Pervers narcissique, manipulateur, terroriste psychique, les mots font peur et après avoir vu l’émission {{“Dans les yeux d’Olivier”,}} {{titrée “Sous l’emprise d’un manipulateur”,}} on n’est nullement rassuré de découvrir que n’importe qui en apparence, même une personne brillante et cultivée, est susceptible de se faire piéger par de tels monstres et d’en voir sa vie totalement ravagée. Mais est-ce vraiment n’importe qui, est-ce vraiment n’importe quand, et insister sur l’impuissance à leur échapper ne revient-il pas à les rendre encore plus terrifiants et à leur donner plus de pouvoir qu’ils n’en ont réellement?

Témoignages et experts
L’émission regroupe quatre ensembles de témoignages. D’abord, celui des certains reclus de Monflanquin, membres d’une famille de notables, “séquestrée” par un escroc qui s’est approprié leurs biens dans une manipulation d’envergure. Suit le récit de Magali, dont la mère s’est érigée gourou d’une secte où elle l’a embrigadée d’office, puis celui de Sophie, piégée par son compagnon, pervers au double visage, ange et démon tour à tour. Enfin, on découvre l’histoire d’Anne qui a fait confiance à une psychanalyste, qui se mue bientôt en guide sectaire sous le nom de “Vierge de l’Apocalypse”.

Plusieurs spécialistes de l’emprise interviennent aussi dans l’émission, tentant de répondre aux interrogations d’Olivier, qui ne comprend pas comment on peut se retrouver ainsi piégé, comment on peut perdre un jour toute volonté personnelle, toute lucidité, pour s’en remettre à autrui tout en acceptant sa violence. Le cas qui m’a le plus frappée dans ce contexte, en tant que spécialiste du couple et auteur de Petites violences ordinaires: la violence psychologique en famille, est celui de Sophie et l’analyse qui en est faite par Chantal Paoli-Texier.

Le double visage de la violence
Celle-ci souligne que le pervers narcissique ne s’en prend pas, comme on pourrait le croire, à une “femme fragile, vulnérable”, mais à quelqu’un qui a “du répondant” parce que ce qui l’intéresse surtout, c’est de “briser” sa proie. Elle indique que les victimes privilégiées de ces prédateurs sont des personnes tournées vers autrui, professeur, infirmière, médecin, avocat, juge, etc., à l’écoute de l’autre, qui vont l’excuser, essayer de le comprendre, de le réparer. Sophie, elle, avait pour métier “d’aider les autres à se reconstruire”, une psy peut-être? Chantal Paoli-Texier insiste aussi sur la complicité de l’entourage qui permet au despote d’asseoir son terrorisme parce que personne ne veut rien voir, rien entendre, ni rien dire.

C’est là passer un peu rapidement à mon sens, sur une des caractéristiques majeures de l’adepte de violence psychologique, comme je préfère l’appeler, à savoir son double visage, homme (ou femme) idéal(e) en public et tortionnaire en privé, ou encore se déclarant victime du déséquilibre mental de l’autre, capable d’apporter des preuves en ce sens aux témoins extérieurs, généralement loin de se douter que le comportement “étrange” de la vraie victime est le fruit d’un harcèlement et d’une terreur continus. Comment le pourraient-ils, puisque la victime réelle s’y perd elle-même, oscillant entre “pétage de plomb”, déprime, voire pensées suicidaires, donnant l’image de quelqu’un de fou, comme le confirme l’amie de Sophie.

Le cas de Sophie
Les enfants de Sophie décrivent bien la situation, où leur beau-père s’enfermait dans la chambre parentale pour s’en prendre à leur mère. Celui-ci faisait donc tout pour ne pas avoir de témoins directs de sa violence, allant jusqu’à faire semblant de frapper Sophie, mais arrêtant son geste pour ne pas lui offrir de preuves physiques de ses maltraitances, afin qu’elle ne puisse rien tenter contre lui.

Ce qui est troublant encore dans le témoignage de Sophie, c’est la présence de signes de maltraitance dès le début de la relation. Dès le départ, son compagnon a exigé qu’elle soit joignable à tout moment et qu’elle lui rapporte ses faits et gestes. Dès le départ, il s’est mis à souffler le chaud et le froid en permanence, à lamenacer, à la punir, à lui faire des reproches, sur son infidélité, sa vénalité, et elle a tout fait pour essayer “d’arranger ça”. Manifestement, son amie n’aurait pas accepté un tel comportement, voyant Sophie se décomposer sous ses yeux à la découverte d’un message et lui disant d’arrêter de se préoccuper de ce téléphone, ou encore lui faisant remarquer qu’elle était comme une enfant battue qui retourne vers son bourreau, ne recueillant qu’incrédulité de la part de Sophie. Quand Olivier lui demande comment elle explique qu’elle ait tenu autant de temps (la relation a duré six ans), Sophie se méprend sur la question, y répond, semble-t-il, par rapport à ses envies de suicide et évoque ses enfants. Olivier reprend sa question ultérieurement et là, la réponse est “je ne me l’explique pas… il était rentré dans mon cerveau où il était en train de tout détruire par petites doses d’explosions… j’étais lobotomisée…”.

Un enfant maltraité sera forcément violent adulte
Lorsque l’on s’intéresse à la violence psychologique et aux travaux scientifiques internationaux sur le sujet, on tombe immanquablement sur la théorie de l’attachement et sur ce que John Bowlby, son fondateur, a décrit des mécanismes de la violence intrafamiliale et de ses répercussions. Il affirme ainsi, preuves à l’appui, que l’adulte violent d’aujourd’hui est l’enfant abusé d’hier. Or, le compagnon de Sophie a bien été un enfant maltraité, ce qui l’a rendu encore plus touchant à ses yeux. Bowlby décrit aussi ce dédoublement de personnalité, si clairement observé par Sophie et ses enfants, d’un être qui peut passer d’une brutalité extrême à un calme souriant, comme si de rien n’était.

Bowlby explique que l’abus et la négligence affectives vécues dans l’enfance conduisent les individus, soit à dupliquer en permanence le comportement de leur agresseur d’origine, soit à alterner entre violence et soumission, soit à se maintenir dans la soumission, inconscients d’avoir été victime de maltraitance et persuadés au contraire d’avoir reçu beaucoup d’amour de la part de leurs parents. Ces enfants ont ainsi appris à ne pas voir la violencepsychologique dont ils ont été victimes, à ne pas reconnaître combien ils en ont souffert. Ils ont appris à la trouver normale, voire à se dire qu’ils la méritaient, à se sentir coupables et à avoir honte, ou encore à se trouver justifiés d’utiliser les mêmes méthodes de chantage et de coercition avec autrui.

La théorie de l’attachement
Et l’émission montre nettement à quel point cette emprise est bien une histoire d’attachement. Anne et Magali ont été victimes de gourous qui se font appeler Maman par leurs adeptes qui acceptent de les placer dans ce rôle, au point de renier leur propre mère, elle-même accusée de violence. Amaury, un des fils de la famille de Monflanquin, parle de son besoin de reconnaissance, de sa recherche affective, qui l’ont fait se soumettre à un escroc, qui l’écoutait, le comprenait, le valorisait et lui venait en aide.

Magali souligne l’immense difficulté qu’elle a eue à reconnaitre la véritable violence de sa mère, qui la ravale au rang de simple adepte. Elle était tellement habituée à ses comportements excessifs, à ses colères, à sa capacité à faire pleurer autrui d’un claquement de doigts, qu’il lui a fallu le décès de son père, la découverte que sa mère lui avait totalement menti à son sujet, et le soutien actif de son conjoint, pour réussir à concevoir qu’une mère puisse abuser psychologiquement de ses enfants et que c’est ce qui lui était arrivé.

Or c’est justement de cela que parle la théorie de l’attachement, de cette violence intrafamiliale, si impensable et pourtant si courante, de la manipulation psychique à visée éducative qui se joue à huis clos, ou encore de l’indifférence et du rejet affectif de parents, eux-mêmes traités ainsi par le passé. Bowlby évoque très précisément tout cela dans ses conférences, et L’attachement, un instinct oublié, est un livre qui permet d’en découvrir les fondements scientifiques actuels et de comprendre l’impact à long terme de telles situations.

Faire prendre conscience à la société de l’existence de la violence psychologique, de son impact sur la santé psychique, mais aussi physique, est une nécessité actuelle, me semble-t-il, et une émission comme celle d’Olivier Delacroix y participe grandement. Mais il me paraît aussi important de faire savoir que les problèmes de violence psychologique, en particulier dans les relations entre proches, sont une question d’attachement. N’importe qui ne se retrouve pas victime ou agresseur, sans origines à rechercher dans son propre passé, et les périodes de vulnérabilité affective sont les plus propices à succomber à la violence, en tant que victime comme en tant qu’agresseur.

Quelqu’un qui a été écouté, entendu, compris et soutenu dans son enfance et son adolescence n’accepte pas un conjoint irrespectueux, et cela ne lui vient pas à l’idée de manquer de respect à autrui, car il est conscient du mal que cela peut faire. C’est aussi là la clé pour échapper aux prédateurs psychiques en tout genre : prendre conscience des éléments de violence psychologique subis dans son propre passé, permet de les reconnaître et de ne plus se faire piéger. La recette est assez simple, même si son application se heurte à l’image positive que l’on souhaite souvent avoir de ses propres parents. Mais le bonheur et la santé sont à ce prix et pour les victimes, c’est là l’enjeu de leur reconstruction, toujours selon les spécialistes de l’attachement.

source : L’Express

Par YvaneWiart (Express Yourself),

le 15/08/2013

http://www.lexpress.fr/actualite/pervers-manipulateurs-comment-leur-echapper_1273180.html