Le parquet général de Grenoble a abandonné implicitement l’accusation contre le chef d’orchestre franco-suisse Michel Tabachnik, jugé en appel dans le dossier visant la mort de 74 adeptes de la secte de l’Ordre du Temple solaire (OTS) de 1994 à 1997.
Dans un réquisitoire de deux heures et demie, l’avocat général Jean-Pierre Mélendez a estimé que le prévenu, seul personne jamais poursuivie dans une affaire qui avait fait grand bruit, n’était pas un membre important de la secte.

"Michel Tabachnik n’appartient même pas à l’OTS, il le dit et nous n’avons même pas la preuve du contraire", a-t-il estimé. Selon lui, le musicien se consacrait principalement à ses activités professionnelles et ne venait que les week-ends dans les réunions de la secte.

Le 25 juin 2001, en première instance, le tribunal correctionnel de Grenoble avait relaxé Michel Tabachnik, contre l’avis du parquet qui a provoqué le procès en appel.

Cette fois, sans requérir explicitement une relaxe, le représentant de l’accusation n’a demandé aucune peine, s’en remettant à la cour après un exposé favorable au prévenu.

"Je ne vous demanderai pas de choisir, car vous êtes tenu de le faire, juger c’est choisir. Je me suis évertué à vous proposer quelques pistes, sans en privilégier une", a conclu Jean-Pierre Mélendez.

L’arrêt devait être mis en délibéré dans la soirée après les plaidoiries de la défense.

Poursuivi pour "participation à une association de malfaiteurs en vue de commettre des assassinats", le chef d’orchestre se voit reprocher d’avoir incité les adeptes de la secte à se suicider ou à accepter une mise à mort, par ses écrits ou ses discours.

FRANCE, SUISSE, CANADA

Les massacres de l’OTS ont eu lieu dans trois pays : cinq morts le 30 septembre 1994 à Morin Heights, au Canada, 48 morts les 3 et 4 octobre 1994 à Cheiry et Salvan, en Suisse, 16 morts le 16 décembre 1995 en France, dans le Vercors, à Saint-Pierre-de-Chérennes, et enfin cinq morts le 22 mars 1997 à Saint-Casimir, au Canada.

Les victimes – dont les deux gourous Luc Jouret et Joseph di Mambro – s’étaient pour la plupart laissées tuer par des personnes qui s’étaient elles-mêmes suicidées ensuite.

Il est établi que Michel Tabachnik a participé durant près de vingt ans à la vie de la secte par ses écrits, les "Archées", et les enseignements qu’il dispensait. En cape et tenue rituelle, il animait des cérémonies où il "interprétait" de faux messages des "maîtres cosmiques".

L’accusation considérait initialement qu’il avait conditionné les adeptes à accepter la mort que les deux "gourous" présentaient comme un "transit" vers l’étoile Sirius.

Deux discours tenus à Avignon devant des adeptes de la secte, en juillet et septembre 1994, lui étaient particulièrement reprochés car il y annonçait la fin de l’OTS.

L’avocat général a jugé que cette participation n’était pas active et estimé que les "Archées" ou les discours étaient si hermétiques qu’on ne pouvait y voir un appel au suicide.

"Ici, devant nous, on n’a pas l’OTS, mais un homme", a-t-il dit. Ses discours ont pu enflammer les disciples, mais involontairement : "il a la maîtrise de ses mots, mais son public n’est pas au diapason. Ce qu’il comprend peut l’entraîner vers la gouffre".

La motivation réelle du prévenu pour ses travaux dans l’OTS pourrait avoir été l’appât du gain, un "besoin de considération" et un attrait pour l’aspect sulfureux du groupe. "Il jouissait de cette dimension mystérieuse", a estimé l’avocat général.

L’avocat du musicien, Me Francis Szpiner, dénonce depuis le début une "accusation de délit d’opinion". Les associations anti-sectes estiment que le dossier prouve que la législation actuelle est trop réduite pour empêcher les agissements des théoriciens des sectes.

l’express 31 octobre 2006