Par le Pasteur Jean-Blaise Kenmogne, Directeur Général du CIPCRE

Ils sont nombreux ceux qui, aujourd’hui, face à l’incapacité de maintes religions à apporter des réponses radicales à leurs angoisses quotidiennes et à leur soif de fraternité, ont décidé de prendre leur distance par rapport aux Eglises institutionnelles. Cette prise de distance correspond, dans de nombreux cas, à un acte de naissance dans la galaxie sectaire en pleine expansion. Une brève revue de la littérature fait ressortir les mouvements mystico-politiques d’inspirations diverses dont entre autres les sectes millénaristes issues du christianisme, les sectes venues d’Orient et certains groupuscules écologiques essentiellement préoccupés par des questions de santé et d’hygiène corporelles.

La Restauration des dix commandements de Dieu qui a défrayé la chronique en avril dernier en Ouganda en laissant sur le carreau près de 1 000 victimes s’inscrit dans la longue lignée des 350 à 400 sectes qui embrigadent des millions de disciples dans le monde et dont l’ambition affichée n’est autre que de leur apporter le salut. Mais qu’apportent-elles en réalité ? Une fausse chaleur fraternelle, une destruction physique et psychologique et une illusion d’espérance.

Pour gagner les fidèles à leur cause, les sectes opèrent sur le registre de la séduction. Pour cela, elles miroitent à leurs futurs adeptes la perspective du bonheur qu’elles tentent de décliner sur des tons aussi variés que la chaleur humaine, la convivialité et la paix de l’âme. Ce qui les fonde dans cette approche, c’est d’une part l’incapacité de la civilisation moderne à fabriquer autre chose que des producteurs et des consommateurs davantage portés sur leur sécurité matérielle que sur leur survie spirituelle et d’autre part l’échec des Eglises conventionnelles à semer en leur sein la graine d’une fraternité confiante.

Mais le prix à payer est socialement scandaleux, psychologiquement destructeur et financièrement ruineux. L’adhésion à la plupart des sectes est synonyme de rupture avec le cercle familial, de reniement des amitiés, voire de renoncement à l’exercice d’une profession. Il faut se séparer de ses biens, les vendre et en remettre le produit au gourou qui en use comme bon lui semble sans avoir de compte à rendre à personne. Le disciple se trouve ainsi en position d’extrême dépendance vis-à-vis de sa "nouvelle famille".

C’est à ce moment précis que le gourou entreprend l’œuvre de "reconstruction". Pour l’essentiel, elle consiste en un lavage de cerveau et en une habile manipulation mentale des proies faciles que sont devenus les disciples. Ayant perdu leurs repères, les voilà engagés dans une absurde quête d’absolu qui bien souvent, s’abîme dans des drames déchirants : viols collectifs de femmes, tortures physiques et morales, assassinats, enterrements dans des fosses communes… La reconstruction dans ce contexte prend les allures d’une déconstruction et d’une déstructuration subtiles dont les nouvelles recrues ne se rendent pas toujours compte. Bien au contraire elles vivent cette étape avec beaucoup d’exaltation et la conviction qu’elles sont sur la voie de la félicité.

Au total, les sectes avancent masquées. Ce qu’elles présentent au public n’est pas ce qu’elles sont en privé. La partie émergée que l’on voit n’est qu’une fraction infime et faussement attrayante d’un immense iceberg autrement plus redoutable. Pour réaliser leur funeste dessein, elles disposent de trois armes imparables : la séduction, la destruction et la reconstruction dont nous devons nous efforcer de comprendre les ressorts cachés et le mode de fonctionnement. Pour nous prémunir contre tous les épiciers d’illusions et autres marchands du salut, mais surtout pour aider les sectaires à procéder à leur propre dépollution mentale et pourquoi pas à quitter la barque avant qu’elle ne soit emportée par les flots de l’irréparable.