C’est à 6 ans que Marie, aujourd’hui âgée de 24 ans, est devenue Témoin de Jéhovah, et ce, bien malgré elle. Interdit désormais de fêter Noël, l’Halloween et même de célébrer les anniversaires de naissance en famille. Pendant ses moments libres, Marie faisait du porte-à-porte. Son adolescence en a été bouleversée.

par Vivianne Lapointe

Marie, comment ta famille est-elle devenue Témoin de Jéhovah?
Alors que ma mère faisait du lavage à la buanderie de notre immeuble d’habitation, ça a sonné à la porte. Je suis allée répondre: il y avait deux dames qui voulaient parler à ma mère. Puisqu’elle n’était pas là, elles m’ont dit qu’elles allaient revenir, mais j’ai insisté pour aller la chercher. Elle a donc fait leur connaissance. Les dames lui ont donné des livres; elle les a pris pour mon père, qui adore lire et apprendre. Finalement, c’est elle qui les a lus; elle a trouvé ça super intéressant. Petit à petit, elle a commencé à croire à toutes leurs histoires et à vouloir nous endoctriner.
Quelles différences ça a-t-il fait dans ton quotidien?
Un an plus tard, on ne fêtait plus rien: ni Noël, ni l’Halloween, ni Pâques, ni même les anniversaires de naissance. On devait faire du porte-à-porte. Tout avait changé.

As-tu souffert de la discipline qui t’était imposée?
Je n’étais quand même pas une enfant battue! Ma mère m’aime de tout son cœur et elle était convaincue qu’elle faisait tout ça pour mon bien. Mais c’était vraiment dur, surtout à l’adolescence. C’est difficile d’être différente et de faire rire de soi par les gens qui ne comprennent rien à ce que tu vis.

Être Témoin de Jéhovah, en quoi ça consiste exactement?

Être TJ exige beaucoup de travail. Il y a trois réunions par semaine, pour lesquelles il faut être préparé. Des discours sont prononcés concernant certains extraits tirés des brochures, des livres ou de la Bible. Il faut donc lire ceux-ci et répondre à des questions pour pouvoir participer durant les réunions. En plus, il est fortement conseillé de faire du porte-à-porte au moins une fois par semaine, pendant environ deux heures. Et comme j’allais à l’école, j’avais pas mal de choses à faire…

Qu’est-ce qui t’était interdit?
Je n’avais pas le droit de fréquenter mes amis de l’école. Je ne pouvais pas porter de vêtements trop sexy (minijupes, hauts décolletés, talons aiguilles, etc.). Je n’avais pas le droit d’avoir un chum ni de relations sexuelles avant le mariage… Drogue, alcool et toute forme de fête étaient évidemment proscrits. Ma mère était très sévère: la plupart du temps, je ne pouvais pas sortir les soirs de semaine et parfois même les fins de semaine si je n’avais pas terminé de préparer mes réunions de TJ. Je n’ai pas pu faire partie de l’équipe de basketball au secondaire, puisque la compétition est mal vue aux yeux des TJ.

Quand et comment as-tu commencé à renier les croyances de ta mère?
Tout d’abord, je mentais à ma mère pour pouvoir voir mes amis de l’école. À 10 ans, j’ai commencé à fumer la cigarette en cachette. Très jeune, je me suis mise à fumer du pot et à prendre des drogues dures. À 16 ans, j’ai fait une fugue en Colombie-Britannique avec mon chum, puisque ma mère n’acceptait pas que je ne veuille plus faire partie des TJ et qu’elle s’opposait à ma relation avec mon copain.

Les rapports avec ta mère se sont donc détériorés d’année en année?
Ç’a été l’enfer jusqu’à ce que je parte de chez moi. C’était engueulades sur engueulades. On se battait même, parfois, et je lui disais constamment que je la haïssais. Bien sûr, je vivais mon adolescence en même temps, alors je n’attribue pas tous les problèmes entre ma mère et moi à ses croyances. Mais disons que le fait qu’elle avait des idées bien arrêtées n’aidait pas. Ce n’était vraiment pas drôle! Elle a arrêté de me parler pendant deux ans, à partir du moment où j’ai emménagé en appartement avec mon chum à 16 ans, en revenant de ma fugue. Mais, tranquillement, ça s’est réglé. J’ai fait de gros efforts pour qu’on soit capables de se reparler sans crier. J’ai réalisé qu’elle faisait tout ça pour mon bien, même si ce n’était pas nécessairement la meilleure façon de s’y prendre avec moi. Heureusement, elle s’est rendu compte qu’elle avait été un peu trop stricte et, surtout, qu’elle n’avait pas été assez attentive à mes besoins. Aujourd’hui, on s’entend assez bien.

Est-elle encore Témoin de Jéhovah?
Oui, plus que jamais. Elle est à cheval sur ses principes. Je les trouve souvent ridicules, mais je respecte ma mère et je l’aime parce que c’est une bonne personne.

Est-ce que ton père est Témoin de Jéhovah lui aussi?
Non, mais il a toujours respecté ma mère. Il l’aime beaucoup et, parfois, pour lui faire plaisir, il va à ses réunions. Par contre, il ne s’est jamais fait baptiser en tant que Témoin de Jéhovah. Quand quelqu’un se fait baptiser, il devient un vrai TJ. Tous ceux qui adhèrent aux croyances des TJ aspirent à ça.

Comment tes frères et tes sœurs ont-il vécu leur adolescence?

Ils ont trouvé ça difficile, principalement à cause de mon départ précipité de la maison. C’était très explosif, et ça les a profondément touchés. Je crois que je leur manquais. Ils ne voulaient certainement pas faire comme moi, alors ils se sont impliqués davantage. Finalement, ils sont arrivés à la même conclusion: les Témoins de Jéhovah, ce n’était pas pour eux. À partir de ce moment, ma mère a été plus gentille et moins sévère avec nous. Elle n’avait pas la force de «se battre» contre ses trois enfants.

As-tu des regrets?
Aucun, à part d’avoir fait souffrir mon père dans tout ça. Il ne le méritait vraiment pas.

Y a-t-il quand même des aspects positifs dans ce mouvement?

Les TJ ont de très bonnes valeurs morales, par exemple aimer son prochain et développer sa personnalité afin de devenir une meilleure personne. J’ai également appris à être organisée et à travailler fort, puisque j’ai toujours été pas mal occupée avec les activités des TJ et l’école.

Quels en sont les aspects négatifs?

On n’a pas le droit d’être avec des gens qui ne sont pas des TJ, ce qui fait que certaines personnes sont très mal intégrées socialement. De plus, on n’encourage pas les jeunes à faire des études supérieures, puisqu’ils doivent se consacrer à 100 % au mouvement et au porte-à-porte.

Aujourd’hui, es-tu croyante?
Non, je suis athée. Je préfère croire à la vie. J’essaie de mettre en pratique les valeurs qu’on m’a transmises. Je suis ouverte d’esprit et j’essaie de comprendre ce qui m’arrive. Avant de juger un mode de vie, j’en évalue les aspects positifs et négatifs.