La Presse Canadienne
Comme la majorité des bébés prématurés de 25 semaines, les sextuplés nés à Vancouver le week-end dernier pourraient avoir besoin de transfusions sanguines. Depuis trois jours, cela suscite un débat éthique, car leurs parents sont des Témoins de Jéhovah.
Avant-hier, le gouvernement de la Colombie-Britannique s’est dit prêt à prendre les dispositions légales pour que la survie des six bébés ne soit pas menacée.
De son côté, la communauté des Témoins de Jéhovah demande au public d’éviter les «présomptions stéréotypées» au sujet de ses membres. Dans un communiqué, le porte-parole Mark Ruge rappelle l’interdiction faite à ses coreligionnaires de «s’abstenir de sang».
Mark Ruge fait valoir que des hôpitaux canadiens et américains ont des options aux transfusions sanguines dans le traitement des grands prématurés.
Les sextuplés une première canadienne sont sortis du ventre de leur mère après seulement 25 semaines de gestation. Les quatre garçons et les deux filles pesaient entre 700 et 800 grammes. Lundi, l’obstétricien Timothy Rowe s’est dit préoccupé par leurs chances de survie. Plusieurs experts ont affirmé que les poupons risquaient d’avoir besoin de transfusions. «plus le bébé est prématuré, plus le besoin d’une transfusion augmente, confirme le Dr Nabeel Ali, néonatalogiste au Centre universitaire de santé McGill (CUSM). On peut sauver des bébés à partir de 23-24 semaines de gestation. À 25 semaines, on parle encore de bébés extrêmement prématurés. La majorité auront besoin d’une transfusion durant leur hospitalisation.»
Depuis la naissance des sextuplés, leurs parents ont préféré rester anonymes, à l’abri des caméras. Hier, la communauté des Témoins de Jéhovah a demandé que leur voeu soit respecté. «Le choix d’un traitement et les discussions à ce sujet sont une affaire privée entre les parents et l’équipe médicale», indique le communiqué.
David Roy, directeur du Centre de bioéthique de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM), partage cet avis.
Toutefois, cette naissance soulève plusieurs préoccupations éthiques, souligne le bioéthicien. «Celles des médecins, de la société, des parents et des Témoins de Jéhovah. C’est important de protéger les parents des différentes pressions exercées sur eux.» Tout le débat à savoir s’il faut donner une transfusion sanguine à un bébé né de parents Témoins de Jéhovah représente «un calcul médical et éthique très complexe», prévient David Roy.
Le Dr Roy souligne que des nouveau-nés qui pèsent à peine 800 grammes font face à de nombreux obstacles. Le recours à une transfusion sanguine est une décision importante, qui s’accompagne d’une «grande marge d’incertitude». Afin d’éviter l’acharnement thérapeutique, il faut évaluer les possibilités de séquelles pour le bébé et ses probabilités de survie. «si les probabilités sont très basses, on pourrait, éthiquement, ne pas conseiller la transfusion. Car les parents risqueraient de vivre une double perte : la perte de leur enfant et le sentiment d’avoir enfreint les règles de leur religion, expose le bioéthicien. Mais si les probabilités de survie sont raisonnables ou très hautes, la protection de la vie de l’enfant vient en priorité.» Mais avant tout, «les parents doivent être entourés d’une équipe de médecins qui les informent bien». Si des membres des Témoins de Jéhovah refusaient que leur poupon ait une transfusion sanguine, «il est possible que des médecins ou l’hôpital tentent d’obtenir une autorisation légale», confirme le directeur du Centre de bioéthique de l’IRCM. «Mais pour les adultes ou les adolescents en âge de prendre des décisions, leur volonté est normalement respectée.» «Il y a possibilité d’utiliser du sang artificiel», ajoute David Roy.
D’autres moyens existent pour «contourner» les transfusions sanguines. Aux États-Unis, de plus en plus d’hôpitaux américains offrent des programmes de «médecine sans sang» pour respecter les croyances religieuses de certains patients. Mais il arrive que la religion entre en conflit avec la médecine. En septembre dernier, une adolescente de 15 ans a demandé à la Cour d’appel du Manitoba de lui permettre de refuser une transfusion sanguine jugée nécessaire par les médecins.