfantement », que « nous avons été sauvés, mais c’est en espérance » et qu’« espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec persévérance » (Rm 8,22-25). Le développement des sciences humaines a ouvert de nouvelles perspectives : nul doute qu’une meilleure connaissance de la psychogenèse, c’est-à-dire des processus par lesquels chaque personne se développe au sein de la création et de la société, permet de déceler ce qui aurait été dans sa psychogenèse un facteur l’ayant amené à vivre des souffrances psychologiques et même des maladies psychosomatiques. La multitude des modalités actuelles des psychothérapies dit la grande espérance des praticiens qui cherchent à donner à leurs patients des moyens de déraciner eux-mêmes ce qui est à l’origine de certaines de leurs souffrances. En encourageant ces praticiens, l’Église s’inscrit dans sa Tradition la plus constante.
Et cependant, l’Église est aujourd’hui invitée à être attentive à ce qui est proposé par des groupes de chrétiens organisant des sessions de guérison dites « psycho-spirituelles ». Ces sessions attirent de plus en plus de chrétiens qui les perçoivent comme un ministère offert par l’Église au nom du Christ. L’importance de leur attrait urge la vigilance que doit exercer tout évêque sur de telles propositions faites dans son diocèse. Il est de sa responsabilité de vérifier l’authenticité évangélique de ce qui est proposé. C’est cette responsabilité-même qui est à l’origine de la création de notre groupe de réflexion. Ce groupe est en mesure aujourd’hui de lister des points de vigilance qui semblent mériter attention en raison de déviances souvent présentes.
Le succès de ces sessions et de l’accompagnement psycho-spirituel qui s’y pratique manifeste qu’une attente actuelle de chrétiens est ainsi rejointe et reçoit une réponse qui les satisfait. Il en résulte que la réputation et le pouvoir que l’on accorde à ces sessions suscitent un véritable engouement. Parmi ceux qui s’y inscrivent, nombreux sont ceux qui, dans leur mise en œuvre, mêlent deux domaines : celui de la vie spirituelle et celui de la vie psychologique. Les personnes qui font confiance aux animateurs de ces sessions et à ces accompagnateurs, perçoivent comme un « plus » le fait que l’écoute qu’on leur offre soit tout à la fois spirituelle et psychologique. Elles ne semblent pas réaliser que ce type d’écoute peut engendrer des confusions, parfois lourdes de conséquences malheureuses. Comment distinguer la vie spirituelle de la vie psychique lorsqu’en une seule démarche, on s’adresse à la même personne ou au même groupe de personnes ? Une meilleure connaissance de la Tradition leur ferait saisir qu’une écoute spirituelle et une écoute psychologique requièrent des personnes compétentes et des lieux différents. D’où l’interrogation que l’épiscopat doit absolument se poser :
Ces accompagnateurs et ces animateurs de sessions psycho-spirituelles méritent-ils la confiance que leur font tant de chrétiens ?
– Spirituellement, leur foi est-elle éclairée ? L’objet de leur espérance est-il vraiment le Royaume ? Sur quel discernement se fonde leur désir d’aider ceux qui souffrent en leur parlant avant tout de guérison ?
– Quelle formation sérieuse ont reçu ces personnes qui se disent « accompagnateurs » ?
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Durant l’année écoulée, notre Groupe de réflexion a élaboré plusieurs documents qui, nous l’espérons, soutiendront les évêques dans leur responsabilité de vigilance pastorale.
1) Le Père Claude Flipo (cf. annexe 1) rappelle que l’Église a acquis, de par sa longue expérience, une réelle sagesse. Les situations malheureuses de personnes ayant fait confiance à un tiers ayant exercé une autorité sur elles, notamment dans la vie religieuse, ont été à l’origine de règles de sagesse qu’il serait malheureux d’ignorer ou de transgresser :
– distinction du for externe et du for interne,
– impératif de la plus grande discrétion en tout ce qui touche le for interne,
– distinction de l’autorité de directeur spirituel et de celle du Supérieur, responsable de la réalité ecclésiale qui lui est confiée,
– observation des exigences de la loi civile qui encadre désormais la fonction de psychothérapeute.
Il est loin d’être évident que les actuels directeurs ou animateurs de sessions psycho-spirituelles répondent à ces exigences. Un tel constat concerne la responsabilité épiscopale dans la mesure où ceux-là laissent entendre au peuple de Dieu qu’ils ont la confiance de la hiérarchie et qu’ils exercent un ministère d’Église. S’il arrivait qu’un évêque reste silencieux sur cette question, son silence ne pourrait être interprété que comme une approbation. Ne risquerait-on pas, alors, que les erreurs et les abus soient dévoilés seulement au cours de procès civils intentés par des victimes : manipulation mentale, manipulation psychologique, exercice illégal de soins psychothérapeutiques, abus financiers même ? La bonne volonté, la générosité ne garantissent pas la qualité du service. Les exigences de formation requises pour les directeurs spirituels dans les séminaires indiquent la voie de ce qui pourrait être demandé à ceux qui se retrouvent, de fait, en situation d’accompagnateur spirituel.
2) Le Père Étienne Garin (cf. annexe 2) aide à comprendre où se situe le risque de déviance des démarches psycho-spirituelles : le danger ne réside pas dans le souci d’être attentif à la réalité psychosociologique, car tout accompagnateur spirituel classique doit l’être ; il provient de l’importance primordiale attribuée à la santé psychosociologique, comme si celle-ci était nécessaire pour que la vie spirituelle soit possible. Cela nous invite à deux réflexions :
La dissymétrie des interfaces. La vie spirituelle chrétienne est don en nous de la vie qui est en Dieu, don de l’Esprit Saint. Cette vie peut avoir et a des effets sur le corps et la réalité psycho-familiale de la personne qui l’accueille, notamment des effets de guérison psychique et biologique. En revanche, l’amélioration de la santé du corps et du bien-être psychologique n’induit pas une meilleure vie spirituelle, ni une conversion. « Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit ». L’ordre de la charité transcende les domaines du corps et de l’être psychosociologique.
Une démarche psycho-spirituelle fait vivre simultanément aux personnes deux mouvements orientés en sens opposés :
– le mouvement de la vie spirituelle les tourne vers Dieu ; il est accueil de la Parole et de la miséricorde divine, offertes à tous gratuitement ; il oriente la personne vers Dieu.
– le mouvement de la vie psychosociologique est œuvre du sujet qui met lui-même en activité ses facultés. Il centre donc le sujet sur lui-même.
Quand quelqu’un souffre et qu’on lui demande de se souvenir des traumatismes qui pourraient être à l’origine de sa souffrance, il y a fort à croire que son tourment deviendra l’objet principal de la session ; la Parole risque de n’être plus écoutée que comme moyen de guérison et non comme présence du Seigneur lui-même. La démarche glissera vers un travail à caractère psychologique. Est-ce là l’objet d’un ministère d’Église ?
3) Psychiatre et psychanalyste, le Docteur Bertrand Guiouillier pose un regard de praticien (cf. annexe 3). Son expérience de psychothérapeute lui permet de saisir rapidement ce qui serait faute professionnelle de sa part s’il agissait de telle ou telle façon. Sa compétence lui interdit toute tolérance vis-à-vis de propositions déontologiquement inacceptables.
L’analyse qu’il a faite d’un livret de déroulement de l’une de ces sessions n’a pas surpris les membres du Groupe de réflexion. Tous ont retrouvé dans son texte ce qu’ils constatent depuis longtemps en écoutant les personnes leur parler – en bien ou en mal – de ces moments. Les contributions de M. Bertran Chaudet et Sr Marie-Ancilla, confidents de nombreuses plaintes, se trouvent clairement résumées dans cette analyse, si bien que notre Groupe ne les a pas jointes au dossier. Elles illustrent, à travers des exemples concrets, les défaillances et fautes professionnelles en matière de psychothérapie relevées par le Dr Guiouillier :
– méconnaissance de la psychologie de base, conduisant à des interprétations erronées et des explications simplistes et réductrices ;
– interprétation unique et qui s’impose à partir de ce qui est imaginé et projeté tout au long d’une anamnèse. Le récit de la personne écoutée devient fiction, alors qu’elle est affirmée réalité historique ;
– glissement du psychoaffectif au spirituel…
Citons sa conclusion : « La démarche d’offrir des réponses toutes faites à des questions ou blessures personnelles peut apporter un soulagement dans un premier temps car le sujet a l’illusion d’avoir trouvé la raison de ses maux. Mais non seulement elle n’ouvre pas la voie vers un travail personnel d’élaboration de ses propres conflits psychiques mais elle risque au contraire d’aboutir à une fermeture personnelle, voire à des ruptures relationnelles en rapport avec des boucs émissaires désignés ».
Dans une seconde contribution (cf. annexe 3bis), le Docteur Bertrand Guiouillier essaie de mettre en tableau les principaux traits qui invitent à ne pas rester dans l’indistinction de la vie spirituelle et de la vie psychologique : leur logique et leur dynamisme sont très différents, même si les effets d’une écoute bienveillante sont communs. Quelle conséquence ? Lorsqu’une session ou un accompagnement se centre avant tout sur l’obtention d’un apaisement affectif, il peut paraître inutile de savoir si cette guérison a pour origine un don de Dieu ou un travail à caractère psychothérapeutique. Mais n’en résultera-t-il pas l’attribution de cette guérison volontiers à Dieu, alors qu’elle n’était que le fruit du travail à caractère psychothérapique ? L’accompagnement et les démarches psycho-spirituelles maintiennent dans cette confusion.
4) Les « blessés de la vie » (cf. annexe 4)
L’expression est devenue courante dans nos sociétés de consommation, qui reconnaissent de plus en plus des victimes dans les personnes ainsi désignées : elles n’auraient pas reçu de la société ce qui leur serait dû. D’où une étonnante vision anthropologique sur laquelle sont fondées les démarches psycho-spirituelles et qui peut se formuler ainsi : l’homme ne devrait pas être blessé, mais nous le sommes tous de façon multiple car nous n’avons pas été aimés comme nous aurions dû l’être ; des blessures se sont accumulées depuis notre conception et chacune a été un traumatisme lourd de conséquences. Et voici l’affirmation essentielle : ces blessures guériront si nous pardonnons à ceux qui nous les ont faites.
Il est habituel aux accompagnateurs et animateurs de sessions psycho-spirituelles de s’efforcer d’aider ceux qui viennent à eux en leur demandant de se remettre en mémoire les blessures qu’ils auraient reçues depuis leur conception jusqu’au moment présent – et de demander à l’Esprit Saint de les leur révéler s’ils n’en ont pas le souvenir : ils pourront ainsi pardonner aux auteurs de ces blessures – auteurs parfois imaginés, mais toujours accusés – et seront de ce fait guéris.
Deux réflexions invitent à prendre conscience de l’ambiguïté de cette démarche :
– Les récits de guérison rapportés par les évangiles l’ignorent. Jésus lui-même n’a pas été guéri des blessures que lui ont faites les hommes. Ressuscité, il nous les présente glorifiées : elles nous manifestent le Salut.
– Affirmer que toute blessure est due au traumatisme causé par un manque d’amour, et se centrer sur la recherche de la personne qui en serait responsable pour lui pardonner, n’est-ce pas mettre celui qui se situe comme blessé en attitude d’accusation d’autrui ? De plus, s’il est demandé à l’Esprit Saint de révéler les auteurs des blessures, n’est-ce pas risquer de faire de l’Esprit Saint un esprit accusateur ? N’est-ce pas interpréter faussement la mission de l’Esprit de Vérité ?
Par ailleurs, insister sur la recherche de ceux ou celles qui auraient blessé la personne concernée, n’est-ce pas détourner son attention de ce qui, en fait, blesse principalement sa vie spirituelle, à savoir son péché ?
5) En tant que théologien, le Père Étienne Michelin (cf. annexe 5) resitue dans la mission pérenne de l’Église les démarches psycho-spirituelles actuelles, avant tout préoccupées de guérison. Pour que les propositions faites puissent être reconnues par l’Église catholique, il est essentiel d’avoir l’assurance qu’elles sont fidèles à ce qui est fondamental : la réalité du Salut dans le Christ, l’anthropologie chrétienne et la transmission par la communauté ecclésiale dont la famille est l’élément de base. Sur ces points, la responsabilité de chaque évêque est d’une grande importance, principalement vis-à-vis des plus fragiles.
En revanche, il n’y a pas lieu de s’étonner que des propositions nouvelles nous déconcertent dans la mesure où elles cherchent à répondre à des attentes prenant un regain d’importance à notre époque, et notamment en France. Ainsi des aspects du Salut quelque peu tus ou négligés dans la doctrine catholique sont rappelés par l’ouverture œcuménique et les préoccupations influentes de notre société actuelle. Par exemple :
– la dimension affective de la relation au Christ a, sans aucun doute, retrouvé sa place, grâce en partie au Renouveau Charismatique d’origine Pentecôtiste ;
– la vie spirituelle est à nouveau reconnue dans sa dimension d’ « expérience personnelle », après des décades où l’insistance était mise sur l’engagement social ;
– le souci de la santé qui règne dans nos sociétés – préoccupées de bien-être – a remis en mémoire la dimension « guérissante » du Salut ;
– la vulgarisation des soins psychothérapiques attire l’attention du clergé et influence l’action pastorale.
Tout cela bouscule… mais manifeste que le Peuple de Dieu est bien vivant ! Devant cette créativité « pastorale », les évêques ne peuvent que se réjouir, mais à condition de rester clairvoyants. S’ils ont à interpeller des fonctionnements ou des personnes devant certains tâtonnements et même ambiguïtés, ce ne peut être qu’en veillant soigneusement à ce que les traits pérennes de la mission de l’Église soient respectés. Notre Groupe de réflexion a clairement conscience que beaucoup de démarches psycho-spirituelles actuellement en vogue dans notre pays ne respectent pas ces traits pérennes de la mission de l’Église.
Ce que notre Groupe de réflexion recommanderait volontiers aux évêques de notre pays
Affirmons d’abord que notre Groupe a éprouvé de la joie à réfléchir à ces initiatives. Elles laissent entendre, au-delà de leurs ambiguïtés, que des chrétiens s’engagent avec audace au nom de leur souci de l’homme pour inventer, proposer, organiser des démarches centrées sur la recherche d’un mieux-être. Mais ce même Groupe de réflexion n’hésite pas à formuler quelques vives recommandations :
Il convient d’éviter, malgré leur grand impact, d’accréditer les sessions de guérison intérieure lorsqu’elles n’offrent pas les conditions nécessaires pour mettre en œuvre la distinction fondamentale entre la vie spirituelle et la vie psychique. Il s’agit également de veiller à ne pas s’y rendre présent de manière officielle. La moindre marque publique d’intérêt ou le plus petit signe officiel d’attention risque d’être présentés ensuite comme une approbation et même un envoi. Ces propositions sont entachées de « messianisme temporel ». Les baptisés méritent mieux, et ce serait mésestimer leur foi que de les laisser penser que l’Évangile se réduit à cela.
Il peut apparaître nécessaire de refuser de telles démarches dans un diocèse. Ce qui est sûr est qu’il importe d’obtenir que les prêtres du diocèse ne contredisent pas cette attitude de prudence de leur évêque.
Il importe de tout faire pour que ces « organisateurs de sessions » soient davantage accompagnés, interpellés et remis en question par des théologiens et maîtres spirituels chevronnés. Il revient à l’évêque de l’exiger, mais il ne serait guère opportun qu’il effectue cette tâche lui-même.
• Nombre de personnes ou de familles ont été victimes de ces ″sessions de guérisons intérieures″, ou de ″prières de guérison″, menées sans discernement et aboutissant parfois à des ruptures entre conjoints ou entre parents et enfants. Certaines familles victimes ont pris conscience de ces dérives et ont demandé à des responsables ecclésiaux d’intervenir. Leurs dossiers sont consistants et factuels. Ils n’ont à ce jour trouvé aucune réponse satisfaisante. Ces familles ont alors fait appel aux pouvoirs publics, à la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), si bien que des enquêtes sont en cours. Des articles, émissions de télévision et de radio seraient prévus pour les mois à venir. Ces familles sont en attente d’une position claire des autorités ecclésiales. Elles demandent que leurs proches, dont la mémoire est maintenant habitée par de faux souvenirs induits, puissent être écoutés par des personnes compétentes pour tenter de réparer les préjudices moraux et parfois financiers occasionnés par ces dérives.
• Sans doute faudrait-il enseigner plus souvent que tout sacrement, notamment celui de la réconciliation, offre un fruit de guérison, et que celle-ci est avant tout conversion. Cette conversion permet à la grâce du sacrement de porter des fruits de guérison psychosociologique, et même physique, en réordonnant tout l’être intérieur.
• Veillons aussi à encourager les groupes dans lesquels s’approfondit la connaissance de l’Écriture, et surtout celle des récits de la Passion et de la Résurrection qui nous révèlent une toute autre manière de vivre nos blessures. C’est bien ce que le Concile Vatican II nous suggère dans la dernière phrase de la Constitution dogmatique Dei Verbum : « De même que l’Église reçoit un accroissement de vie par la fréquentation assidue du mystère eucharistique, ainsi peut-on espérer qu’un renouveau de la vie spirituelle jaillira d’une vénération croissante pour la parole de Dieu qui « demeure à jamais » (Is 40,8 et 1 P 1,23-25) ».
Quelques questions susceptibles d’aider à la réflexion
Ce n’est pas sans raison que ces sessions emploient, pour se définir, le qualificatif de « psycho-spirituelles ». Travail à caractère psychothérapeutique et prière sont proposés ensemble. La démarche se veut holistique : les phénomènes biologiques, psychologiques et spirituels sont vécus comme un tout. Une telle démarche maintient dans l’ignorance de la réalité des interfaces entre les trois ordres de Pascal .
– Pourquoi une telle importance accordée aux blessures, comme si la sainteté exigeait leur guérison ? Il faudrait en conclure que la vie spirituelle serait déterminée par les événements et les conditionnements de notre histoire psychosociologique. N’est-elle pas un don gratuit que tout homme reçoit par sa foi en Jésus-Christ, quel que soit son état physique et psychosociologique ?
– Le Salut en Jésus-Christ est-il vraiment annoncé ? L’objectif de ces sessions est de procurer un mieux-être. Ne conduit-il pas à réduire la Parole à un moyen au service de celui qui souffre?
– L’utilisation des sciences humaines est-elle vécue avec une compétence en rapport avec leur possible impact sur la vie des personnes ? La psychogenèse réfute le déterminisme qui transforme toute personne souffrante en victime. Ce genre de déterminisme réduit considérablement la responsabilité de la personne par rapport à l’état psychologique où elle se trouve.
Nous avons conscience que ce travail doit être poursuivi. Comment ?
– soit par le nouvel évêque qui accompagnerait la poursuite du groupe de réflexion « Spirituel et Psychologie » ;
– soit par un groupe spécifique à constituer.
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GROUPE DE RÉFLEXION « SPIRITUEL ET PSYCHOLOGIE »
ANNEXE 1
Note sur « For interne/For externe »
Père Claude Flipo, s.j. (Lille)
Cette distinction – qui recoupe plus ou moins les couples subjectif/objectif, privé/public, secret/révélé – est devenue plus floue en fonction des développements de la communication. C’est ainsi que la CNIL a été instituée en 1978 pour protéger la vie privée et les libertés dans un monde interconnecté : seules les personnes « autorisées » peuvent accéder aux données personnelles contenues dans un fichier informatique. Que dire aujourd’hui du secret médical, du secret de l’instruction, de la discrétion dans toutes les formes de la relation d’aide, coaching, psychothérapies, etc. ? Dans l’Église, la question se pose à l’occasion du développement de l’accompagnement spirituel, vécu dans les communautés de base comme dans l’entretien individuel, en particulier quand cet accompagnement adopte les pratiques plus ou moins avouées de certaines psychothérapies (anamnèse, transfert, analyse, interprétation…) ou les méthodes des stages du « développement personnel » (ennéagramme…).
En vocabulaire juridique, le for (du latin forum, place publique) désigne le lieu où une affaire est jugée. D’où la distinction du droit canonique entre for interne (ou intérieur), correspondant au jugement de la conscience et qui relève du secret, et for externe (ou extérieur), correspondant au
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Repères historiques
La tradition ecclésiale a clarifié et imposé progressivement cette distinction, non seulement à propos du secret de la confession au prêtre – qui ne laisse aucun doute -, mais à propos de l’ouverture de conscience dans la tradition monastique depuis les pères du désert, puis de la direction de conscience proprement dite dans les congrégations religieuses et, depuis leur fondation, dans les séminaires. On trouve mention de cette ouverture dans la Règle de saint Benoît : « Qu’ils s’ouvrent de leurs fautes cachées à l’Abbé ou aux anciens, hommes spirituels qui savent guérir les blessures sans les divulguer ». La pratique de cette ouverture s’est développée chez les moines et les moniales, même si les Constitutions des grands ordres du XIIIe siècle n’en parlent guère explicitement. Au XVIe siècle, les Constitutions de la Compagnie de Jésus lui donnent une importance accrue en fonction de la mission confiée : le « compte de conscience » au supérieur majeur devient obligatoire, qu’il soit rendu en confession ou en dehors. Le supérieur peut, sous certaines conditions (toute révélation d’un secret étant interdite), user de la science qu’il acquiert ainsi tant pour le bien du sujet que pour celui de l’Ordre.
Cette pratique devait être reprise et adaptée, du XVIIe au XIXe siècles, dans de nombreux instituts religieux d’hommes et de femmes. Mais son application allait aboutir à de graves abus : des supérieures ont pu estimer qu’elles étaient établies pour assumer le rôle de directeur de conscience. Il en est résulté trop souvent « une réglementation officielle de la confiance, une ingérence abusive, l’annihilation du confesseur et de sa divine mission ». L’aveu des péchés était demandé, les conseils étaient donnés sans compétence, et le secret était mal gardé.
Aussi, par son décret Quemadmodum du 17 décembre 1890, approuvé par Léon XIII, la Congrégation des évêques et réguliers devait-elle prendre une mesure radicale : liberté pleine est laissée aux sujets de s’ouvrir spontanément à leur supérieure ou non. Mais celles-ci ne peuvent l’exiger. Le Pape abrogeait toute disposition portant l’obligation, définie par les Constitutions d’instituts laïcs ou sanctionnée par des coutumes mêmes immémoriales. Toute pression de la part de la supérieure, directe ou indirecte, est interdite. En 1917, le Code étend ce décret à tous les instituts religieux d’hommes ou de femmes, de clercs ou de laïcs, ainsi qu’aux sociétés de vie commune. Il maintient la possibilité d’une ouverture de conscience, mais sous condition de liberté. La révélation des « doutes et anxiétés de conscience » n’est à faire au supérieur que s’il est prêtre. Le « Directoire Canonique sur la vie consacrée et les sociétés de vie apostolique », publié en 1986, suite au nouveau Code de 1983, n’ajoute rien à ces décisions : l’accompagnement spirituel est proposé aux religieux comme un moyen de croissance. Le religieux peut chercher librement cet accompagnement auprès de son supérieur ou de sa supérieure (et le Code encourage cette confiance), ou auprès d’un religieux ou prêtre de son choix. Les supérieurs ne peuvent en aucune façon exiger la manifestation de conscience de leurs sujets .
Nouvelle donne
La question du for interne s’est posée à nouveau avec l’éclosion des « communautés nouvelles », qui – même approuvées par l’Église – n’ont pas toujours eu conscience du poids de sagesse des traditions religieuses, du fait de la diversité des modes d’appartenance de leurs membres et du statut de l’autorité dans leurs groupes. Dans quelle mesure leurs accompagnateurs spirituels sont-ils réellement formés ? Comment sont-ils mandatés par l’Église ? Quel rapport entretiennent-ils avec l’autorité ? Quelle discrétion garde-t-on dans la pratique de la supervision ?
Ces questions s’imposent d’autant plus à l’attention que se développent, au sein de la mouvance charismatique, des pratiques de guérison qui modifient la nature même de la direction spirituelle. On peut se demander comment est authentifié ce qu’on entend par « charisme de guérison », et avec quelle discrétion il est exercé. À lire certains documents et témoignages, on a le sentiment qu’en focalisant l’attention sur la « guérison des blessures », la personne concernée est invitée à se considérer comme victime plutôt que responsable de sa vie, comme malade plutôt que pécheur, en quête de santé mentale plutôt que de vitalité spirituelle. À la limite, c’est la notion de conscience qui devient floue. La direction de conscience peut alors se muer en écoute psychologisante, l’examen de conscience en anamnèse des traumatismes psychiques, le sens moral de la responsabilité personnelle en analyse des origines de la névrose. Sous couvert d’un accompagnement spirituel nommé « psycho-spirituel », on glisse alors insensiblement vers des pratiques psychothérapeutiques mal définies, sans respecter les distinctions nécessaires. Alors que l’accompagnement spirituel vise à aider un chrétien à progresser dans la docilité à l’Esprit Saint – en prenant conscience des « signes » de son action dans sa vie, en écartant les affections désordonnées et en luttant contre les passions de l’âme -, la psychothérapie, de son côté, est attentive aux « symptômes » d’un disfonctionnement interne du psychisme, dû en particulier aux carences affectives de l’enfance.
Remarquons à ce sujet que la Loi sur la politique de santé du 30 juillet 2004 réserve l’usage du titre de psychothérapeute aux professionnels, inscrits au registre national sur des listes départementales mentionnant les formations suivies. Son Décret d’application (n° 2010-534), paru le 20 mai 2010, précise les modalités de ces formations, les capacités requises pour y prétendre (doctorat en médecine ou master en psychologie) et le mode d’agrément des établissements qui les donnent. Par ailleurs, le Code de déontologie de l’Association Européenne de Psychothérapie (1995) stipule : « Le praticien de la psychothérapie est strictement soumis à la règle du secret professionnel ». Ce devoir s’étend, en particulier, « à l’entourage familial, aux médecins, auxiliaires médicaux, établissements soignants et administrations de tutelle ». Il couvre « toute information acquise à l’occasion de l’activité professionnelle… y compris l’identité du/des sujets ». « Ce n’est que lorsque les nécessités de la thérapeutique exigent la collaboration avec des personnes donnant des soins au sujet que le praticien pourra partager de telles informations concernant le sujet, et avec l’accord express de ce dernier ».
On dira peut-être que les pratiques de la « guérison des blessures » relève de l’accompagnement spirituel ou, comme il est dit, de l’accompagnement « psycho-spirituel » ; mais cette ambiguïté autorise ainsi des manières de faire qui ne relèvent d’aucune discipline objective reconnue, et elle expose alors aux dérives sectaires.
Le respect de la distinction des dimensions spirituelle et psychologique de la conscience suppose ainsi, de la part des accompagnateurs, une sérieuse formation à l’accompagnement spirituel (qui n’est pas seulement un charisme, mais un art et une compétence reconnus et entretenus). Elle suppose aussi de nos jours une suffisante formation psychologique (sans parler du bon sens et d’un sain jugement) qui permette de saisir quelque peu le fonctionnement psychique des personnes, de ne pas confondre les domaines et d’user des remèdes appropriés, en sachant, quand il le faut, orienter les personnes vers des psychothérapeutes sages, et choisis à l’extérieur des communautés.
Dans les séminaires
À ce sujet, on pourrait s’inspirer des règles qui président à la distinction for externe/interne dans les séminaires sulpiciens. « Dans les décisions à prendre concernant l’admission des séminaristes aux ordres ou leur renvoi du séminaire, l’avis du directeur spirituel ne peut en aucun cas être demandé, ni celui des confesseurs » (DC 240,2). Pour l’Église universelle, la non-perméabilité des deux instances ne souffre donc pas d’exception, fait remarquer Bernard Pitaud : « Il ne s’agit donc pas, comme on le dit parfois, d’une pratique qui serait liée aux séminaires de l’École Française » , même si celle-ci règle les rapports entre la responsabilité du Conseil et celle du directeur spirituel selon des modalités qui pourraient inspirer le fonctionnement des communautés chrétiennes. À savoir :
– Le respect strict de la distinction des fors externe et interne est au service de la liberté spirituelle des personnes.
– Le for interne regarde la conscience, là où la liberté s’engage au plan moral et religieux par un discernement spirituel. Celui-ci se fait avec l’aide et l’avis du directeur spirituel, lequel est tenu au secret. Mais c’est la conscience du sujet qui est le lieu de sa décision.
– Le for externe est l’instance ou le Conseil mandaté par l’évêque pour le gouvernement de la communauté (au séminaire : pour présenter le candidat à l’ordination).
– Le supérieur est chargé d’assurer à chacun le service d’un accompagnement personnel, mais il n’est pas lui-même le directeur spirituel.
– Le directeur spirituel ne parle jamais ni au Conseil ni en-dehors du Conseil de ceux qu’il accompagne. Il se tait. Mais il entendra au Conseil d’autres points de vue que le sien sur celui qu’il accompagne. Il ne pourra certes pas parler à son dirigé de ce qu’il a entendu, mais il s’en aidera pour mieux le conseiller.
Ainsi, « chacun de son côté – for externe et for interne – essaie de se soumettre à l’Esprit Saint. N’est-ce pas finalement la source de la confiance qu’ils peuvent se faire l’un à l’autre ? ».
Ces pratiques ont évolué de manière progressive depuis le tournant du XVIIIe siècle jusqu’au XXe siècle, où elles prennent leur forme stricte actuelle.
Janvier 2011
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ANNEXE 2
Qu’entendons-nous par vie spirituelle chrétienne et vie psychique ?
Père Étienne Garin, s.j. (Paris)
I – L’homme est un vivant en ce monde. Le dynamisme qui l’anime a deux origines :
La vie psychique par laquelle l’homme s’affirme sujet, se réalisant lui-même au sein du cosmos et de la communauté humaine. Parler d’un sujet, c’est l’affirmer comme étant une personne, un être conscient de soi, capable de relations et de faire des choix pour des motifs, de s’adapter et de comprendre. C’est le sujet qui génère sa vie psychique tout au long de son histoire en exerçant ses facultés (sens, imagination, intelligence, mémoire, volonté). Cette activité produit en l’homme des phénomènes psychiques (sensations, perceptions, sentiments, images, idées, jugements, raisonnements, souvenirs, désirs, décisions). Le sujet crée et organise lui-même les représentations mentales de cette vie. L’intérêt de l’apport freudien est de souligner que l’ensemble de ces activités est fortement marqué par les tonalités de plaisir et de déplaisir. C’est ainsi que se mettent progressivement en place des structures internes qui seront remaniées tout au long de l’histoire de chacun. La vie psychique est le fruit d’une psychogenèse.
La vie spirituelle est, pour le chrétien, don de Dieu. « Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal, au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur : « Fais ceci, évite cela » » (Gaudium et Spes, n° 16).
Grâce à la Révélation, le chrétien a une claire conscience de l’inouï de ce don que Dieu propose à l‘homme : celui du « pouvoir de devenir enfant de Dieu » (Jn 1,12). Baptisé, il se reconnaît personnellement animé par l’Esprit Saint ; cette présence se manifeste par la foi, l’espérance, la charité, les dons spirituels et les charismes… qui font de lui un disciple du Christ et, de ce fait, un enfant du Père. « Ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu » (Rm 8,14).
La vie spirituelle chrétienne est celle des enfants de Dieu conduits par l’Esprit de Dieu.
Bien que d’un autre ordre que celui de la vie biologique et de la vie psychique, cette vie spirituelle ne peut se manifester qu’en animant notre corps et notre psychisme.
Don gratuit de Dieu, elle transcende tous les conditionnements de notre univers et donc tous ceux de notre histoire. Elle n’est donc pas déterminée par l’éducation reçue ; cette dernière en favorise ou non l’expression. La relation de Jésus à son Père n’est aucunement déterminée par les événements, les attitudes de ses contemporains, les insultes ou les rejets qui l’atteignent, les blessures qui marquent son corps. Sa relation à son Père est simplement filiale, toujours confiante même lors de son agonie. Or la vie spirituelle chrétienne est le don d’une participation à cette vie filiale.
Ainsi en toutes circonstances, le chrétien s’engage-t-il à vivre à l’écoute de l’Esprit Saint, qui l’invite à ordonner de façon nouvelle toute sa vie psychosociologique en la conformant à celle du Christ Jésus.
II – Les interfaces vie spirituelle/vie psychique et vie spirituelle/vie biologique
La vie spirituelle chrétienne est don de Dieu. Elle n’est aucunement déterminée par l’état du corps et du psychisme de la personne, donc autonome. Des personnes handicapées physiques ou mentales manifestent parfois une vie spirituelle bouleversante. Des personnes souffrant de graves troubles psychiques, parfois même psychotiques au dire des médecins, peuvent vivre une authentique sainteté. Cette autonomie de la vie spirituelle chrétienne en l’homme n’exclut pas une action et par conséquent des effets sur son corps (regain de santé, guérisons…) et sa vie psychique (libérations de dépendances malheureuses…).
L’interface vie psychique/vie spirituelle
Nul chrétien n’est en droit d’imaginer, ou même de penser, que la mise en œuvre de l’une ou l’autre de ses facultés psychiques peut faire naître en lui une vie spirituelle qui ne peut être que don de Dieu. Seul l’Esprit du Seigneur peut nous faire nous écrier : « Abba » (Rm 8,15) et nous donner ainsi de participer par la foi en Jésus-Christ à sa propre relation au Père. C’est ce que Jésus déclare à Nicodème : « Qui n’est pas engendré d’eau et d’esprit ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair et ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne t’étonne pas que je te dise : il vous faut être engendrés d’en-haut » (Jn 3,5-7).
L’interface vie biologique/vie spirituelle
Nul chrétien n’est en droit d’imaginer qu’un excellent dynamisme biologique pourrait produire, par lui-même, une quelconque divinisation de son être corporel.
« De tous les corps ensemble on ne saurait faire réussir une petite pensée. Cela est impossible et d’un autre ordre. De tous les corps et les esprits on n’en saurait tirer un mouvement de vraie charité, cela est impossible et d’un autre ordre, surnaturel » (Pascal, Pensées, L.308. B. 793).
III – Le psycho-spirituel : une nébuleuse
L’expression « psycho-spirituel » recouvre une multitude de propositions qui ont en commun d’inclure des démarches spirituelles et des démarches psychiques. Ces propositions peuvent révéler :
Une ignorance de ce qu’est la vie spirituelle chrétienne
Pour beaucoup de nos contemporains, la vie spirituelle n’est que la vie psychique dans son déploiement le plus affiné. Elle serait donc la fine pointe de la vie psychique, de même nature qu’elle, du même ordre. C’est en développant le psychisme, le mental surtout, que l’homme se découvrirait spirituel. Il atteindrait ainsi un état de conscience supérieur, proche du divin. Autant dire tout de suite que cela équivaudrait à une ignorance radicale de l’expérience chrétienne dans la foi qui est celle de relations personnelles avec le Père, le Fils et l’Esprit Saint.
Une incapacité à distinguer la vie psychique de la vie spirituelle qui laisse dans une certaine confusion.
Dès lors, les démarches proposées mènent les deux réalités de front. Même si elles tentent de les distinguer, elles n’y parviennent pas faute de pouvoir préciser le domaine propre à l’une et à l’autre.
En Occident, ce fut une préoccupation permanente de distinguer la vie spirituelle chrétienne, surtout lorsqu’elle était reconnue « mystique », de la culture religieuse. Les écrits des Pères de l’Église montrent toute l’attention qu’ils y portèrent en raison de leur propre expérience. De nos jours, dans nos universités catholiques, un cours de théologie, d’exégèse ou de morale se refuse à proposer aux étudiants une démarche spirituelle. Les exigences de la rationalité sont à distinguer des initiatives de l’Esprit Saint qui sont à la source de toute vie spirituelle.
Toutefois, la distinction ne s’est jamais traduite par une séparation. Si l’autonomie de la vie spirituelle est signifiée par la distinction entre les cours d’instruction ou de formation religieuse et les temps de prière, il n’empêche que la chapelle est habituellement incluse dans l’ensemble des bâtiments des universités ou des écoles catholiques.
Une distinction vie psychique/vie spirituelle affirmée, mais la vie spirituelle chrétienne est déclarée déterminée de quelque manière par la vie psychique.
Il y aurait une sorte de primauté de la vie psychique qui serait ainsi de quelque façon condition pour que puisse se déployer une authentique vie spirituelle. Un parallèle erroné avec la primauté de la vie biologique sur la vie psychique inspirerait ce propos : lorsque le cerveau est malformé, la vie psychique s’en ressent et il en serait de même pour la vie spirituelle lorsque la vie psychique est blessée, malade ou défaillante. Il s’ensuivrait qu’il faudrait soigner d’abord le psychisme pour qu’il puisse y avoir une réelle vie spirituelle. Or la tradition chrétienne affirme la transcendance radicale de la vie spirituelle chrétienne. Une personne handicapée physique ou mentale est reconnue, par le baptême, capable de vivre pleinement de l’Esprit des enfants du Père. Il serait illusoire de penser qu’en améliorant son état physique ou psychique, un homme accéderait de ce fait plus facilement à une vie spirituelle plus authentique.
IV – La difficulté structurelle des démarches psycho-spirituelles
Celles-ci maintiennent dans une situation difficile ceux qui les vivent, car elles leur demandent de vivre des mouvements de sens contraire.
– En effet, le mouvement de la vie spirituelle chrétienne est accueil de la miséricorde offerte à tous par Jésus, l’envoyé du Père. Sa parole nous propose de faire nôtre le don de Dieu, qui est relation aux personnes de la Trinité et nous envoie dans le monde à la suite du Christ. La vie spirituelle est alors attente et disponibilité à l’amour du Seigneur pour les hommes.
– Le mouvement de la vie psychique est œuvre du sujet qui met en action ses facultés psychiques et biologiques ; il est donc centré sur lui-même.
Les dangers
1. La centration sur soi voile la radicalité de la vie spirituelle, pour les raisons suivantes :
– la difficulté de se détacher de soi ;
– la difficulté de renoncer à ruminer ses blessures ;
– la recherche des causes ou explications de la situation malheureuse ;
– la volonté propre qui tient à réaliser ses désirs personnels.
2. La parole de Dieu est le plus souvent réduite à l’état de moyen au service du bien-être psychosociologique au lieu d’être accueillie pour être méditée et contemplée comme révélation de l’amour du Père manifesté en Jésus-Christ.
3. Un même itinéraire ne peut pas concilier les processus ou les déterminismes de la vie psychique et la liberté à laquelle nous invite la vie spirituelle.
4. Le vocabulaire employé dans de telles démarches se révèle parfois ambigu et source de graves confusions. Les mêmes mots sont utilisés pour des réalités différentes d’ordre psychique ou spirituel.
« Souffrance ». La souffrance psychique a pour origine des conflits intrapsychiques et concerne le moi. La souffrance spirituelle concerne la relation de l’homme à Dieu. Elle a pour origine soit le péché, soit le désir d’union à Dieu qui semblerait ne pas être donné.
Chercher à apaiser une souffrance psychique implique un travail psychique. Demander au Christ une guérison psychique fait de Jésus un moyen au service de mon bien-être psychosociologique. Or Jésus est venu pour nous sauver du péché, de la mort et pour nous révéler le dessein de Dieu qui est de lui donner une multitude de frères pour l’éternité.
« Blessures ». Toute blessure est psychique ou physique. La blessure psychique est subjective. Le sentiment pénible d’avoir été blessé résulte généralement de l’interprétation de l’attitude ou des actes des autres à mon égard, et il n’implique pas nécessairement que l’autre ait voulu volontairement me faire du mal.
La vie spirituelle ne saurait comporter des blessures car l’Amour n’est pas blessé : Jésus manifeste simplement que l’Amour en Lui est plus fort que toutes les blessures dont les hommes ont affligé son corps et son psychisme. Celui qui aime n’est pas blessé car, avant tout, il ne regarde que l’autre.
« Guérison ». Spirituellement, parler de guérison est analogique. Le mot qui convient est en effet celui de conversion. Le pécheur qui se convertit, se tourne vers le Seigneur, qui est miséricorde. S’il accueille le Salut, il est sauvé et recouvre la santé spirituelle, qui est sainteté. Dire, analogiquement, qu’il est spirituellement guéri, c’est affirmer qu’il est réconcilié et désire vivre en enfant du Père.
« Liberté ». La liberté spirituelle chrétienne est ce pouvoir de dire « oui » grâce à la lumière et à la force de l’Esprit Saint qui nous invite à écouter la Parole et à suivre Jésus en toutes circonstances. En revanche, la liberté psychique est le pouvoir de se déterminer à agir pour des motifs et sans aucune contrainte ni intérieure, ni extérieure. Celle-ci met en œuvre le libre arbitre, qui n’est que le pouvoir de choisir.
Janvier 2011
ANNEXE 3
Analyse du livret de retraite de Notre-Dame-du-Puy
Docteur Bertrand GUIOUILLIER
Psychiatre des Hôpitaux, psychanalyste, membre du GIREP
La lecture de ce livret nous inspire différentes réflexions, ainsi résumées.
Ce document mélange les registres.
Les auteurs associent du spirituel à du psychologique avec de manifestes méconnaissances de la psychologie de base, ce qui aboutit à des interprétations erronées et des raisonnements simplistes et réducteurs. Je cite : « Si ma naissance dure trop longtemps, j’ai le sentiment d’étouffer et, aujourd’hui, je souffre de claustrophobie. Si le cordon ombilical est enroulé autour de mon cou, je me sens pris à la gorge, sentiment que j’éprouve encore maintenant ». Ceci est faux, réducteur et dangereux, car figeant toute évolution.
La logique qui semble se dessiner au départ se perd au profit de la recherche d’une fin qui justifierait les moyens. Les mises en situations en sont l’illustration, où se confondent l’imaginaire et la réalité. Elles sont de véritables mises en scène, réductrices, volontairement dramatisantes. Elles établissent les conditions pour justifier le processus de restauration d’un homme imaginaire, parfait, sans faille. On peut s’interroger sur le fantasme de toute-puissance des auteurs de ce texte. Les parents, imparfaits par nature, sont ici disqualifiés dans leurs fonctions parentales et d’éducateurs. La figure paternelle est la plus dégradée, qualifiée d’absente, ce qui laisse beaucoup de place pour le père imaginaire parfait, tout puissant, qui est assimilé à Dieu dans un glissement du psychoaffectif au spirituel. D’emblée, dans la définition de l’agapè, la recherche de bouc-émissaire est annoncée. Il y a confusion entre l’événement et le traumatisme. Ce n’est pas l’événement qui fait trauma, comme le laisse penser le document, mais l’affect qui s’y rattache. En fait, les auteurs ne font pas la distinction. L’événement est interprété sans aucune analyse, sans aucune distance avec une généralisation abusive du trauma qu’il pourrait engendrer dans un lien linéaire de cause à effet. Après la confusion de l’imaginaire et de la réalité, il n’existe pas d’accès au symbolique. Le bouc-émissaire est recherché au lieu d’analyser la responsabilité individuelle. Les auteurs recherchent un agent extérieur pour tenter de déculpabiliser le sujet, ce qui peut le soulager dans un premier temps, mais à quel prix ? Ils utilisent le spirituel dans une fonction magique pour panser les plaies psychoaffectives qui ne seront en fait ni nommées, ni analysées, juste suggérées au risque de les induire. En effet, le registre émotionnel domine, sans l’aide de la pensée, puisqu’il est recommandé plusieurs fois au retraitant de ne pas réfléchir… ce qui laisse l’autre penser, réfléchir pour soi. L’exclusion de la réflexion induit une dépendance potentielle, terreau d’une soumission aveugle à un tiers susceptible de suggérer, d’interpréter les faits à sa place.
Pourquoi le corps traduirait-il ce que l’intelligence voudrait dissimuler, comme cela est écrit ? Ceci manifeste une confusion entre le conscient (assimilé à l’intellect) et l’inconscient (assimilé au corps). Si le corps peut, bien sûr, traduire des conflits de l’inconscient, il n’est pas la seule voie d’expression : le langage est aussi une voie élective. Que fait-on de la parole du sujet ? Par qui et comment est-elle accueillie ?
Pourquoi ce catalogue à la recherche du traumatisme, comme étant LA RÉVÉLATION, et dont la solution découlerait en même temps ?
La conception est réduite implicitement à la relation sexuelle, qui n’est pas nommée car niée dans sa fonction créatrice. Entachée, elle est l’expression d’une sexualité refoulée, mal assumée, non intégrée. La conception ne laisse pas place à la vie et à son potentiel créatif, à l’espérance. L’émotion transmise in utero est surestimée et figée, ne laissant pas place à une évolution adaptative, vivante. La distinction entre l’enfant imaginé, fantasmé par la mère, et l’enfant réel n’existe pas. Les figures parentales sont également figées, avec absence de place pour une évolution positive des relations maternelles et paternelles
On n’échappe pas à sa destinée. Il n’y a place ni pour des phénomènes de résilience, ni pour des évolutions positives de sorties des crises humaines, ni pour des relations d’étayage avec des substituts parentaux. La seule issue qui est proposée est le fantasme d’une restauration d’une vie idéalisée in utero, sans conflit, sans douleur, d’une fusion primitive mère-enfant ou l’invitation implicite à la régression. La figure maternelle est initialement positive mais se dégrade progressivement pour devenir castratrice, exclusive, mais ceci est en accord avec la fusion qui a été louée antérieurement. Là encore, il est fait appel à un dieu magique qui viendrait gommer les imperfections humaines, combler les manques constitutifs de la nature humaine. Le tiers accompagnateur colle manifestement à ce fantasme du bon parent. Rappelons que Winnicott a parlé de mère suffisamment bonne, pas de mère parfaite. Le recours à la glaise – je cite – « pour sentir la qualité de cette relation, belle ou douloureuse, que tu vis encore aujourd’hui avec lui [le père] », est purement et simplement une fabulation délirante.
L’adolescence est abordée seulement sur son versant négatif, source d’un profond malaise. Alors que, depuis le début de la lecture et l’analyse du document, on se demande pourquoi une telle place est réservée au traumatisme, la nature sexuelle des traumatismes (au pluriel dans le texte) s’impose comme une quasi-certitude. Pourquoi une telle importance lui est-elle donnée ? Est-ce la projection des auteurs du texte ? Estime-t-on que la fréquence des traumatismes sexuels justifie une telle place ? Est-ce que les auteurs du texte pensent que la majorité des retraitants seraient perturbés dans leur personnalité à cause d’abus sexuels ? Ce qui serait un parti-pris important. Il convient de noter au passage que les mécanismes de défense sont constitutifs de toute personnalité et ne résultent pas de traumatismes sexuels comme le laisserait penser la formulation du texte (p.104).
Il nous semble que cette question du traumatisme sexuel est centrale et constitue le soubassement – sinon la raison première implicite à décrypter – de la démarche proposée. La place réservée au traumatisme sexuel pourrait en revanche induire implicitement, non seulement la notion de la fréquence élevée, mais aussi la cause fantasmée ou réelle à tous les maux psychiques. C’est une hypothèse avancée initialement par Freud, qu’il a lui-même abandonnée ensuite dans ses travaux de recherche ultérieure.
La démarche d’offrir des réponses toutes faites à des questions ou blessures personnelles peut apporter un soulagement dans un premier temps, car le sujet a l’illusion d’avoir trouvé la raison à ses maux. Mais, non seulement elle n’ouvre pas la voie vers un travail personnel d’élaboration de ses propres conflits psychiques mais elle risque, au contraire, d’aboutir à une fermeture personnelle, voire à des ruptures relationnelles en rapport avec des boucs-émissaires désignés.
Février 2011
* * *
ANNEXE 3bis
Vie spirituelle et vie psychique : distinguer pour mieux unir
Docteur Bertrand GUIOUILLIER
Nous allons tenter d’aborder les liens qui unissent et séparent la vie psychique et la vie spirituelle, avec l’objectif d’ouvrir un débat beaucoup plus que d’enfermer une parole dans un domaine ou l’autre. « Vie psychique et vie spirituelle : une distinction nécessaire pour mieux unir », titre un article de Tony Anatrella, prêtre et psychanalyste. Cet auteur considère en effet que, trop souvent, elles sont confondues alors qu’elles représentent deux réalités distinctes, vécues dans l’unité de la personne humaine. Faut-il s’étonner cependant qu’elles utilisent certains mots identiques, car elles peuvent avoir des objectifs communs comme de soulager la souffrance ou de rechercher la vérité et la vie.
Pour les chrétiens, la vie spirituelle est un espace où s’engage un dialogue avec Dieu. Elle provient de l’action de Dieu, de son Esprit Saint, au cœur de l’intériorité de chacun. L’intériorité de chacun est en prise directe avec le fonctionnement psychique qui résulte de différentes strates, niveaux d’organisation développés par Freud, le père de la psychanalyse :
– pulsionnel, avec le ça ;
– Moi ;
– Surmoi issu de l’éducation qui est intériorisée.
Maurice Bellet, prêtre et psychanalyste, écrit que « La psychanalyse, loin d’éliminer la foi, lui ouvre une compréhension plus profonde, montre comment la foi n’est pas quelque chose de surajouté à la vie, un système religieux…, mais plutôt une expérience de la vérité que nous ne pouvons construire, ni enfermer dans notre langage ». Il poursuit : « Il faut accepter que la foi soit en nous mouvante, qu’on a perdu la fameuse sécurisation par un processus dont on n’était pas maître. Aussi, la foi n’est plus ce refuge immobile, identifié à un contenu déterminé de mots, de rites, d’institution ». Mais les catholiques ont souvent été méfiants à l’égard de la psychanalyse et de la psychologie, notamment dans les suites des critiques de Freud qui est resté ambivalent et plutôt hostile à la religion telle qu’elle était à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, alors qu’il était témoin, en Autriche, d’un catholicisme sévère et austère. Les critiques qu’il a formulées sont cependant intéressantes à entendre comme des risques de dérives potentielles, notamment pour le sujet qui nous préoccupe, lorsque les dimensions psychologique et spirituelle s’ignorent.
Quelques types de dérives possibles
Le refus de toute articulation entre les deux approches expose à une position de toute-puissance : chacune ignore l’autre et prétend tout expliquer par elle-même. Il y a un risque de dérive sectaire.
Si la représentation de l’homme est réduite à sa dimension pulsionnelle, occultant ses capacités d’élaboration, de raisonnement et de discernement, elle est compensée alors par une sur-dimension spirituelle qui revêt un caractère unique d’éducation de ses pulsions. La relation de Dieu et de l’homme est de type infantile, et ce modèle renferme des germes de manipulation.
La fusion des deux approches dans un mélange psycho-spirituel, où l’accompagnant spirituel vise des objectifs thérapeutiques et où la psychothérapie a des objectifs spirituels, peut entraîner des simplifications outrancières avec des interprétations erronées pour justifier une démarche psycho-spirituelle simpliste. Le carnet de retraite des journées du Puy en est truffé.
Le premier et le troisième types dénient la complexité de l’humain. On assiste à des simplifications réductrices, sources pour le sujet d’une rupture de liens avec des dimensions de sa richesse propre, au risque d’entraver son évolution, car ne lui permettant pas d’utiliser toutes ses ressources personnelles.
Logique et dynamique différentes du spirituel et du psychothérapique
Spirituel Psychothérapique
Objet Conversion Soulager la souffrance morale
Finalité Se tourner vers Dieu
Tendre vers la Sainteté
Se reconnaître et vivre en enfant de Dieu
Changement comportement et psychique
Meilleur équilibre psychoaffectif
Être soi-même
Nature Choisir le bien Capacité à choisir
Mécanisme Dynamique de l’Amour et
Communion/autres Assouplir des défenses trop rigides
Diminution de l’angoisse
Diminution dépendance infantile
Moyens Religion avec
– enseignement
– sacrement
– vie communautaire et fraternelle Parole exprimée
+ mise en lien des évènements de vie
+ donner du sens
Effets psychothérapiques communs aux deux domaines
1 – Liés à l’écoute
– être écouté et trouver une liberté de parole ;
– être entendu et s’entendre soi-même ;
– être regardé positivement ;
– connaissance de soi-même en fonction de son histoire personnelle et familiale : aider à se situer.
2 – Liés à la relation
Relation Accompagnement spirituel Psychothérapique
Fondement
Confiance + compassion Élaboration du transfert comme levier de changement + contre-transfert
Moyen Trouver la bonne distance dans la relation
Analyse et interprétation dans le transfert
Risque relation inconsciente
de dépendance
Dépendance si la séparation ne s’élabore pas
Effets psychothérapiques de l’accompagnement spirituel
– développement d’une introspection à travers la relecture de son histoire ;
– se savoir aimé et être aimable ;
– avoir moins peur du don, de la parole donnée, de son propre désir ;
– diminution d’une angoisse d’abandon ;
– ajustement de ses attentes affectives/autres ;
– différencier responsabilité et culpabilité ;
– trouver un sens à son existence.
Effets spirituels d’une psychothérapie
– se découvrir aimé ;
– être acteur de sa vie, de ses choix ;
– choisir la vie avec accroissement de confiance en soi et en l’autre.
Différencier accompagnement spirituel et psychothérapie
Accompagnement spirituel dans la religion chrétienne
Psychothérapie d‘inspiration analytique
Fondement ThéologieSciences humaines
Finalité
Connaître et aimer Dieu Gagner en liberté intérieure
Diminution des conflits intrapsychiques
Objets de changement
Vie morale
Vie psychoaffective
Leviers de changement
Amener la personne à poser des actes d’Amour
à lutter contre le péché
Repérer les actions de l’Esprit Saint
Mettre à jour les conflits inconscients
Assouplir les mécanismes de défense
Moyen
Écoute ouverte +/- orientée/repérage des obstacles, lutte, effort, choix
Écoute analytique : associations libres
+faciliter les liens
+donner du sens
Relation entre les deux protagonistes Confiance et compassion
Guide sur le chemin de la vie intérieure Transfert et contre-transfert
Cadre Entretien 1 à 2 fois/mois
Gratuit
Centré sur la relation à Dieu et aux autres 1 fois/semaine
payant
centré sur la vie psychoaffective + histoire personnelle et familiale + relation aux autres
Signes de changement
Foi et charité Plus de liberté intérieure
Amélioration de capacités d’adaptation
Quelle articulation pratique entre accompagnement spirituel et psychothérapie
Les deux ne sont pas incompatibles. Mais on ne doit pas ignorer le risque de compétition inconsciente avec augmentation du discours du religieux chez le psy, traduisant une augmentation des résistances au changement en psychothérapie, ou l’utilisation d’un espace de parole dans un accompagnement spirituel qui fait écran à une problématique psychologique sous-jacente.
Indication d’un accompagnement spirituel après une psychothérapie
– Que faire de cette liberté intérieure comme fruit d’une psychothérapie ?
– Quel choix d’investissement, d’engagement dans sa vie ?
– Quel sens donner à sa vie ?
– Accompagner une démarche de pardon.
Février 2011
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ANNEXE 4
Les blessures
Père Étienne Garin, s.j. (Paris)
Jésus ne parle jamais de blessures
Et cependant, dès Bethléem, il n’est guère accueilli par son peuple. Il sera incompris, persécuté, et finalement blessé à mort dans son humanité : « dans ses blessures nous trouvons la guérison » (Is 53,5). Il vit avec ses blessures, quelles qu’elles soient, sûr de faire ainsi la volonté du Père. Il ne demande pas à son Père de le guérir mais vit son existence d’homme maltraité en aimant jusqu’à l’extrême ceux qui le blessent dans son corps et son âme (son être psychosociologique), montrant ainsi à ses disciples comment vivre en ce monde en enfant de Dieu.
La vie spirituelle ne saurait comporter de blessures car l’Amour n’est pas blessé. Jésus manifeste simplement que l’Amour, en lui qui est la Vie, est plus fort que tout le mal dont les hommes ont affligé son corps et son psychisme, et transpercé son cœur. Aucune blessure ne peut empêcher celui qui aime de vivre en continuant d’aimer.
Jésus s’adresse à des hommes en qui – quel que soit leur état corporel et psychosociologique – il voit des enfants du Père, manquant de foi en l’amour de ce Père.
Qu’ils soient en bonne santé ou malades, riches ou pauvres, honorés ou méprisés… qu’importe ! En présence d’aveugles, de sourds, de lépreux, jamais Jésus ne demande : « comment cela t’est-il arrivé ? Qui t’a blessé ? As-tu pardonné ? » Il ne se centre pas sur le mal qui les défigure aux yeux des hommes, mais contemple leur cœur. Devant leur manque de foi, d’espérance et d’amour, il les invite à croire davantage en l’amour de Dieu : « où est votre foi ? ». C’est à cette fin qu’il leur donne des signes : il parfait la création de l’aveugle-né qui va enfin voir. « Tes péchés sont remis », dit-il au paralytique. Ceux qui en sont témoins vont-ils croire davantage à l’amour miséricordieux de Dieu ? Jésus propose à tous la vie éternelle et se montre donc animé par cette même vie, en toutes circonstances :
« Père, glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifie et que selon le pouvoir sur toute chair que tu lui a donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui a donnés. Or la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé Jésus-Christ » (Jn 17, 1-3).
Mais les hommes ne voient en ces fils d’Abraham que des êtres humains blessés, et se centrent sur ces seules blessures.
L’état de ces malades ne leur paraît pas convenir à l’être humain car la dignité ou l’intégrité de l’homme en serait atteinte. Ils veulent à tout prix que cette situation change. Leur foi en Dieu les porte à penser que le Seigneur ne peut vouloir cela. Ils voient selon les apparences et réduisent ces êtres humains à leur seul état physique, psychologique et sociologique qu’ils jugent déplorable à partir des seuls critères terrestres.
Qui dit blessure dit meurtrissure :
– Il y a blessure corporelle lorsque le corps est meurtri par une cause extérieure, ce qui en lui provoque une lésion, une plaie ou un trauma. On ne parle donc pas de « blessure », s’agissant d’une personne née avec un handicap physique.
– Il y a blessure morale lorsque l’on s’estime offensé dans sa dignité humaine. La blessure morale n’a qu’une réalité psychique : elle est subjective. Le sentiment pénible d’avoir été blessé résulte généralement de l’interprétation que l’on donne à l’attitude ou aux actes des autres à notre égard, et donc pas nécessairement du mal que l’autre aurait vraiment voulu nous faire.
Les blessures tant corporelles que morales sont à l’origine de douleurs et de souffrances
Par conséquent, il est heureux de chercher ce qui les a provoquées et comment les guérir. C’est bien pourquoi il est bon que beaucoup fassent de cette préoccupation leur activité professionnelle essentielle : médecins, psychothérapeutes, etc., mais tout autant les éducateurs de toutes catégories. Leur travail consiste :
– d’abord, à diagnostiquer la blessure : blessure du corps, blessure affective, intellectuelle, etc., donc psychique ou sociale ;
– puis, à se demander qui est responsable de cette situation : celui qui est blessé ou d’autres ? La personne en est-elle responsable ou victime ?
– enfin, à voir qui peut la guérir ? Lui-même ? Un médecin, si le mal est corporel ? Un travail psychothérapeutique ? Quelque autre praticien ?
Et pourquoi pas Dieu ? Un Dieu tout-puissant et miséricordieux, auquel tout est possible du haut du ciel ! Mais ne serait-ce pas alors lui demander de nous dispenser de vivre les dures réalités de notre condition humaine ? Serait-ce encore croire à l’Incarnation ?
Pourquoi pas aussi les serviteurs de Dieu que nous sommes, dans des sessions de guérison dites ″psycho-spirituelles″ ?
Les sessions psycho-spirituelles évitent difficilement deux dérives, car notre bonne volonté peut parfois être naïve.
La grande attention accordée aux blessures – qui nous situent en victime -, relègue au second plan la conversion. Fermés sur leur univers mental, ceux qui participent à de telles sessions risquent d’oublier que c’est à une conversion qu’ils sont invités : se tourner vers Jésus et se mettre à son école en portant sa croix comme il a porté la sienne. Jésus ne leur lance-t-il pas un appel pour vivre les réalités de l’existence terrestre comme lui, en enfant de Dieu, c’est-à-dire en croyant que ce ne sont pas ces « blessures » qui pourraient entraver leur relation filiale avec leur Seigneur ?
Dans de telles sessions, toute blessure est attribuée au mal qui a meurtri notre humanité de quelque façon. En se centrant sur la blessure, on espère atteindre les racines de ce mal et en être ainsi libéré. Mais ce serait oublier qu’il y a des ″blessures″ dont il ne faudrait surtout pas guérir…
Spirituellement, parler de guérison est analogique. Le mot qui convient est en effet celui de conversion. Le pécheur qui se convertit, se tourne vers le Seigneur qui est miséricorde. S’il croit, il est sauvé et, quel que soit son état physique et psychosociologique, il recouvre la santé spirituelle qui est sainteté. Dire analogiquement qu’il est spirituellement guéri, c’est affirmer qu’il s’est laissé réconcilier avec Dieu et désire vivre en enfant du Père.
D’où viennent les blessures de l’homme ?
Cette question nous permettra de mieux saisir que, pour le chrétien, peu importe l’auteur des blessures. La recherche de « coupables » ne l’intéresse guère. Pour lui, comme nous l’avons déjà dit, l’essentiel est de vivre avec ou sans blessures, et d’où qu’elles viennent, en authentique enfant du Père à la suite de Jésus.
Chacun est lui-même auteur de nombre de ses blessures, tant corporelles que psychiques, ou qui sont la conséquence de ses péchés : celui qui se casse une jambe par maladresse aura à trouver comment vivre avec son plâtre ; celui qui se nourrit d’images ou de pensées perverses blesse autant sa sensibilité que son intelligence ; celui qui se juge, ou jalouse autrui, se blesse lui-même puisqu’il se comporte en homme pécheur.
Les autres me blessent. Qu’importe que ce soit volontairement ou non, qu’il s’agisse de blessures dues aux conséquences du comportement pécheur de mess ancêtres (péché originel), de mes parents et éducateurs, de mes contemporains, etc.
Les puissances du mal peuvent également blesser mon humanité. Sans entrer dans une réflexion sur le mystère d’iniquité, l’Évangile nous parle du Tentateur qui est menteur, accusateur et homicide. Il parvient à nous blesser, ne serait-ce qu’en se déguisant en ange de lumière pour mieux nous tromper. Il blesserait parfois même notre corps, si l’on en croit certains mystiques.
Dieu lui-même peut être à l’origine de certaines blessures, dénommées « blessures d’amour »
Citons le Dictionnaire de spiritualité : « Les écrivains spirituels donnent à l’expression blessure d’amour tantôt un sens large, tantôt un sens strict. Au sens large, ils désignent ainsi des grâces variées mais qui toutes entraînent une souffrance : grâces ordinaires ou éminentes, s’échelonnant depuis la petite, causée par le regret des fautes passées, jusqu’à la transverbération, faveur mystique très haute, réservée aux âmes parvenues à l’union transformante. Au sens strict, cette appellation est réservée à une grâce spéciale, nettement déterminée… qui appartient aux purifications passives de l’esprit. Sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix l’ont analysée avec précision. »
Voici ce qu’en décrit Giovanni-Battista Scaramelli, jésuite du XVIIIe siècle : « […] une touche enflammée et brûlante d’amour par laquelle Dieu élève subitement l’âme à la possession affective et sentie de lui-même, et se retire aussitôt… Pareil à un trait de feu qui éclaire et brûle en même temps, il donne à l’intelligence une connaissance plus vive des perfections divines et imprime à la volonté un élan impétueux vers le Bien-aimé… qui se dérobe aussitôt. Alors, le sentiment aigre de l’absence de Dieu déchire l’âme comme une flèche qu’on arrache brusquement d’une plaie, et lui cause une peine saignante et savoureuse à la fois. »
Et saint Jean de la Croix : « Dieu n’a qu’un but en les faisant : blesser plus que guérir, affliger plus que satisfaire. Elles ne servent qu’à donner une connaissance plus vive, un appétit plus fort, donc une douleur plus grave. »
Le public des sessions de guérison
Il se compose de chrétiens fréquentant, pour beaucoup, des groupes de prière. Nombreux parmi eux sont ceux qui ont vécu une « effusion de l’Esprit » dans une assemblée de prière charismatique. Ce sont des priants, des personnes pour qui le Seigneur est au centre de leurs préoccupations. Le plus souvent, Marie tient une grande place dans leurs prières (chapelet, pèlerinage à Lourdes…).
Nombre de ces personnes ont certainement fait l’expérience d’être « blessées d’amour ». Elles ont vécu une ou plusieurs fortes « consolations spirituelles » et leur cœur en garde la nostalgie, ces grâces n’étant plus ressenties à présent avec la même force. Les voici douloureuses, assoiffées de Dieu et toutes prêtes à croire, si on le leur suggère, que cette sécheresse spirituelle serait due à quelque blessure ignorée. Elles arrivent à la session pleines d’espoir, disponibles et prêtes à vivre tout ce qui sera proposé afin que l’Esprit Saint – comme on le leur promet – dévoile une ou plusieurs des blessures qui pourraient sans doute être détruites à la racine, si le pardon est accordé à leur(s) auteur(s).
Pareille recherche détourne ces personnes du chemin habituel de la vie spirituelle. Elles s’évertueront à chercher une blessure, au lieu de vivre les purifications nécessaires pour cheminer vers une union plus profonde au Christ. Ce qui leur est proposé dans la session les incite par conséquent à se centrer sur elles-mêmes et à transformer la Parole en moyen, alors qu’elle est la Vie. En outre, prier longuement dans l’espoir de trouver la blessure secrète qui serait la cause de leurs difficultés spirituelles, facilite la création de blessures imaginaires. Le soi-disant pardon que l’on accordera alors à ceux qui auraient été à l’origine de ces blessures établira dans une satisfaction de soi orgueilleuse, bien à l’opposé de ce à quoi invitait le Seigneur en les « blessant d’amour ». De plus, le récit de leur histoire que feront peu à peu ces personnes risque de n’avoir plus grand chose à voir avec la réalité, et de se ramener à une simple fiction.
N’en doutons pas, aucune « blessure d’amour » ne sera jamais « guérie » par ce qui est ainsi proposé. Nombreuses sont les personnes qui suivront session sur session, puisqu’elles n’auront pas trouvé la blessure cachée qui cause soi-disant leur sécheresse spirituelle ou leur souffrance de ne plus goûter comme auparavant la présence aimante du Seigneur. Espérons que le Ressuscité lui-même viendra les surprendre et les délivrer ainsi de leur errance, en les remettant par grâce sur la voie habituelle des purifications spirituelles.
Un tel danger n’est guère à craindre chez la plupart des participants
Ils sont venus à l’une de ces sessions psycho-spirituelles parce que des amis les y ont encouragés. Leur vie chrétienne se limitait auparavant à une vie morale attentive à la doctrine de l’Église. Le plus souvent, l’évocation dans la prière de ce qu’ils ont pu vivre depuis leur conception jusqu’à ce jour remet en mémoire des souvenirs réels qui vont enfin pourvoir être regardés de près. Le fruit en sera le plus souvent une meilleure connaissance de soi, un bienfait psychologique indéniable. La session par ailleurs permettra à beaucoup d’entendre un enseignement fondamental sur ce qu’est la vie baptismale, et c’est des plus heureux.
Ces retraitants ont fait un acte de foi très édifiant en s’inscrivant à de telles sessions. Ils ont beaucoup prié le Seigneur de guérir leurs blessures. Le Seigneur voit le cœur et les exaucera au-delà de ce qu’ils demandaient, en se révélant lui-même de quelque façon à eux.
Faudrait-il renoncer à demander à Dieu la guérison des blessures ?
Bien sûr que non, mais seulement comme une grâce que nous ne pouvons que mendier. Cette guérison ne peut pas être un but en soi, comme si le Seigneur n’était invoqué qu’en tant que moyen pour l’obtenir. Pareille demande ne fait appel qu’à la liberté du Seigneur, invoqué au nom de sa miséricorde. Pareille prière n’a donc aucunement à se prévaloir d’un diagnostic ou de l’identification de la cause de la blessure.
En guise de conclusion
Citons simplement le « Principe et Fondement » des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola :
« L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur, et par là sauver son âme. Les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme, pour l’aider à poursuivre la fin pour laquelle il est créé. Il s’ensuit que l’homme doit en user dans la mesure où elles lui sont une aide pour sa fin, et s’en dégager dans la mesure où elles lui sont un obstacle. Pour cela, il faut nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est permis à la liberté de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu. De telle manière que nous ne voulions pas, quant à nous, santé plus que maladie, richesse plus que pauvreté, honneur plus que déshonneur, vie longue plus que vie courte, et ainsi de tout le reste ; mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés ».
Mai 2011
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Complément au texte sur « Les blessures »
L’homme blessé
La Révélation nous ouvre les yeux : non seulement elle nous dévoile le Dieu Trinité, Père, Fils et Esprit, mais elle nous découvre le visage de l’homme juste en ce monde, celui de Jésus, vrai Fils de Dieu : c’est le visage d’un homme blessé dont les blessures ne seront pas guéries.
« Voici l’homme »
Devant Pilate, Jésus est le Fils de Dieu fait homme au terme de son cheminement parmi nous. Il est le juste en qui nul mal ne fut trouvé, l’homme vrai qui assume son insertion dans l’histoire. Il est la Vérité, telle qu’elle est présente en notre monde. Et c’est un homme blessé qui est ainsi devant Pilate, un homme dont les blessures ne seront pas guéries. Le Fils de Dieu qu’il est n’en est pas exempté : il est vrai homme. En vrai Fils de Dieu qu’il est, il nous montre simplement le chemin, c’est-à-dire comment un fils de Dieu vit en homme blessé, si bien que l’Esprit répandu dans nos cœurs nous invite à nous comporter comme lui lorsqu’à notre tour nous sommes blessés.
« Voici l’homme ». Qui parcourt le chemin de l’existence se retrouve toujours de quelque façon blessé, car les blessures sont inévitables ici-bas. Mais, il est de la vocation de l’homme de vivre ces blessures en enfant du Père, donc comme le Fils qui, crucifié, manifeste que ces blessures ne l’empêchent pas d’aimer ses frères humains, même ceux qui le blessent. À son tour, il prend le chemin de la glorification.
Au calvaire, nous contemplons trois hommes crucifiés…
Trois hommes dans le même état, au terme de leur existence ; trois hommes blessés à mort.
Seul Jésus ne mérite d’aucune façon pareil sort. S’il est ainsi traité, ce n’est sûrement pas du fait qu’il n’aurait pas su vivre sa vie d’homme. Quoi qu’il en soit, il est blessé autant dans son psychisme que dans son corps : son affectivité est maltraitée par tous, même par ses amis, qui doutent de lui ; son intelligence est brutalisée par l’absurdité du comportement des hommes pécheurs ; sa volonté d’aimer est heurtée par le rejet du peuple de Dieu. Mais, ainsi blessé de toutes manières, il reste divinement libre et témoigne de son amour indéfectible pour les hommes. Les blessures ne l’empêchent pas de rester pleinement lui-même, de se comporter comme il l’a toujours fait jusqu’alors. Il manifeste simplement qu’il est habité par l’amour miséricordieux du Père : « Père, pardonne leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Son cœur transpercé laisse jaillir pour tous ceux qui le contemplent les eaux de cette miséricorde.
Auprès de Jésus, deux hommes…
Des larrons, comme nous le sommes tous de quelque manière, puisque nous sommes tous pécheurs. Tous deux sont mis dans le même état que Jésus, mais, à la différence de ce dernier, ils sont pour une bonne part responsables de leur sort. Ni l’un ni l’autre ne seront guéris de leurs blessures. Cependant, l’un s’ouvre à Jésus et meurt dans la paix, déjà bienheureux malgré toutes ses blessures, celles de son corps qui sont les plus récentes, mais aussi celles, tant affectives que rationnelles, accumulées tout au long de son existence. « Tu n’as même pas la crainte de Dieu ! Pour nous, c’est justice. Jésus, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton Royaume » (Lc 23,40-42). Il est sauvé, vraiment « guéri » pouvons-nous dire, puisqu’il se comporte enfin comme Jésus, en enfant de Dieu. L’autre larron reste fermé à Jésus et meurt dans les tourments, puisqu’il n’a pas accueilli le Salut.
La « guérison » en Jésus-Christ s’appelle le Salut et le Salut se reçoit du Ressuscité. Par l’Esprit Saint, il nous est donné de pouvoir vivre en enfant de Dieu dès ce monde si, avec Jésus, nous mourons aux désirs de la chair. Et parmi les désirs de la chair, il faut bien nommer une certaine idolâtrie de la santé physique ou du bien-être psychique.
Aujourd’hui, ne faut-il pas veiller à ne pas accorder
à la guérison des blessures plus d’importance qu’un disciple de l’évangile ne le doit ?
Du moins si, par cette guérison, nous entendons un rétablissement de l’homme « originel », la restauration d’un bien-être physique et psychique. En effet, si Jésus guérit les corps et restaure les relations sociales chez ceux qui en sont dépouillés, tels les lépreux, il ne cesse de nous rappeler que la vraie santé de l’homme est dans son union au Père. Le reste n’a qu’une importance relative : « Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus » (Lc 12,4). « Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,44-45). La vraie santé de l’homme consiste à être capable de se comporter en toutes circonstances en authentique enfant de Dieu.
C’est bien ainsi que l’ont compris les apôtres. Pierre nous y exhorte : « Heureux quand vous souffririez pour la justice » (1 P 3,14). Paul en est témoin : « Souvent, j’ai été mis à mort. Cinq fois j’ai reçu des Juifs les 39 coups de fouet ; trois fois j’ai été battu de verges, une fois lapidé, trois fois j’ai fait naufrage…dangers des rivières, dangers des brigands,… dangers des faux-frères ! » (2 Co 11,22-26). Paul est un homme en pleine santé du fait que, pour lui, l’essentiel est de « connaître le Christ avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans sa mort afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts » (Ph 3,10-13).
Pour le chrétien, il est normal d’être blessé de mille façons tout au long de l’existence. Il y a tant de façons de souffrir en raison des injustices à notre égard ou en luttant contre celles qui blessent les autres ! Cela ne devrait pas plus empêcher un chrétien de vivre en enfant de Dieu que Paul qui écrit : « Oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut dans le Christ Jésus » (Ph 3,13-14).
Étienne, lapidé, s’écrie : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit… Ne leur compte pas ce péché » (Ac 7,59-60).
Origine de l’expression « blessure d’amour » (cf. Dictionnaire de Spiritualité)
L’origine de cette expression est le verset 5 du chapitre 2 du Cantique des cantiques : « quia vulnerata sum a dilectione » (Septante) – « quia amore langueo » (Bible de Jérusalem). L’Épouse est figure de l’Église ou de l’âme. Pour saint Ambroise, l’Église est blessée d’amour quand elle prêche la mort du Sauveur. Si l’Épouse figure l’âme, la charité dont elle se dit blessée n’est autre que le Christ (Deus caritas est), flèche choisie, envoyée par Dieu à ceux qui les servent : « Posuit me sicut sagitam electam » (Is 49,9). Origène assigne comme cause à la blessure d’amour la contemplation de la beauté du Verbe, image et splendeur du Dieu invisible, ou de la création œuvre du Verbe et reflet de sa beauté… Pour Augustin, les paroles de Dieu sont des flèches qui excitent l’amour, non la douleur. La douleur vient de l’amour qui ne possède pas encore ce qu’il aime. « Qui hoc vulnere non fuerit vulneratus, ad veram sanitatemnon potest pervenire » (Enarratio in Ps 36,50). Saint François de Sales, dans le Traité de l’Amour de Dieu, consacre un chapitre à « la blessure d’amour ».
L’homme, selon la Révélation en Jésus-Christ, est irrémédiablement blessé et l’est sans cesse de nouveau tout au long de son itinéraire au sein de la création et de l’humanité. Depuis Jésus-Christ, aucune blessure de l’homme ne peut plus être regardée seulement comme un mal. Certaines sont de réelles grâces, notamment celles dont l’auteur est le Seigneur lui-même. S’il est légitime de chercher à éviter les blessures et comment les guérir, le chrétien ne peut considérer la guérison de ses blessures comme un objectif prioritaire. En disciple du Christ crucifié et ressuscité, il met toute sa liberté à l’œuvre pour accueillir les blessures dont il souffre en enfant de Dieu, afin que soit manifestée la puissance de l’Esprit dans la faiblesse qu’elles provoquent en lui (2 Co 12,10).
Cette anthropologie de l’homme blessé est bien étrangère aux aspirations psychologisantes de nombre de nos contemporains, qui cherchent avant tout un épanouissement et un bien-être tant physique que psychique.
Saint Jean de la Croix insiste sur ce rôle purificateur des « blessures d’amour »
« Dieu n’a qu’un but en les faisant : blesser plus que guérir, affliger plus que satisfaire. Elles ne servent qu’à donner une connaissance plus vive, un appétit plus fort, donc une douleur plus grave. Cette connaissance permet à l’âme de contempler, avec une acuité exceptionnelle, l’amabilité infinie de Celui qui l’attire, et elle enflamme à ce point la volonté que l’âme va, s’embrasant du feu et des flammes de l’amour, jusqu’à paraître se consumer au milieu de ces flammes… Dieu a fait sentir sa présence à l’âme sans lui laisser le temps d’en jouir. Cette touche rapide excite en elle un désir anxieux et sans mesure de posséder enfin son Dieu… L’âme vulnérée ne peut s’empêcher de se plaindre, non pas parce que l’amour l’a blessée mais parce qu’il ne l’a pas blessée assez pour qu’elle en meure et soit en mesure de se voir jointe à lui dans la vision sans voile et sans ténèbres où l’amour est parfait ».
Ces blessures que fait Dieu sont soudaines, et il y a simultanément une souffrance indicible et une pénétrante douceur. Elles s’accompagnent de la certitude que c’est là l’œuvre du Seigneur qui se répète ; il se forme alors dans l’âme une plaie d’amour qui va s’élargissant et s’approfondissant à chaque blessure nouvelle… Elle n’est pas passagère. Dieu la réitère selon son bon plaisir, à intervalles plus ou moins rapprochés, et cela durant plusieurs années… La connaissance des perfections de Dieu grandit de jour en jour et, parallèlement, la douleur de l’âme qui se voit privée de lui.
Effets sur l’âme : la résolution de souffrir pour Dieu, le désir d’avoir de nombreuses croix à porter. L’élan d’amour qui l’emporte vers Dieu fait sortir l’âme d’elle-même et de tout le créé : elle s’oublie totalement.
L’Écriture parle souvent des flèches de Dieu pour signifier les malheurs dont il frappe ses ennemis.
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ANNEXE 4
Facteurs structurants, facteurs pérennes,
facteurs conjoncturels, points d’attention
P. Étienne MICHELIN, Notre-Dame de Vie (Vénasque)
Le souci de la santé et de la guérison appartient de droit à la mission de l’Église. Cette dimension de sa mission lui a été révélée par le Christ. Elle ne peut être dissociée de la totalité de la foi. Depuis l’origine, l’Église a engagé de multiples œuvres institutionnelles et actions personnelles. On peut vérifier historiquement qu’il n’y a jamais eu de désintérêt ecclésial pour cette mission .
Ce texte se déroule en deux temps. On évoque d’abord certains facteurs structurants du rapport entre mission de l’Église et questions de guérison ; on souligne ensuite quelques points particuliers d’attention en vue d’un discernement.
1 – Facteurs structurants
Les nouvelles problématiques concernant le rapport de la mission de l’Église aux questions de guérison sont au croisement de multiples facteurs. Parmi ceux-ci, certains sont pérennes, d’autres sont conjoncturels et présentent un caractère plus ou moins récent.
• Facteurs pérennes
Du point de vue catholique, les facteurs pérennes, qui sont révélés et engagent la foi, doivent demeurer la norme épistémologique des attitudes pastorales, mêmes confrontées aux nécessités urgentes. J’en souligne trois :
Le premier concerne la réalité du salut dans le Christ. Il s’agit de savoir comment la grâce de la rédemption agit et est reçue librement par l’homme pécheur. Sous cet aspect, une distinction rigoureuse doit être faite entre le péché personnel avec ses conséquences et toute forme de mal-être psychologique.
Le second concerne les fondements anthropologiques tels que la foi catholique les professe. Sous cet aspect, il n’est pas possible d’adopter n’importe quelle théorie anthropologique sans lui appliquer un discernement critique rigoureux .
Le troisième concerne le rapport entre l’individu et la communauté dont il est issu, particulièrement la famille ; ce rapport doit être considéré dans la problématique de la transmission. Sous cet aspect, la note de la Commission doctrinale de l’épiscopat français devrait être appliquée dans toute sa rigueur et servir de critère de discernement.
Il existe certainement d’autres facteur pérennes, en particulier touchant la dimension de l’économie sacramentelle en rapport avec les souffrants, mais ceux que l’on vient de mentionner apparaissent comme fondamentaux dans la situation actuelle.
• Facteurs conjoncturels
J’en retiendrai quatre. Le premier est d’ordre général, les trois autres concernent plus particulièrement ce qui se passe en France.
Le premier, de grande importance, touche à la question œcuménique : il s’agit de la conception même du salut. Je pense que l’Église catholique devrait étudier, sur le fond, la conception du salut qui a cours dans les divers courants du christianisme d’où sont issues, d’abord la galaxie du Renouveau, puis ses multiples ramifications parmi lesquelles le concept de thérapie (christo-thérapie, agapè-thérapie, et bien d’autres propositions de ″guérison″), qu’il faut soigneusement distinguer de la mise en œuvre d’un charisme. Ce n’est pas un hasard si, de fait, l’émergence des propositions de guérison est due à des courants du christianisme issus de la Réforme, et parfois tout récemment entrés dans l’Église catholique romaine.
Le second facteur est d’ordre historique. Dans le catholicisme français, jusqu’à l’apparition du Renouveau, et mis à part quelques lieux spécifiques, la dimension affective de la relation au Christ a été globalement laissée de côté, au profit de la dimension intellectuelle et de l’engagement social. La pastorale et la prédication habituelles ont massivement négligé, voire rejeté, la réalité de la « vie spirituelle » comme lieu d’expérience intérieure et communautaire d’une transformation réelle.
Les conséquences pour le catholicisme français, jusqu’aux années 1970 au moins, ont été très dommageables. Certaines options pastorales quasi-officielles ont conduit souvent à remplacer l’expérience spirituelle par l’engagement caritatif et/ou sociopolitique, à promouvoir la « foi » au détriment de la « religion », reléguant ainsi la vie de prière dans le domaine de la piété individuelle, durcissant en oppositions irréductibles des distinctions parfaitement légitimes et fécondes de la vie baptismale. Ces options sont maintenant largement abandonnées, mais non encore suffisamment critiquées en leur source. Il semble indubitable que ce fait soit pour partie à l’origine de la difficulté pour les évêques de proposer ensemble une parole d’autorité à propos des réalités qui gravitent autour des problématiques de guérison et, pour certains d’entre eux, de ne pas oser prendre dans leur diocèse des décisions qui pourraient s’imposer.
Quoi qu’il en soit, cet état de fait a créé un grand vide, et contribué à orienter nombre de personnes, en quête légitime d’expérience intérieure et de vie fraternelle fondées dans la relation personnelle au Christ, vers des propositions de plus en plus nombreuses, d’origine chrétiennes ou non, en dehors de la vie ecclésiale habituelle. Ces personnes ont trouvé dans ces propositions un mieux-être (réel ou supposé, durable ou très éphémère). Parfois ces propositions se sont révélées (et se révèlent encore) contenir des éléments plus ou moins pervertis.
Le troisième facteur conjoncturel prend en compte la problématique de la santé et de la guérison dans la sphère culturelle. Définir la guérison implique de définir la santé. Or, définir la santé est une opération complexe, en raison de l’interaction des points de vue physiologiques, médicaux, psychologiques, sociologiques, culturels, et bien sûr religieux. Si la santé est « un état complet de bien-être physique, mental et social » , des conséquences notables découlent d’une telle définition pour la compréhension spontanée du salut comme guérison.
Par ailleurs, et ceci est de toute première importance, il existe un champ sémantique proprement biblique de la guérison et de la santé, en référence constante à la question de la destinée humaine.
Ce champ sémantique croise donc celui du salut comme libération ou guérison du péché. Il n’en est jamais séparé totalement, et il est bien difficile de l’explorer à partir d’un contexte premièrement hédoniste et pratiquement athée comme le contexte actuel. La difficulté redouble lorsque l’on utilise la Bible en fonction d’un but fixé d’avance par telle ou telle option psychothérapeutique, comme cela est semble-t-il le cas dans la pratique des sessions du Puy-en-Velay. Dans ce cadre, distinguer les réalités, les conjoindre, les ordonner entre elles, s’avère tâche urgente et délicate , à laquelle ne sauraient suffire ni les théoriciens, ni les « expérimentateurs », ni les témoins à décharge ou à charge. L’enjeu est central : il s’agit de la pertinence du catholicisme dans le concert des propositions à caractère religieux.
Le quatrième facteur, nouveau pour une part, vient de l’extension et de la vulgarisation des approches psychologiques de tout genre, et de la multiplication des outils d’évaluation de la personnalité. Il faut se garder de toute diabolisation a priori, et prendre le temps d’analyser objectivement et dans le détail les divers outils mis sur le « marché du confort personnel ». On peut cependant se demander si la générosité des propositions de guérison intérieure, mêmes faites dans le cadre de l’Église catholique, suffit toujours à pallier un manque de discernement quant à ces outils, et si l’Église catholique peut prendre la responsabilité de laisser mettre en œuvre des techniques psychothérapeutiques par des personnes non suffisamment formées et dans un contexte de grande confusion jouant sur l’émotionnel.
2 – Points d’attention
L’urgence est mauvaise conseillère. En même temps elle est réelle, parce qu’il s’agit de personnes en souffrance, et que l’Église catholique a reçu mission d’aller à leur rencontre.
Quatre points d’attention me semblent prioritaires :
– La demande de mieux-être doit être entendue, assumée, éclairée, et satisfaite pour autant que ce soit possible. Un vaste champ d’investigation attend un enseignement clair.
– Dans les diverses propositions, il faut veiller à repérer et corriger cette forme d’éclectisme qui prend un peu partout ce qui lui semble bon : en plus de trahir leurs sources, ces propositions risquent de trahir aussi les personnes qui leur accordent leur confiance.
– Une prise de position sur les différents outils est nécessaire : elle ne peut être entendue que si elle est menée par des personnes compétentes et désintéressées.
– Un point particulier peut servir de révélateur : comment les diverses propositions de guérison ou de libération intérieure lisent-elles l’Écriture Sainte ?
Février 2011
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