Les Témoins de Jéhovah sont-ils une religion à part entière ou doivent-ils être considérés comme une secte ? L’administration a fait son choix. Pour Didier Leschi, chef du bureau central des cultes au ministère de l’intérieur, "en l’état actuel de la jurisprudence, ils ont le droit de bénéficier du statut d’association cultuelle". Ce statut, défini par la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, donne droit à un certain nombre d’avantages fiscaux.

A l’inverse, la commission d’enquête parlementaire sur les sectes et les mineurs, présidée par le député Georges Fenech (UMP, Rhône), considère que les Témoins de Jéhovah sont une secte et que des enfants y sont victimes de "maltraitance psychologique".

Le chef du bureau des cultes se retranche derrière la jurisprudence du Conseil d’Etat. Au cours de ces dix dernières années, les préfectures ont refusé d’accorder le statut d’association cultuelle aux associations de Témoins de Jéhovah. Or, les tribunaux administratifs ont constamment donné raison à ceux-ci.

Dans deux arrêts du 23 juin 2000, le Conseil d’Etat a reconnu implicitement le statut cultuel de deux associations locales des Témoins de Jéhovah à Clamecy (Nièvre) et à Riom (Puy-de-Dôme), estimant qu’elles pouvaient bénéficier de l’exonération de la taxe foncière pour les lieux de culte consentie aux associations cultuelles, puisqu’aucun acte délictueux ne pouvait leur être reproché. En effet, selon la jurisprudence administrative, une association peut être reconnue comme cultuelle à deux conditions : qu’elle ait pour objet exclusif l’exercice du culte et qu’elle ne porte pas atteinte à l’ordre public.

Les principaux reproches adressés aux Témoins de Jéhovah concernent leur refus de la transfusion sanguine. Or, le bureau des cultes rappelle que, dans un arrêt du 16 août 2002, le Conseil d’Etat a estimé que "le refus de recevoir une transfusion sanguine constitue l’exercice d’une liberté fondamentale". Il s’appuie aussi sur les dispositions de la loi Kouchner du 4 mars 2002 sur le droit des malades. "Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision", dit ce texte.

"LIBERTÉ DE CONSCIENCE"

Le refus de la transfusion sanguine ne soulèverait donc plus de difficultés en termes juridiques, selon le bureau des cultes. Depuis peu, la Caisse d’assurance-vieillesse, invalidité, et maladie des cultes (Cavimac), qui assure notamment la couverture sociale des prêtres catholiques, a accepté d’assurer 700 ministres du culte des Témoins de Jéhovah.

Le chef du bureau des cultes a eu l’occasion d’exprimer le point de vue de l’administration, mardi 17 octobre, devant la commission parlementaire. Son intervention a provoqué des réactions très vives. "Nous sommes atterrés, a réagi Martine David (PS, Rhône). Vous donnez le sentiment d’être imperméable aux témoignages des anciens adeptes et à la maltraitance psychologique des enfants." "On ne m’a jamais avancé de dossiers précis sur des cas de maltraitance chez les Témoins de Jéhovah au cours de ces dernières années", a répondu M. Leschi.

"Dans ce que vous dites, j’entends une reconnaissance officielle des Témoins de Jéhovah, s’est indigné M. Fenech. Vous êtes en train de nous dire que cette organisation est devenue la cinquième religion de France !" Quant au député Alain Gest (UMP, Somme), il a reproché au chef du bureau des cultes, qui disait ne pas devoir porter de jugement sur les croyances, de "mettre sur le même plan les religions et les sectes".

Dans son exposé, M. Leschi s’en est pris à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), l’accusant d’"approximation". "Le ministère de l’intérieur est parfois accusé de sous-estimer le trouble à l’ordre public que généreraient ‘par nature’ certains mouvements, focalisant ainsi l’attention de la Miviludes, a-t-il expliqué. Je veux parler de mouvements qui, pour certains, ont des décennies, voire des siècles d’existence et sont issus de grands courants spirituels ou s’y rattachent, comme les Frères de Plymouth (un groupe fondamentaliste protestant), les Témoins de Jéhovah, et, depuis quelques mois, les Loubavitch, qui sont l’expression d’une vieille tradition du hassidisme juif. (…) Je crains fort que cette stigmatisation (…) ne constitue à terme des troubles à l’ordre public, ou pour le moins des manifestations d’intolérance à l’égard de l’une des libertés les plus fondamentales de tout homme et de tout citoyen : la liberté de conscience."

Xavier Ternisien le monde 17 10 2006