Clicanoo – Le Journal de l’Ile de la Réunion – 27-04-06
 
Bruno Raffi, avocat au barreau de Saint-Pierre, a présidé de 2000 à 2002 le Centre de documentation, d’éducation et d’action contre les manipulations mentales. Le CCMM a été créé il y a plus de vingt ans par Roger Ikor à la suite du suicide de son fils membre d’un groupement végétalien. Cette structure indépendante vise à informer le grand public sur les modes de fonctionnement des entités sectaires. Qu’est-ce qu’une secte ? C’est une organisation qui a pour seul but l’enrichissement personnel de quelques dirigeants par des pratiques criminelles. La manipulation mentale est un crime. L’intégrité de la personne est atteinte psychologiquement, physiquement et matériellement. Nous vivons une période de déshérence spirituelle. Avec tout de même un bémol pour la Réunion où la foi reste très forte. Cela permet néanmoins à toute une série de groupuscules d’accaparer l’attention et le porte-monnaie d’adultes qui se croient libres et se retrouvent embrigadés.
 
Comment les sectes attirent-elles leurs adeptes ?
 
Comme l’a écrit Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie : “Vous serez des esclaves heureux”. C’est exactement ça. Les victimes deviennent demandeuses et coopèrent à leur propre servitude. Les groupes sectaires peuvent potentiellement toucher tout le monde. Garder son libre arbitre est très difficile. Il est toujours possible de se remettre d’une perte d’argent, mais pas d’une perte du libre arbitre.
 
Comment reconnaître une personne endoctrinée ?
 
Quand quelqu’un change ses habitudes du jour au lendemain, diabolise l’extérieur, commence à avoir des dépenses inconsidérées, il y a lieu de s’inquiéter. Face à un mouvement suspect, il faut se poser deux types de questions. D’abord, celle de la transparence. Qui est à la tête du groupe ? Où va l’argent ? Ensuite, il y a le contenu des enseignements. Méfiez vous de la vérité révélée. Quelle est la fiabilité de cette solution ? Bien sûr, les religions reconnues affirment aussi conduire à la vérité révélée. Mais personne ne vous oblige à donner de l’argent. Et s’il est facile d’entrer dans une église, un temple ou une mosquée, il est facile aussi d’en sortir.
 
Justement, comment sortir d’une secte ?
 
Il n’y a que trois issues possibles. Malheureusement, il peut souvent s’agir d’un suicide. La victime est acculée, elle a honte de ce qu’elle est devenue, elle se tue pour sauver la face. Elle peut aussi sombrer dans la folie. Seule une rencontre amoureuse ou bienveillante, qui redonne à la personne confiance dans le monde extérieur, peut lui éviter le drame.
 
Que faire alors pour aider les victimes éventuelles ?
 
Il ne sert à rien de dire à un proche qu’il appartient à une secte. Cela ne fera que le couper un peu plus du monde extérieur. Il faut plutôt lui demander de manière détournée en quoi il est heureux dans sa nouvelle vie, en quoi il s’épanouit. Il faut le faire travailler sur lui-même pour qu’il se débloque psychologiquement. C’est le même processus que pour un drogué.
 
Que vous inspire le Reiki ?
 
Le Reiki en soi ne me dérange pas. Il y a deux ou trois choses bizarres dedans mais sans plus. Sauf que toutes les méthodes de bien-être devraient être gratuites. Un rebouteux, on ne le paye pas. On lui offre un poulet peut-être ou une simple poignée de main en remerciement. Celui qui a vraiment un don, il l’offre à la société.
 
Comment expliquez-vous le succès du Reiki ?
 
Comme toutes les techniques de guérison orientales, il apparaît peu compatible avec notre “programmation” occidentale. Mais l’attrait de l’inconnu reste le plus fort. Finalement, le Reiki a beaucoup moins de succès au Japon dont il est originaire que dans le reste du monde. C’est un produit prêt à l’export. Dans “l’air du temps”.
 
Est-ce que le Reiki est dangereux ?
 
Pour des gens peu scrupuleux, le Reiki peut être utilisé pour que les adeptes, sans s’en apercevoir, pendant un moment de faiblesse, s’embarquent dans d’autres groupes beaucoup plus néfastes. Il se peut que des recruteurs de secte utilisent le Reiki.
 

-Des contacts pour les victimes
 
Plusieurs associations luttent contre le phénomène sectaire. Le CCMM est représenté à la Réunion par Me Bruno Raffi du barreau de Saint-Pierre. L’Unadfi, en revanche, est plus difficilement joignable. Son numéro de téléphone sur l’île n’est plus attribué. Cependant, une adresse postale est toujours valable : Adfi Réunion, BP 78, 97 451 Sainte-Clotilde Cedex. Par ailleurs, la justice a confié la coordination de son action contre les sectes à un magistrat référent dans chaque département. À la Réunion, il s’agit de Michel Baud. Le substitut dépend du parquet général (0262 40 58 00).
 
La genèse abracadabrantesque du Reiki
 
Clicanoo – Le Journal de l’Ile de la Réunion – 27-04-06
 
Dans l’une de ses publications (*), le Groupe d’étude des mouvements de pensée en vue de la prévention de l’individu (Gemppi), un mouvement associé au CCMM, livre une description critique et rationnelle du Reiki. La genèse “officielle” de cette pratique a de quoi surprendre. Selon ses adeptes, le Reiki est très ancien. Il remonte aux gens de Mu, un continent mythologique englouti à l’aube des temps. Les rescapés du déluge se réfugient au Tibet. Une minorité d’élus conserve précieusement le secret du Reiki avant de le transmettre à Bouddha en personne au 6e siècle avant J. -C. Jésus Christ qui joue justement un rôle majeur dans cette histoire abracadabrantesque. Comme nous l’a si habilement caché l’Église romaine (elle a aussi fait le coup avec le mariage du fils de Dieu avec Marie-Madeleine et l’arrangement entre leurs descendants et Dan Brown pour toucher un pourcentage sur les ventes faramineuses du Da Vinci Code), le petit Jésus est envoyé en Inde pour échapper à la vindicte d’Hérode.
 
SUPERMAN DE LA GUÉRISON
 
Il revient finalement en Palestine converti au bouddhisme et guérisseur Reiki (eh oui, les miracles, vous croyez que c’étaient quoi, des effets spéciaux ?). Maintenant que les bouddhistes et les chrétiens sont dans le coup, ce qui assure une clientèle de base assez conséquente, le “découvreur” du Reiki moderne peut entrer en scène. Mikao Usui occupe un poste de recteur dans une université japonaise à la fin du 19e siècle. Ses élèves lui demandant de leur montrer la méthode de guérison employée par Jésus (ils en ont de ces questions), il se lance dans une longue quête. Dix ans plus tard, devenu moine bouddhiste, il est visité par un rayon lumineux au sommet d’une montagne sacrée. Au lieu de bronzer, Usui reçoit les symboles sanscrits du Reiki, ceux que le maître trace sur le corps du patient. Devenu un Superman de la guérison, Usui œuvre d’abord dans les bas quartiers de Kyoto. Mais il est vite délogé par les déshérités qui lui en veulent de les avoir guéris de leur infirmité et de les empêcher ainsi de continuer à mendier. Convaincu que les pauvres sont des abrutis, il se consacre donc aux riches qui se montrent beaucoup plus reconnaissants. C’est en tout cas ainsi que la plupart des maîtres Reiki justifient le prix élevé de l’initiation (jolie pirouette). Décédé en 1930, Usui a eu le temps de former ses successeurs, dont le principal, Chujiro Hayashi, se suicide en 1941 “par arrêt volontaire des battements de son cœur” (tiens, tiens, comme Ron Hubbard, le fondateur de la Scientologie, décidément ces gourous, ils ne peuvent pas avoir des crises cardiaques comme tout le monde).
 
À L’EST, RIEN DE NOUVEAU
 
Le Reiki saute la mer durant la deuxième guerre mondiale et s’épanouit aux États-Unis dans les années cinquante et soixante, puis en Europe à partir des années quatre-vingt. Une bien belle histoire qui ratisse large. Quant à l’efficacité du Reiki, le Gemppi lui réserve, comme à toutes les pratiques orientales liées à l’énergie vitale, un argument massue : “Pendant de millénaires, toutes ces médecines parallèles qui ressurgissent de nos jours sous différentes appellations, n’ont jamais été capables d’augmenter de manière significative l’espérance de vie humaine. Tandis que la médecine moderne, en moins de deux siècles, a presque doublé la longueur de vie moyenne des populations qui y ont accès”. Et le Gemppi de conclure par cette remarque acide : “Le paradoxe est grand, nous envoyons nos médecins en mission humanitaire dans les pays pauvres, et ces derniers nous envoient leurs guérisseurs en mission spirituelle”. Nous vivons décidément une époque formidable.
 
(*) Bulletin “Découvertes sur les sectes et les religions”, n° 43, octobre 1999.
 
Une grand-mère a peur pour ses petits-enfants !
 
Clicanoo – Le Journal de l’Ile de la Réunion – 27-04-06
 
Une grand-mère s’inquiète pour sa belle-fille happée par un groupe de Reiki à la doctrine obscure. Elle craint aussi que ses petits-enfants soient en danger. Si cette méthode de guérison ne peut être considérée comme une secte, un spécialiste des manipulations mentales explique que des maîtres peu scrupuleux peuvent utiliser l’ascendant qu’ils développent sur leurs adeptes pour les attirer dans des mouvements dangereux.
 
“C’est un appel à l’aide, lance Josette. Il faut sauver mes deux petits-enfants, mes deux seuls petits-enfants”. Cette gramoune du Sud souhaite conserver l’anonymat (d’où le prénom d’emprunt) car elle affronte “un ennemi invisible”. “Ma belle-fille est enfermée dans une spirale, lâche-t-elle. Une secte qui ne dit pas son nom”. Le fils unique de Josette réside à Sainte-Marie avec sa compagne et leurs deux jumeaux de 9 ans, un garçon et une fille. “C’était un foyer heureux, décrit la retraitée. Avec des enfants épanouis”. Les soucis ont commencé quand le petit a connu des problèmes d’eczéma. “Sur les conseils d’une amie, ma belle-fille est allée voir un maître Reiki, explique la grand-mère. C’était il y a un peu plus d’un an. À partir de là, les choses se sont dégradées”.
 
DIABOLISATION DE L’AUTRE, DU NON INITIÉ
 
Les faits énumérés par Josette collent aux étapes habituellement observées lors de l’embrigadement dans un mouvement sectaire : “Elle allait à des cours de méditation le soir. Puis elle était parfois appelée en pleine nuit si l’aura pour la prière était bonne. Elle avait de plus en plus de séminaires durant les week-ends. Elle a fini par se couper progressivement du monde extérieur”. La diabolisation de l’autre, du non initié, constitue le levier principal du phénomène sectaire. Josette a été exposée à quelques aspects de la doctrine prônée par le maître Reiki que fréquente sa belle-fille : “Il prône l’individualité de chaque membre de la famille. Les enfants, par exemple, n’ont pas le droit de dire que leur maman leur manque”. Au fur et à mesure, la grand-mère a perdu contact avec le couple : “Avant, ils faisaient souvent appel à moi pour garder les enfants. Maintenant, ils ne me le demandent plus. Cela fait plus de deux mois que je ne les ai pas vus. J’ai eu le chikungunya. Ils le savaient et ils n’ont même pas pris de mes nouvelles. Si, ma petite-fille m’a téléphoné une fois à la mi-mars. On aurait dit qu’elle faisait ça en cachette. Elle a dû raccrocher. Elle a dit qu’elle me rappellerait bientôt. Mais elle ne l’a pas fait. Sans doute qu’elle n’a pas pu le faire”. Le fils de Josette occupe un poste à responsabilité dans l’administration : “C’est lui aujourd’hui qui garde les enfants. Comme moi au début, il a sans doute cru que le Reiki pouvait être une bonne chose. Il ne s’est pas méfié. Puis, quand il s’en est rendu compte, il a failli faire une connerie. Il a suivi sa femme à une méditation. Il a frappé à la porte de la maison où elle était entrée. Elle a alors crié aux autres de ne pas lui ouvrir, qu’il allait la battre. Il a pensé à défoncer la porte et à la ramener de force. Heureusement qu’il ne l’a pas fait. C’est quelqu’un de très calme d’habitude. À côté de lui, je suis un tourbillon. Mais là, il n’a plus son libre arbitre”.
 
RETIRÉS PROGRESSIVEMENT DE TOUTE VIE SOCIALE
 
Josette a également des mots très durs pour sa belle-fille, enseignante comme elle : “Je l’adorais pourtant. Mais ce n’est plus la même. Rien qu’à prononcer son nom, ça me donne des boutons. Elle cherche le divorce. Mais en gardant la maison et les enfants. C’est pour ça qu’elle a fait une scène le soir où il l’a suivie”. Josette reste persuadée que ses petits-enfants sont en danger : “J’ai enseigné pendant 38 ans. Je sais reconnaître un marmaille en train de se ‹‹noyer››. Que ce soit à cause de parents démissionnaires, de l’alcoolisme du père, de la dépravation de la mère… J’ai essayé d’en sauver des tas”. Elle reproche à sa belle-fille d’avoir retiré les petits de la cantine et de leurs activités extra-scolaires. Pour une question d’argent, pour se couper du monde aussi. La nounou a été congédiée : “C’est mon fils qui s’occupe des enfants. Il est toujours d’‹‹astreinte›› pour eux. Lui aussi n’a plus de vie sociale. Il avait l’habitude d’aller courir. Mais ça fait longtemps qu’il ne l’a plus fait”. Sa belle-fille consacre presque tout son temps au Reiki. “Et tout l’argent du foyer, ajoute Josette. Une grande partie en tout cas”. Josette sait qu’elle se bat contre du vent, contre “ce grand maître qu’on ne voit jamais et ses acolytes qui racolent et initient”. Cette grand-mère appelle à l’aide.
 
B.Y.
 
– Le miracle a un prix
 
Le Reiki est une pratique de guérison magique par l’imposition des mains. Ses adeptes le considèrent également comme un outil de développement personnel, agissant tout à la fois sur les plans physique et spirituel. Cette méthode s’apprend au contact d’un maître qui enseigne, séminaire après séminaire, les gestes symboliques à accomplir sur le corps du patient afin de lui transmettre l’énergie positive universelle. Il en coûte au novice entre 1 000 et 4 000 euros, parfois plus, pour acquérir ces “super pouvoirs”. Ça fait quand même cher le miracle ! Un paravent pour les sectes “Étant une technique, le Reiki ne peut pas désigner un groupe sectaire. Seulement, dans certains cas, sa pratique peut s’avérer dangereuse”, affirme l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes. L’Unadfi a recueilli de nombreux témoignages décrivant des changements brusques de mentalité chez les participants, une tendance à la rupture, à l’isolement, des négligences quant aux responsabilités familiales et professionnelles, des ventes diverses, des dons… “C’est un moyen d’attraction utilisable pour les sectes”, reconnaît l’Unadfi. “Certains maîtres Reiki sont membres de sectes dangereuses”, prévient également le Groupe d’étude des mouvements de pensée en vue de la prévention de l’individu.