KINSHASA, 4 avr 2006 (AFP) – L’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch (HRW) met en garde contre le risque de "manipulations politiques" et de "maltraitances" supplémentaires des enfants de la rue, à l’approche des élections en République démocratique du Congo (RDC).

Dans un rapport diffusé mardi intitulé "Quel avenir? Les enfants de la rue en RDC", l’ONG rappelle qu’au cours des dernières années, "les dirigeants des partis politiques ont recruté des enfants des rues pour semer l’agitation lors de manifestations de masse".

HRW cite plusieurs partis ayant eu recours à ces enfants, dont le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), qui soutient le président Joseph Kabila, et l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le principal parti d’opposition d’Etienne Tshisekedi.

"Dans la plupart des cas, les forces de l’ordre ont réagi à ces manifestations par un usage excessif de la force, tuant ou blessant ainsi des dizaines d’enfants", indique HRW, soulignant que ces risques de manipulation s’ajoutent à des violences quotidiennes subies par ces enfants.

"Les conflits armés, le sida (taux de prévalence moyen de 5% en RDC), l’existence de frais de scolarité et les accusations de sorcellerie ont fait doubler le nombre d’enfants des rues ces dix dernières années", déplore HRW.

Ces enfants des rues – baptisés "shégués", une abréviation de Che Guevara en référence à leur combat quotidien pour survivre et à leur jeunesse – sont estimés à plus de 20.000 à Kinshasa et plus de 5.000 à Mbuji-Mayi (centre), les deux villes où le phénomène est le plus répandu, selon les données de plusieurs organisations humanitaires.

Ces enfants sont régulièrement menacés ou frappés par les forces policières et militaires, et nombre d’entre eux, garçons comme filles, sont victimes de violences sexuelles, parfois exercées au sein même de leurs groupes par les plus âgés comme un moyen d’imposer leur autorité.

"Le gouvernement congolais ordonne périodiquement des rafles massives d’enfants de la rue, légitimant leur détention grâce à une loi datant de l’ère coloniale qui interdit aux enfants de recourir à la mendicité", dénonce le rapport.

En outre, un nombre croissant d’enfants est accusé de "sorcellerie", un moyen courant de chasser un enfant en cas de conflit familial ou pour conjurer un malheur (deuil, maladie).

"Les agences qui travaillent avec ces enfants à Kinshasa estiment que 70% des enfants des rues ont été accusés de sorcellerie avant d’y échouer", indique HRW.

Livrés à eux-mêmes, sans abri et sans nourriture, ces enfants sont souvent la proie idéale pour les pasteurs de sectes protestantes, les "églises de réveil" qui foisonnent à travers le pays.

A Kinshasa, quelque 2.000 églises de réveil pratiqueraient la "délivrance" d’enfants dits sorciers, qui sont contraint d’"avouer" leur magie sous peine de privations, séquestration et souvent de coups de fouet, rapporte HRW.

"Dans un premier temps, le gouvernement congolais doit protéger ces enfants pendant la période des élections. Les agences de l’Onu au Congo doivent également redoubler d’effort pour prévenir les abus", estime Tony Tate, chercheur à HRW et auteur du rapport, dans un communiqué.

Se fondant sur la nouvelle Constitution de RDC, promulguée en février, M. Tate appelle également les autorités congolaises à "arrêter les rafles" et "suspendre" les anciennes lois "qui criminalisent ces enfants parce qu’ils sont sans abri".

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