Arrestation «arbitraire», justice «inéquitable» qui «s’acharne» sur une femme enceinte de quatre mois, sujette à des grossesses «à risque»: Me Dominique Chambon n’est pas franchement parti pour briguer un titre en diplomatie franco-canadienne. Normal: sa cliente, Nathalie Gettliffe, une Française de 35 ans, est détenue dans les geôles de Richmond depuis le 11 avril pour «enlèvement d’enfants». Cette enseignante à Lyon II encourt dix ans de prison et elle va rester incarcérée au moins jusqu’au 1er mai, date d’examen de sa demande de libération. Cette affaire empoisonnée, surveillée de près par le Quai d’Orsay, illustre les problèmes posés par la garde des enfants lorsqu’un couple mixte explose – en 2004, 43 000 unions impliquant un(e) Français(e) se sont formées. Ici, comme souvent, deux cultures, deux conceptions de l’intérêt de l’enfant s’affrontent, avec une secte en fond de toile.

1999. Scott Grant et Nathalie Gettliffe vivent à Vancouver depuis dix ans. Le vernis conjugal se fendille quand les époux se mettent à fréquenter, sur les conseils d’amis, l’Eglise du Christ internationale – classée «secte» en France, pas au Canada, où l’on ne répertorie pas ces mouvements. «Le recrutement agressif de cette Eglise a cependant été mis en cause, récemment, par des campus, au point de vouloir le bannir des sites», précise Mike Kropveld, directeur général d’Info-Secte, à Montréal.

Riposte canadienne

Directeur des services juridiques du ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique, Geoffrey Gaul répond à L’Express

Le défenseur de Nathalie Gettliffe affirme qu’elle a été arrêtée à l’initiative d’un attorney général qui est en fait le beau-père de son ex-mari, Scott Grant…
Il est vrai que l’un des 400 procureurs généraux de la province est lié à la famille de Scott Grant, mais il n’a participé à aucune des décisions concernant Mme Grant. Ni dans la dénonciation ni dans l’émission du mandat d’arrêt, délivré le 11 avril. Ces décisions ont été prises par notre bureau de Richmond – et le procureur en question n’y travaille pas. Pour éviter tout risque de conflit d’intérêts dans cette affaire, nous avons d’ailleurs embauché un procureur ad hoc, Gail Dixon.

Selon l’avocat de Nathalie Gettliffe, on a voulu marchander sa libération contre le renvoi des enfants au Canada…

C’est faux. La demande de retour des enfants au Canada relève du droit civil. Il s’agit d’une autre voie, distincte du droit pénal.

propos recueillis par Isabelle Grégoire

Scott persévère, Nathalie prend le large. En 2000, le couple divorce. Le juge leur accorde la garde conjointe des enfants, la résidence principale étant fixée chez la mère, avec interdiction de quitter le pays sans accord écrit. Mais Nathalie Gettliffe craint que Maximilien et Joséphine, 12 et 11 ans aujourd’hui, ne soient maltraités, se plaint de voir des disciples de l’Eglise s’en occuper, flanqués de la Bible et d’un gourou. En août 2001, elle fuit le Canada pour l’Ardèche. Un mois plus tard, elle est condamnée à rendre les enfants à son ex- mari. Un mandat d’arrêt international est délivré. Le 20 juillet 2004, la cour d’appel de Nîmes ordonne le retour des enfants au Canada. Nathalie Gettliffe s’y refuse, «pour les protéger», dit-elle.

Une médiation internationale est alors proposée aux ex-époux, «sous couvert des ministères de la Justice des deux pays, relate Me Chambon. C’est dans ce cadre que, le 13 septembre 2004, la Cour suprême de la Colombie-Britannique annule le mandat d’arrêt contre ma cliente». Celle-ci se rend au Canada le 10 avril pour signer un protocole d’accord sur la garde des enfants. Faux, selon Scott Grant, qui nie toute médiation en cours et affirme que Nathalie venait pour soutenir sa thèse de doctorat à l’University of British Columbia (UBC). Jusqu’au 18 avril, le site Internet de l’UBC évoquait bien une soutenance prévue le 12. «La thèse, ma cliente l’a déjà passée, elle venait juste chercher son diplôme!» s’emporte Me Chambon. Et il dénonce un complot familial: «Le magistrat qui a fait procéder à l’interpellation et a établi un mandat d’arrêt seulement trente-six heures plus tard était en fait le beau-père de Scott Grant!» Ce qu’on dément, avec une clarté relative, côté canadien (lire l’interview ci-contre).

En février, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Nathalie Gettliffe. Et le 13 avril, la Colombie-Britannique a renouvelé sa demande de retour des enfants au Canada, en vertu de la Convention de La Haye. L’étau va-t-il se resserrer? Reste que le nouveau compagnon de Nathalie Gettliffe envisage de porter plainte en son nom contre l’Etat français pour lui avoir «demandé de passer par une médiation». Avec le résultat que l’on sait.