GENEVE. Sept mille adeptes romands se sont rassemblés pour étudier la bible et se préparer à convertir le reste du monde.
   
Christian Lecomte
Lundi 23 juillet 2007
   
«Nous sommes tous des étrangers ici, en Suisse. Notre royaume et notre gouvernement sont ceux de Dieu. Pourquoi par exemple aller voter? Nous sommes un peuple organisé qui ne se prononce que pour la société du Christ.» Anita Genoud, une sémillante retraitée qui vit à Renens (VD), a les yeux qui brillent. Elle a réponse à tout car «Dieu répond à tout» «Pourquoi chercher ailleurs l’origine et le sens de la vie?» demande-t-elle.

Dans l’attente de l’avènement de Dieu

Vêtue de ses beaux habits du dimanche tandis que les hommes portent tous la cravate, elle arpente le hall de Palexpo à Genève, la bible sous le bras et le sourire aux lèvres. Ils sont sept mille Romands à s’être rassemblés en cette journée mondiale des témoins de Jéhovah (ils seraient 6,8 millions à travers le monde, 20000 en Suisse) «dans l’attente de l’avènement du royaume divin». «Mais je ne peux pas vous donner de date», rigole Anita.

Quatre espaces ont été ouverts: «Suivez le Christ» pour les francophones, «Follow the Christ» pour les anglophones, «Sigamos a Cristo» pour les Espagnols et «Siga a Cristo» pour les lusophones. Dans chaque espace, la même scène, le même pupitre, les mêmes écrans géants, les mêmes milliers de chaises occupées par des femmes et des hommes qui tous consultent la Bible et prennent des notes. Atmosphère studieuse dans un décor dépouillé. Pas d’icône, pas de représentation du Christ, pas de rituel ni de liturgie. «Les orateurs prononcent des discours, non pas des prêches», indique le placide et très poli Albin Wursch, qui n’est ni un chef ni un responsable mais un berger, «celui qui s’occupe des brebis».

Comment vivre dans un monde dominé par Satan?

Lorsqu’il ne veille pas sur son troupeau, Albin est un informaticien pointu qui a notamment occupé de hautes fonctions chez Hewlett-Packard, entreprise d’informatique et d’électronique multinationale d’origine américaine. Thèmes abordés ce dimanche: la propagande immorale diffusée par les télévisions et Internet, les 400 milliards de dollars que la planète consacre honteusement chaque année à la publicité, et le litige suivant: comment vivre dans un monde dominé par Satan et ne pas en faire partie? L’orateur: «Les désirs de chair viennent du monde pas du Père, croyez au Père.» Applaudissements.

Hommes et femmes, chacun sa place

«Ces réunions ressemblent à une plus grande échelle à celles que l’on organise environ cinq heures par semaine dans nos congrégations. Il s’agit de lire et relire la Bible», précise Anita qui a rejoint le mouvement dès 1969. Les orateurs sont tous des hommes. Les femmes qui représenteraient les deux tiers des témoins actifs n’apparaissent pas dans la hiérarchie. «Chacun sa place», élude Anita. Qui accepte volontiers d’enchaîner sur les sujets qui fâchent. Les témoins de Jéhovah considérés en Suisse comme une association religieuse sont-ils en vérité une secte? «Non, s’offusque-t-elle. Chez nous, on rentre difficilement mais on peut sortir facilement, nous sommes donc à l’opposé d’un mouvement sectaire. Pour devenir témoin, il faut répondre à cinquante questions et argumenter. C’est très difficile. Par contre, on vous voit en train de fumer ou de forniquer et vous êtes aussitôt exclu», explique-t-elle. Morale stricte, pas de relations sexuelles hors le mariage, pas de tabac, consommation d’alcool tolérée si elle est modérée. «Mais la vie n’est pas austère, on reçoit chez nous de la famille, des amis, des voisins, on a une vie sociale et professionnelle» réplique Jaël De Nardo, une Suissesse qui réside à Archamps (Haute-Savoie). Jaël (46 ans) est formatrice en bureautique et mère de trois enfants qui poursuivent une scolarité normale. Les témoins de Jéhovah ne célèbrent pas Noël ni les anniversaires. «Ce qui n’exclut pas pour autant nos enfants, continue Jaël. On a pris pour habitude d’organiser une grande fête tous les ans pour qu’ils invitent leurs petits copains, et ma fille qui est une adolescente tient elle aussi un blog dont je vérifie bien sûr régulièrement le contenu.»

«Dieu interdit l’absorption de sang»

Comme tous les adeptes, Jaël fait dès qu’elle le peut du porte-à-porte «pour préparer le monde à la bonne nouvelle» La prédication et la volonté farouche de convertir son prochain sont les missions du témoin. La porte qui claque et certaines impolitesses, elle connaît. «Mais vous seriez surpris par le nombre de personnes qui ne nous congédient pas», sourit-elle. Elle avoue préférer sonner chez les Suisses qui sont moins agressifs que les Français. Les réunions hebdomadaires sont autant de séances d’entraînement: il faut posséder l’argument, trouver la réponse, sortir le mot et le sourire juste. Une véritable gymnastique. «On nous ressort toujours la même chose, le côté secte, l’embrigadement et l’histoire du sang», confie-t-elle.

Les témoins de Jéhovah refuse la transfusion sanguine parce que «Dieu interdit l’absorption de sang». «Mais on a prouvé qu’il existe des succédanés du sang qui fonctionnent aussi bien, sans plasma et sans plaquettes. En Suisse, près de 600 médecins sont coopératifs avec nous pour transfuser ce type de sang», assure Albin Wursch.

Christine, une assistante de direction dont le mari n’est pas un adepte l’a convaincu de refuser toute transfusion pour leur fils. «On s’est mis d’accord, on a une carte de non-transfusion et la liste des praticiens qui peuvent opérer sans transfusion», arguë-t-elle. Et si l’enfant devait en cas d’extrême urgence recevoir du sang? «On ne le rejettera pas comme certains le disent», soupire-t-elle. Aux accusations de pédophilie et autres mauvais traitements qui parfois sont portées à l’encontre des témoins de Jéhovah, Albin Wursch répond: «Les gens qui viennent vers nous ont dans leurs bagages de belles choses et de moins belles, ils doivent transformer leur vie.»

Fidèles baptisés dans une piscine gonflable

Jaël de Nardo enchaîne: «On vit notre foi malgré le prix à payer, mon beau-père a passé quatre ans en prison et a été battu parce qu’il ne voulait pas faire son service militaire. On nous dit aussi que l’on convertit les plus faibles ce qui est totalement faux, car il faut être fort pour nager à contre-courant.»

Samedi, quarante personnes ont été baptisées après avoir été plongées dans une piscine gonflable. Des adultes et des adolescents. «On ne baptise pas les enfants, ils font leur propre choix dès qu’ils atteignent l’âge de raison», relève le berger Albin. Cédric Schwab, de l’association vaudoise Vigi-Sectes pour qui les témoins de Jéhovah sont un Etat dans l’Etat, pose l’interrogation suivante: «Les enfants baignent dans le prosélytisme et une rigidité éducative, ont-ils vraiment le choix de refuser le baptême?»