Une commission d’enquête parlementaire se penche actuellement sur l’influence des sectes sur les mineurs. 60 à 80 000 enfants seraient concernés par les dérives sectaires. Entretien avec Daniel Groscolas, président du Centre Contre les Manipulations Mentales, qui sera bientôt auditionné par la commission.   

Depuis la création, il y a 10 ans, de la Cellule chargée de la prévention des phénomènes sectaires au sein de l’Education nationale, quelle évolution avez-vous observée ?

 En 1996, les sectes commençaient à créer des écoles privées et la législation d’alors ne nous autorisait pas à effectuer des contrôles. Aujourd’hui ce type d’école n’existe plus. Le phénomène qui prend de l’ampleur à l’heure actuelle, c’est l’infiltration des sectes dans les activités de soutien scolaire. Ce soutien, puisqu’il est hors du temps scolaire, ne relève pas juridiquement de l’Education nationale. Pour l’instant il y a un vide juridique, mais je compte bien faire des propositions en ce sens lors de ma prochaine audition en septembre.

Comment, à l’école, repère-t-on un enfant victime d’une secte ?

En général, on repère une victime à ses blocages. Lorsqu’un élève ne participe pas ou se sent mal à l’aise lors d’une fête donnée par l’école, lorsqu’il ne veut pas pratiquer de sport collectif, cela peut être un signe. On peut également repérer un enfant victime parce qu’il fait de la propagande pour sa secte. Il n’utilise pas de techniques grossières comme la distribution de tracts pour faire du prosélytisme. C’est plus insidieux. Il s’agit le plus souvent d’invitations entre enfants avec des accroches du type "viens chez moi, tu vas voir comme c’est bien !".

Que peut faire un enseignant confronté à ce type d’élève ?

 Chaque académie dispose d’une "personne ressource" que l’enseignant peut joindre par téléphone. Cette personne ressource contacte une association spécialisée, comme le CCMM (Centre Contre les Manipulations Mentales), qui va conseiller l’enseignant. L’association n’intervient pas directement auprès de l’enfant ou de sa famille car il ne faut pas amplifier le phénomène et risquer de culpabiliser des enfants qui sont déjà des victimes. Le conseil : d’abord, ne pas culpabiliser l’enfant. Ensuite lui faire comprendre qu’il vit dans une société avec des règles. A l’école laïque on ne fait pas de prosélytisme.

Peut-on sensibiliser les élèves au risque des sectes ?

Avec le CCMM nous organisons près de 500 conférences/débats par an. Récemment, j’expliquais lors d’une conférence dans un lycée parisien les techniques d’approche de la Scientologie. Des membres de la secte abordent les adolescents aux alentours de leur lycée et leur proposent un test de personnalité. Les adolescents en pleine période d’interrogation identitaire acceptent. 15 jours plus tard, on leur donne les résultats du test. A chaque fois la réponse est identique : ils sont extraordinaires mais leurs capacités sont sous employées. Il faut faire un stage pour devenir l’être exceptionnel qui se cache au fond d’eux. Là c’est le début de l’engrenage. Huit jours après avoir décrit ce processus aux lycéens parisiens, des scientologues venaient les aborder : ils ont plié bagages très vite, les élèves ne se laissant pas prendre au jeu. Cela montre qu’informer les adolescents sur les sectes est essentiel.

Que faire quand un professeur appartient à une secte ?

On m’avait fait parvenir, il y a quelques années, le signalement d’un directeur d’école à Chomérac dans l’Ardèche. J’ai inspecté cet enseignant : il a clairement reconnu appartenir à une secte. Mais il a également précisé respecter les principes de laïcité de l’école républicaine. J’ai multiplié les contrôles : il n’a jamais fait preuve de prosélytisme. J’ai subi d’énormes pressions pour le faire radier de l’Education nationale. Je ne l’ai jamais fait car, à mon avis, si on sanctionnait cet enseignant alors qu’il n’avait commis aucune faute professionnelle, c’était porter atteinte à la liberté de conscience. Nous ne luttons pas contre les sectes mais contre les manipulations et les délits qu’elles peuvent engendrer. En France chacun est libre de penser ce qu’il veut du moment qu’il ne commet aucun délit. Si aujourd’hui un professeur appartient à une secte sans faire de prosélytisme en classe, il peut parfaitement continuer à enseigner.

 
Propos recueillis par Hanna Mbonjo