L’immeuble de Limoilou est propre mais banal. Briques blanches, porte en verre. Trois étages, dont les deux supérieurs occupés par des appartements. J’entre en retenant mon souffle. Je n’ai jamais mis le pied dans une église de scientologie.

 

 

Pas besoin de rendez-vous, m’a-t-on dit au téléphone. « Vous pouvez passer n’importe quand. Idéalement le soir, à partir de 18 h. Le reste du temps, beaucoup d’employés sont au travail. » C’est-à-dire l’autre, le vrai.

La réceptionniste est jeune et souriante. « J’ai entendu dire que vous aviez des tests de stress », dis-je d’une voix mal assurée. Elle m’indique d’aller m’asseoir sans poser de questions.

Ce n’est pas exactement une salle d’attente. Trois ou quatre chaises posées contre le mur, toutes inoccupées. Deux présentoirs placés bien en vue, archi pleins de bouquins écrits par Ron Hubbard, fondateur de la scientologie. Des dépliants aux couleurs attrayantes détaillent les services offerts par l’Église.

Une demi-douzaine d’employés se promènent de bureau en bureau, l’air affairé. Une dame d’un certain âge agrippe le téléphone. « Bonjour, monsieur. Avez-vous trouvé le temps de lire le livre ?… Ah bon, pas encore… » Le ton devient défensif. « Oui, je comprends… C’est seulement pour apprendre à se connaître soi-même… D’accord, au revoir. » Raccroche. Gribouille quelques notes. Passe au prochain appel.

Au bout de cinq minutes, un jeune homme en chemise et cravate jaune pâle émerge d’un couloir où une affiche indique : « Silence : zone d’audition ». Échange de prénoms, puis Francis me conduit dans une grande pièce vitrée aux persiennes fermées.

Au milieu d’une table trône une boîte métallique affublée d’un cadran avec une aiguille rouge. Deux cylindres sont fixés à l’engin par un fil électrique. Francis me dit d’en prendre un dans chaque main. « Ceci est un électromètre. Il enverra à travers ton corps un courant de faible intensité pour mesurer les perturbations de tes ondes cérébrales. Si l’aiguille monte, cela indique une source de stress », explique-t-il.

J’obtempère, un peu inquiet. Mon thérapeute passe à l’attaque, ton neutre et visage impassible. « Pense à quelqu’un. N’importe qui. » L’aiguille s’emballe. « À qui penses-tu ? Pourquoi cette personne te rend-elle nerveux ? »

Je bafouille une explication évasive. Visiblement peu convaincu, Francis change de stratégie. « Qu’aimerais-tu changer à propos de toi ? » Long silence, autre réponse évasive. Second silence, nouvelle question. « Que trouves-tu difficile dans la vie ? Comment vont la famille, le travail, les amis ? » Je m’embrouille de plus en plus.

L’exercice ne dure pas plus d’une quinzaine de minutes. À la fin, Francis me tend un livre intitulé La Dianétique : la puissance de la pensée sur le corps. Ron Hubbard, bien sûr. La quatrième de couverture décrit une thérapie destinée à libérer le subconscient de ses pensées négatives. Une sorte de psychanalyse ? « Je dirais que c’est plus avancé que la psychanalyse », rectifie Francis.

Le livre est à 35 $ pour la couverture rigide, moitié moins pour une couverture souple. Après l’avoir lu, il est recommandé d’expérimenter ses préceptes au cours de séances semblables à celle que je viens de vivre. Chaque bloc de 12 heures, idéalement condensé au cours d’une même semaine, coûte 250 $.

Je reviens le lendemain pour un test de personnalité et de quotient intellectuel offert gratuitement. Jusque-là, on n’a demandé aucun détail sur mon identité. J’évite prudemment de la divulguer dans l’espace réservé sur la feuille de réponses. Francis corrige néanmoins sans faire de commentaire.

Les résultats arrivent en moins d’une demi-heure, transférés sur un graphique en noir et blanc. Verdict : je suis irresponsable, dispersé, déprimé, nerveux et inhibé, mais mon Q.I. frôle le génie. Globalement « inacceptable », ma condition a « besoin d’attention ».

Je sors en promettant d’y réfléchir.

Pier-Luc Dupont
Le Soleil
Québec