Le présent rapport marque le dixième anniversaire de la douloureuse affaire de l’Ordre du temple solaire qui a provoqué la prise de conscience, par l’ensemble de l’opinion publique française, de la dangerosité que pouvaient revêtir des activités en apparence anodines lorsqu’elles étaient encadrées par des hommes et des femmes dénués de scrupules et ayant perdu tout sens commun.

Pendant les dix années écoulées, le gouvernement français a considéré de son devoir de garantir la sûreté des citoyens en faisant preuve d’une grande vigilance, en alertant le public sur les risques sectaires et en luttant contre les agissements délictueux.

L’Observatoire interministériel des sectes en 1996, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes en 1998 et, depuis le 28 novembre 2002, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, ont eu pour fonction d’analyser le phénomène, d’en suivre les évolutions et de fournir au gouvernement ainsi qu’au Parlement, toutes informations nécessaires afin que soient assurés la protection des personnes, le libre exercice des libertés individuelles et la défense de la dignité des êtres humains, dans le plus strict respect de la liberté de conscience et de pensée.

Le Parlement s’est montré extrêmement attentif à ces questions, et cela, de manière très consensuelle. Le vif intérêt manifesté en ce domaine par la représentation nationale a toujours constitué, pour les gouvernements successifs, à la fois un encouragement en même temps qu’un signe fort de la légitimité de son action contre les dérives sectaires et les atteintes inacceptables aux droits de l’homme qu’elles induisent. L’adoption en 2001 de la loi dite « About-Picard » du nom du sénateur et de la députée qui l’ont défendue devant leurs pairs, a constitué une remarquable avancée juridique dans la lutte contre le délit d’abus frauduleux de l’état de faiblesse ainsi qu’un bel exemple d’unanimité citoyenne.

La MIVILUDES, à l’écoute des victimes et de leurs familles, dresse aujourd’hui un constat inquiétant des dommages provoqués par l’emprise exercée par des personnes ou des organisations se conduisant en maîtres à penser. De telles dérives se produisent dans tous les secteurs de la vie sociale, soins et santé, formation continue et soutien scolaire, sports et activités culturelles, groupes ésotériques ou mystiques… Elle relève que de nouveaux organismes apparaissent presque chaque jour, sans qu’aucun point du territoire ne soit épargné, ces micro-structures étant souvent beaucoup plus difficiles à cerner que les grandes organisations bien connues.

Il ne s’agit nullement de tracer un tableau apocalyptique de la situation, mais de se convaincre qu’il existe de vraies et bonnes raisons de ne pas renoncer à la lutte contre les dérives sectaires, au motif fallacieux que cela porterait atteinte à la liberté de conscience ou aux libertés religieuses.

On ne rappellera jamais trop qu’au sein de la République Française, berceau des droits de l’homme et de la tolérance, les principes de laïcité, auxquels nous sommes attachés, nous commandent de ne jamais juger du contenu des croyances, de n’en interdire aucune mais de n’en labelliser aucune. Cela n’implique pas pour autant que le champ soit laissé libre à ceux qui méprisent les fondements du pacte républicain et de ses lois.

A partir de l’instant où des victimes sont signalées, où des dommages sont constatés de même que lorsqu’il est porté atteinte à l’ordre public ou aux lois de la République, l’Etat ne peut pas se borner à être un observateur passif.

Or on voit s’agiter, sous couvert d’associations créées sous le régime de la loi de 1901, des organisations qui sont les porte-parole virulents de groupes dont les méthodes et les agissements justifient une vigilance particulière de l’État, groupes dont l’image, souvent sérieusement dégradée dans l’opinion publique française ou internationale, leur interdit tout accès à une communication efficace. Ces associations harcèlent les pouvoirs publics ou leurs représentants, elles mettent en cause les élus de la Nation, elles attaquent en justice les associations de défense des personnes contre les emprises sectaires, elles pratiquent la désinformation et cela, avec la plus évidente mauvaise foi.

Les principes fondateurs de la République et ceux qui les défendent ne doivent pas plier devant un humanisme de façade, même si les critiques ou les accusations portées contre l’action des pouvoirs publics obligent la France à devoir expliquer les motivations de sa politique sur la scène internationale.

Les premières questions qui se posent, à ce stade, sont de savoir qui se trouve réellement derrière ces attaques et à qui elles profitent.

Le débat est essentiel en démocratie et il est naturel qu’il dépasse, aujourd’hui, les frontières de notre pays. Le choix de la France, en matière de protection des personnes contre les dérives sectaires, est de ne pas répondre aux excès constatés par une intransigeance sans recul moral ou intellectuel. Mais parce que les dommages causés aux victimes et à leurs familles, sont inacceptables, l’Etat doit être ferme dans sa volonté de voir sanctionner tous agissements relevant de l’emprise mentale. Il n’est pas en guerre contre leurs auteurs et il n’a donc recours, pour ce faire, qu’à des moyens légaux et très visibles.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement et le Parlement ont toujours veillé à la transparence totale des dispositions préventives adoptées par les services publics, tandis que les faits susceptibles de constituer des infractions pénales sont systématiquement soumis à l’autorité judiciaire.

Le même souci n’anime pas certaines associations faux-nez d’une ou de plusieurs multinationales de la dérive sectaire ou de l’abus frauduleux de faiblesse mentale, qui n’hésitent pas à employer dans leur objet social des termes aussi nobles que « spiritualité » ou « conscience ». Il s’agit là d’une grave tromperie qui peut abuser aussi bien les citoyens que les instances internationales. On est alors en droit de s’interroger sur la loyauté de leurs promoteurs ainsi que sur la légitimité des buts réellement poursuivis.

Dans le registre de la séduction, certaines organisations sectaires prônent, par exemple, la lutte contre la toxicomanie, le refus de la violence ou la défense des droits de l’enfant. Avant d’exercer la moindre critique à l’encontre de la générosité ainsi affichée, l’État va devoir apporter la preuve que ce beau langage est un leurre et qu’il dissimule une volonté de prosélytisme et de mise en situation de dépendance ou d’emprise mentale.

Les pseudo-associations de défense des libertés publiques mettent toujours en avant les prétendues activités charismatiques des organisations sectaires, pour discréditer l’action des pouvoirs publics, déployant alors des efforts considérables et coûteux pour paralyser l’action des services susceptibles de déjouer leurs manœuvres. Les unes et les autres ne reculent ni devant l’invective, ni devant la mise en cause personnelle ou l’intimidation, ni devant le procès d’intention.

Ceux qui plaident, au nom de la liberté de conscience, pour la reconnaissance de ces « minorités de conviction » ont-ils songé qu’ils apportent ainsi un semblant de respectabilité et de crédibilité à des personnes ou à des groupes pour qui le sacré vient loin derrière le profit ? Ont-ils mesuré les souffrances endurées par les victimes des dérives sectaires ?

De tout temps, le détournement sémantique a été pratiqué avec talent et efficacité par les organisations qui avaient des visées totalisantes. Se cacher derrière le droit au libre arbitre pour mettre la main sur les consciences constitue à leurs yeux une suprême habileté. Les groupes sectaires ne font pas exception à cette règle. Mais ils doivent savoir que s’ils peuvent berner quelques esprits, ici ou là, ou même bénéficier de complicités de circonstance, cela ne suffira pas pour que l’Etat relâche sa garde.

Un exercice équitable des libertés individuelles passe d’abord par un droit imprescriptible à la sûreté et la liberté n’est pleinement vécue que dans le respect absolu du principe d’égalité. Le maître, le gourou auquel le disciple doit entière obéissance se joue de cette règle.

Que vaut un défenseur de la liberté dont le mode de fonctionnement érigé en système repose sur l’aliénation des esprits et des biens ?

Quelle place reste-t-il pour la fraternité ?

Quand l’esprit de fraternité, ciment de notre contrat social, est bafoué, il ne subsiste que quelques mots vides de sens, utilisés au prix d’une copieuse dose de cynisme. Mais il reste surtout des enfants humiliés, des victimes détruites et des familles déchirées à jamais.

C’est pourquoi, en 2006, grâce au soutien des services de l’État, en liaison avec les collectivités territoriales et avec le concours du monde associatif, la MIVILUDES poursuivra, sous le contrôle démocratique du Parlement, sa tâche au service de la défense des plus faibles, avec conscience et détermination, dans le strict respect des lois.

Jean-Michel ROULET Préfet, Président de la MIVILUDES