La Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) publie, ce jeudi 13 décembre 2007, un guide informatif sur les menaces sectaires, destiné spécifiquement aux entreprises. Ce vade-mecum, intitulé “Les entreprises face au risque sectaire”, vise à donner aux responsables économiques les outils nécessaires pour détecter et mesurer les risques d’intrusion de mouvements sectaires dans l’entreprise. Pour Jean-Michel Roulet, président de la mission interministérielle, la publication de ce guide intervient “au bon moment”, alors qu’émerge réellement le risque sectaire dans la sphère économique.

{{L’AEF. Comment est née l’idée de ce guide à destination des entreprises?
}}
Jean-Michel Roulet. Depuis environ trois ans, de plus en plus de responsables d’entreprise et de représentants syndicaux nous sollicitent car ils s’interrogent sur certaines pratiques et s’inquiètent de l’éventualité de menaces sectaires. Ainsi, certains salariés, à l’issue d’un stage de formation, ont fait état de leurs doutes quant au contenu de l’enseignement ou aux consignes données par les formateurs aux stagiaires. Ou encore, des dirigeants d’entreprise remettent en cause les méthodes de certains prestataires, qui tentent de les rendre prisonniers d’un savoir-faire. Ces demandes nous ont incités à aborder différemment le phénomène sectaire: jusque-là, nous l’avions observé comme une relation de personne à personne. Désormais, on voit qu’il peut aussi toucher une entité économique, dans une relation de personne à société, voire de société à société. L’intérêt porté à la question par le CES et la mission sénatoriale sur la formation professionnelle nous ont poussés à aller plus loin et à interroger directement les acteurs.

{{L’AEF. Quelle perception les responsables économiques ont-ils du risque sectaire en entreprise?}}

Jean-Michel Roulet. Il y a un déficit considérable de connaissances sur ce phénomène dans l’entreprise. C’est du moins ce qui ressort de l’enquête que nous avons menée auprès de 200 chambres consulaires et entreprises de tailles diverses. En fait, le problème sectaire n’avait été détecté que par des grands groupes. De plus, la dérive sectaire n’inquiète les entreprises que dans la mesure où elle porte atteinte à l’outil de production, y compris les ressources humaines. D’où la nécessité d’informer les différents acteurs de l’entreprise (dirigeants, encadrement, syndicats, salariés) sur la nature du phénomène, et de leur donner des clés pour prévenir le risque ou réparer les dommages subis le cas échéant. Cela dit, dans l’entreprise, la question fait consensus: la direction et les syndicats sont prêts à faire front pour lutter contre les atteintes à l’intégrité de l’entreprise et de ses salariés.

{{L’AEF. Pourquoi les entreprises constituent-elles une nouvelle cible pour les mouvements sectaires?}}

Jean-Michel Roulet. On observe un certain désintérêt du grand public pour la chose spirituelle et ésotérique, après le déclin des mouvements de type ‘new age’. On est dans une phase très matérialiste: les gens veulent avant tout conserver leur emploi ou leur niveau de revenus. Les organisations sectaires se sont donc adaptées pour proposer quelque chose dans ce domaine. En particulier, les salariés sont en demande de formation professionnelle pour s’adapter à l’évolution de leur entreprise et du milieu professionnel. Les mouvements sectaires utilisent donc la prestation de service de formation, sous une forme “psychologisante”, pour pénétrer dans l’entreprise. C’est un moyen pour eux de gagner de l’argent, clé de leur développement et de leur survie. Dans un second temps, ils tentent de faire de l’entreprise un client captif, voire d’instaurer une emprise mentale sur les salariés ou le dirigeant, par exemple en proposant des formations complémentaires hors temps de travail.

{{L’AEF. Comment procèdent concrètement les organisations sectaires pour imposer leur influence dans une entreprise?
}}
Jean-Michel Roulet. Les mouvements sectaires n’agissent pas différemment dans l’entreprise que dans les rapports de personne à personne. Il s’agit d’isoler l’individu de son environnement, de tout ce qui était sa vie auparavant, avant de le formater selon la volonté du mouvement ou du gourou. Dans certains cas, les organisations sectaires se tiennent à carreau, respectent à la lettre le cahier des charges, pour pouvoir se prévaloir de compter parmi leurs clients des grandes entreprises. Elles s’en servent ensuite de référence pour approcher d’autres entreprises.
{{
L’AEF. Quels sont les risques concrets pour les entreprises?}}

Jean-Michel Roulet. Au-delà de l’emprise mentale exercée sur certains salariés ou dirigeants de la société, les exigences financières des mouvements peuvent aller jusqu’à la commission de délits, comme le détournement de fonds. De plus, les mouvements sectaires peuvent influer sur la prise de décision des dirigeants. Même si la première motivation est souvent financière, certains mouvements s’intéressent également à des questions stratégiques. Ainsi, un mouvement qui milite contre l’utilisation des psychotropes aura tout intérêt à pénétrer une entreprise pharmaceutique. Et même quand il n’y a pas de délit avéré, l’existence de liens établis entre une entreprise et un mouvement sectaire risque de nuire à la réputation de la société. Dès lors, les clients et partenaires économiques peuvent refuser de poursuivre leur relation avec eux.