Il devra y répondre d’incitation à la haine raciale. Arrivés par cars entiers, des fidèles ont escorté le prédicateur jusqu’à la chambre du conseil de Charleroi. Me Graindorge, son conseil, promet un procès passionnant.

 Le père Samuel, visiblement, persiste et signe. Jeudi, à la sortie de la chambre du conseil qui venait de le renvoyer devant le tribunal correctionnel de Charleroi, il a répété ce qui lui vaut de répondre d’incitation à la haine raciale: «Chaque enfant de musulman qui naîtra est un risque de bombe pour l’Occident». Dans le couloir, les fidèles, en mal de show médiatique, applaudissent et en redemandent.

Venus en autocars, ils ont attendu dans le hall d’entrée du palais de justice de Charleroi, jusqu’à ce qu’apparaisse Samuel, longue barbe, soutane et chapeau rond sur une cascade de cheveux grisâtres. Le Coran à la main, il y a inséré des signets aux passages qui mériteront ses commentaires. La foule s’écrase dans deux ascenseurs trop petits, se déverse dans les escaliers jusqu’au troisième étage, où se trouve la chambre du conseil. Là, première homélie, qui permet au père de répéter, comme un slogan, ce qu’il avait dit précédemment, et notamment sur les plateaux de télévision. Caméras, photographes, tout est là, ce qui le comble visiblement. Ses supporters aussi immortalisent l’instant. L’une d’elles, le visage extatique, a les mains jointes. Elle est transportée.

L’audience à huis clos ne dure que quelques instants. Entouré de trois de ses avocats, Mes Michel Graindorge et François Londa Sengi, du barreau de Bruxelles, et Me Michel Hubert, du barreau de Charleroi, le père Samuel pénètre dans une salle gardée par trois policiers. Il en ressort quelques instants plus tard, souriant.

Mais le trait est acerbe: «Je pense que la femme est l’avenir de l’homme, et le juge était une femme. Mais il y avait le procureur, un paysan orgueilleux». On apprécie, on applaudit. Il savoure, il dit qu’il a applaudi quand on lui a signifié son renvoi en correctionnelle. Il livre quelques extraits de sourate, commentés comme autant d’arguments de plaidoirie. A ses côtés, Michel Graindorge rappelle les attentats meurtriers, l’Espagne, les Etats-Unis, la jeune kamikaze de Monceau-sur-Sambre, son inquiétude pour le futur, son respect pour «une foi paisible». Autour du père Samuel, on applaudit encore ses considérations sur les massacres commis par les musulmans. Dehors, les autocars attendent. Ils reviendront lors des audiences correctionnelles, dont Me Graindorge parle comme d’un procès «passionnant». Et soigneusement médiatisé, bien sûr, comme tout ce que dit et fait Samuel Ozdemir.

Du hangar de Gosselies à l’église Saint-Antoine de Montignies
PHILIPPE MAC KAY

Le parcours d’un rebelle assoiffé de médiatisation qui a su s’attirer la foule et les chercheurs de voix.

PORTRAIT

Au début, il y avait Samuel Ozdemir, né au Kurdistan, devenu Charles Boniface, puis ce «père Samuel», bientôt révéré par des cohortes de fidèles, dans son hangar. Vicaire parmi d’autres, il affiche alors une vocation de rebelle aux réformes de Vatican II. Cela lui vaut les foudres de l’évêché et les honneurs de la presse. C’est que, d’emblée, le père Samuel a su se traduire en images. Ses démêlés avec l’évêque de Tournai? Ils sont autant de rendez-vous et d’affrontements pour lesquels il bénéficie du soutien de fidèles venus en autocars. En 1990, le père Samuel est suspendu par l’évêché. Il s’obstine, il célèbre en latin, il y gagne une vocation de martyr et les affidés font la file jusque dans la rue, avides de cérémonies interminables. Il multiplie les bienfaits de tous ordres. Des ennuis financiers? Samuel distribue des enveloppes, ce qui, soit dit en passant, a pu expliquer certains dimanches d’affluence. Des misères morales? Il se fait confesseur et psychologue. Il s’improvise exorciste auprès de fidèles proprement déboussolés. Il s’érige en guérisseur, mâtiné d’assistant social; il écoute, il aide, il a la réputation de guérir, mais le folklore n’est jamais loin. On se souvient de son arrivée à Viesville, juché sur un âne le dimanche des Rameaux; on le revoit célébrer le Vendredi Saint, en organisant sa propre fausse crucifixion, à laquelle étaient évidemment conviés les médias audiovisuels qui en ont conservé des archives émues; on le retrouve aspergeant d’eau bénite ceux qui se préparaient à lui forger un destin politique. C’est que, changeant de registre, il y a trouvé une vocation de porteur de voix, et donc un autre niveau de communication, qui lui attire des sympathies électoralistes.

Les 15 millions de Saint-Antoine

Financièrement, il reste une énigme: s’il distribue, dit-il, c’est qu’il n’est qu’une courroie de transmission, et qu’il reçoit beaucoup de la part de ses fidèles.

Mais les chiffres témoignent d’une belle aisance: en 2001, il rachète pour quinze millions d’anciens francs belges l’église Saint-Antoine-de-Padoue, à Montignies-sur-Sambre, dans le quartier de la Neuville, ainsi que le couvent voisin et une bibliothèque. Et les fidèles le suivent, confortés dans leur foi, quand ils s’y trouvent en excellente compagnie. Jean-Claude Van Cauwenberghe, alors ministre-Président de la Région wallonne, est venu dire ce qu’il pense de Samuel, homme d’ouverture.

Le bourgmestre de Charleroi, Jacques Van Gompel, est évidemment à ses côtés. L’église, quasi vide jusqu’alors, trouve un regain de fréquentation qui ne s’est jamais démenti.

Depuis, Jean-Claude Van Cauwenberghe a dit sa réprobation face aux propos de l’occupant des lieux. Le père Samuel aurait voulu acheter la chapelle des Soeurs grises, à Thuin. Le bourgmestre Paul Furlan, une fois la Commission parlementaire d’enquête sur les sectes consultée, a refusé l’offre.

Dans l’intervalle, Samuel Ozdemir a tenu les propos que l’on sait. Avec quelle issue? Requérir le renvoi en correctionnelle et l’obtenir, c’était donner une tribune de choix à Samuel. Plaider le non-renvoi, c’était l’en priver.

La justice, jeudi, a tranché: le père Samuel et ceux qui le soutiennent auront droit à un procès public, jusqu’à risquer de transformer la salle d’audience en salle de spectacle, selon une habitude chère au coeur du locataire de Saint-Antoine-de-Padoue. Il y risque d’un mois à un an de prison.

© La Libre Belgique 2006