Diriez-vous que, sur le plan de la laïcité, La Réunion peut offrir un "modèle" ?

 Je crois que La Réunion possède une dimension supplémentaire de par son histoire, par l’apport successif de plusieurs civilisations, de plusieurs cultures importées sur le sol réunionnais depuis 300 ans par le biais de l’esclavagisme, de l’engagisme…
La Réunion offre un visage de la laïcité que peut-être n’expérimente pas encore la France métropolitaine. À la différence de la France, où le dialogue – au moment du vote de la loi, en 1905 – s’est instauré avec la seule religion chrétienne, ici nous avons un dialogue avec l’hindouisme, avec l’islam, le bouddhisme… Il y a ici quelque chose de tout à fait nouveau qui, à mon sens, est un atout et qui nous a évité jusqu’à présent de nous enfermer dans des débats stériles.

Par exemple ?

 Je pense au fait d’interdire ou pas le port du voile à l’école. Nous n’avons pas ce problème à La Réunion et d’ailleurs le Recteur s’est prononcé avec pragmatisme, en décidant que les jeunes filles qui désiraient porter le voile ne seraient pas exclues pour cela du système scolaire.

Cette question du voile était l’exemple même de l’importation d’un problème correspondant à une crispation de la société française. Mais ne pourrait-on avoir ici des crispations équivalentes, autour des règles de vie de certaines sectes, par exemple ?

 La laïcité est à mon sens une loi qui doit être respectée, car elle garantit à tous égalité et intégration. L’intégration est importante car elle donne matière à débat : selon quelles normes l’immigré qui arrive en France va-t-il être intégré ? Quand le Ministre de l’Intérieur décide de quotas d’immigrés à régulariser et dit qu’il faut faire appel à des cerveaux plutôt qu’à des travailleurs sans qualification, c’est complètement inégalitaire.
Après avoir exploité les nations énergiquement et humainement, on renverse maintenant cette exploitation en ne recevant que des gens qui auraient "un haut niveau de qualification intellectuelle". C’est une façon très partiale d’orienter le débat.
En ce qui concerne les sectes, je crois qu’il faut avoir une obligation qui est de respecter les lois du pays dans lequel on est. Et ne pas faire l’amalgame entre le respect ou le non-respect de la loi et la présence des immigrés.
L’émigration est un acte de survie. Il faut faire preuve d’humanisme, de souplesse et de tolérance.

Le débat engagé dans la société française et l’apport de la commission Stasi ont montré la nécessité d’accompagner les transformations de la société française et de faire évoluer la loi pour qu’elle continue de définir l’espace d’un "vivre ensemble"…

 Je crois d’abord qu’il ne faut stigmatiser personne. Et qu’il ne faut pas non plus tomber dans le piège de l’amalgame et de la confusion faite entre des activistes politiques, et des gens qui pratiquent une religion particulière.
Il faut effectivement faire évoluer la loi, et je pense que cela va dans le bon sens puisqu’il y a eu effectivement une espèce de consensus tant chez les politiques que chez les religieux.

Pour La Réunion, sur quel aspect de la vie sociale il vous paraîtrait important de faire émerger ou de défendre des valeurs communes ?

 Ici, il est indispensable que chaque culture, chaque religion soit enseignée à l’école. Pour qu’il n’y ait pas une simple superposition des cultures tant vantée, mais une interpénétration. Il faut une politique interculturelle des pouvoirs publics : de manière à ce que je ne connaisse pas seulement ma religion, ma culture, mais que je puisse partager celles des autres.

Du projet de MCUR* par exemple, diriez-vous qu’il est un bon outil pour l’illustration et la défense de la laïcité ?

 Ce projet entre tout à fait dans cette optique et va je crois contribuer à consolider l’identité réunionnaise à travers ses multiples composantes. Il ne suffit pas de proclamer la diversité des races, des religions, etc… Il faut aussi qu’il y ait un travail de fond entre les différentes composantes.
Ce projet offre à mon sens un autre regard sur la laïcité. Dégagé de l’ethnocentrisme qui a longtemps prévalu ici, il apporte une espèce de difractation de ce que pourrait être l’identité réunionnaise. On entre dans la composition, dans toute la dialectique de ce brassage des populations. On en arrive à une identité qui n’est pas figée, mais vit dans un mouvement permanent…
Ce projet est un projet ouvert, qui permet d’avoir un autre regard sur la laïcité. Pour une laïcité qui soit une laïcité comprise et surtout partagée et non pas imposée, décrétée ; une chose à laquelle on doit obéir.

* Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise

Réactions

o Dr. Chanemougame Selvam, Président de Tamij Sangam

"… il y a bien une méfiance envers les autres minorités"

La laïcité est un principe fondamental de la République française qui vient d’être réaffirmé à nouveau par la loi du 17 mars 2004. Ainsi, ce principe interdit les signes ostentatoires en soi et vecteurs de prosélytisme.
Le débat sous-entendu par cette loi est de dire que les références chrétiennes de la société française ne sont ni ostentatoires, ni vecteurs de prosélytisme. Par contre, les signes religieux des "nouvelles" religions en sont absolument. En quoi le calendrier judéo-chrétien qui donne le monopole des jours fériés à une seule religion n’est pas ostentatoire ? En quoi la présence de croix ou d’un sapin de Noël dans certaines classes n’est pas vecteur de prosélytisme ? En quoi l’obligation de donner des prénoms chrétiens aux enfants nés ici même à La Réunion (cette mesure a certes disparu depuis 1988) est-elle respectueuse de la liberté de conscience de tous les Réunionnais ?
Il faut bien reconnaître qu’il y a bien une méfiance envers les autres minorités dont les apports sont balayés d’un revers de la main par ce beau principe de laïcité. La séparation de l’Église et de l’État, principe ô combien noble et révolutionnaire, devient actuellement prétexte à l’élimination de ces "dangereux apports" venant de l’extérieur.
Face à cette laïcité, ne mettez pas si facilement en opposition une laïcité à la réunionnaise ! L’obligation aux Hindous de choisir un prénom catholique dans les bureaux de l’État civil des communes s’est bien passée ici à La Réunion jusqu’aux années 1988 ! La société coloniale et post-coloniale n’a jamais mis en exergue la diversité religieuse de notre île. Par contre, le métissage et le vivre en commun ont façonné ce qu’aucune législation n’a jamais encouragé ici, l’émergence d’un peuple ou d’une population fraternelle, sans frontières religieuse ou ethnoculturelle internes. À partir de ce moment-là, il n’y a plus de méfiance envers l’autrui et même pas d’indifférence puisque "je le connais comme moi je me connais moi-même". Ce processus dépasse la simple tolérance car il est empreint d’intérêt envers l’autre et finalement d’amour envers l’autre. C’est peut-être cela la laïcité à la réunionnaise.

o Sudel Fuma, historien, chaire de l’UNESCO

"Un état laïc est un état… qui respecte toutes les religions"

Pour moi, la laïcité c’est un concept républicain qui signifie liberté de pensée, d’expression, qui implique le respect de l’autre dans sa vision du monde et de sa propre existence.
Il y a deux échelles à prendre en considération. Au niveau de l’individu, être laïc c’est non seulement être tolérant mais aussi respectueux de la pensée des autres de sa vision idéologique du monde. Au niveau collectif, celui des États, des institutions, être laïc, c’est se situer au-delà des idéologies, des religions, de leur outrance et des intégrismes. Un état laïc est un état sans religion, qui respecte toutes les religions et qui ne cherche pas à imposer une vision du monde au citoyen et a fortiori aux autres États.

o Franswa Sintomer, acteur culturel

"Fo may pa ditou la rolizyon anndan lékol"

So kestyon : Kosa i sré po mwin la laisité ? Sanm po mwin la laisité bann règdvi, mwin la aprann dopi mwin té pti, mwin la komans alé lékol laik po awar tout bann konésans po nou myé viv ansanm, bann konésans lé an poundyak sof laprantisaz bann zistwar la rolizyon i aprann anndan lékol laik. Porézon, si so kestyon la rolizyon laisité i réspèk lo krwayans, tout domoun nana in rolizyon konm sak napwin, sa in zafèr personel épi lib dan lo réspé po inn-é-lot. Ala koman mi krwa, épi mwin la toultan viv la laisité, fo may pa ditou la rolizyon anndan lékol.

o Le Groupe de femmes de La Réunion de toutes religions, spiritualités et philosophies

"Vivre dans le respect de l’unité dans la diversité"

Le Groupe de femmes de La Réunion de toutes religions, spiritualités et philosophies souhaite apporter sa contribution pour donner leur sens de ce mot. Lors de l’une de leurs rencontres mensuelles, elles expliquent leur position. "Souvent, le sens de ce mot est déformé. La laïcité est déjà un principe d’ égalité et de respect des convictions , avec la précision notée par Jean Baubérot (1) que “les convictions incluent le droit de ne pas croire”. Deux autres principes redonnent toute sa dimension à la laïcité : “le respect de la liberté de conscience et de culte et la lutte contre toute domination de la religion sur l’État et sur la société civile”, ce qui correspond pour nous au respect de la séparation des églises et des États".
Comme elles l’indiquent dans leur charte, les femmes – une quinzaine – du groupe veulent "vivre dans le respect de l’unité dans la diversité : tous, agnostiques, athées, bahaïs, bouddhistes, confucianistes, chrétiens, hindouistes, juifs, musulmans, taoïstes etc… Des lois et des valeurs de la République comme la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. L’absence de prosélytisme, de sectarisme, d’élitisme, de syncrétisme. Notre bonne volonté active au quotidien comme dans les événements et rencontres mensuelles que nous impulsons : pour un monde meilleur, plus juste, plus harmonieux, solidaire ici et maintenant. Pour l’équilibre, la santé retrouvée avec la nature préservée".

(1) Jean Baubérot , Directeur du Groupe de sociologie des religions et de la Laïcité du CNRS-EPH, titulaire de la chaire Histoire et Sociologie de la laïcité à l’École pratique des hautes études (Sorbonne).

o Idriss Issop Banian, Président du Groupe Inter-Religieux

"Ne pas chercher à imposer sa propre conviction aux autres, ni dans la gestion de la cité"

Pour Idriss Issop Banian, la laïcité est "ce qui permet aux citoyens d’un pays de vivre ensemble avec toutes leurs différences de convictions ou de sensibilités religieuse et philosophique. Ce principe a pour exigence le respect des convictions des autres. Et surtout de ne pas chercher à imposer sa propre conviction aux autres, ni dans la gestion de la cité. Cette laïcité à mon sens ne se décrète pas, c’est le résultat d’un processus permanent d’apprivoisement mutuel". D’après lui, "ici, nous vivons cette laïcité de façon sereine justement parce que la société réunionnaise a su au cours des décennies faire les réajustements nécessaires à l’harmonisation de notre vivre ensemble. Ce vivre ensemble serein est à mes yeux la chose la plus importante qu’il faille chaque jour préserver et consolider. Je dirai même qu’il faudrait la sacraliser. J’estime que c’est le gage de l’avenir harmonieux et durable de notre île. Notre Groupe de Dialogue Inter-Religieux s’engage parle dialogue, le respect et l’amitié à promouvoir la cohésion et l’unité, et d’être artisan de paix dans notre communauté réunionnaise. Personnellement, je fais mon credo de ce vivre ensemble fraternel entre les Réunionnais".

o Monica Govindin, Conseillère générale du Port

"Dieu et la politique sont liés"

Cette jeune élue du Port "ne peut dissocier Dieu de la vie politique". Pour elle, "l’un ne va pas sans l’autre, même si la loi sépare l’Église du pouvoir politique". Si elle est là aujourd’hui, "c’est grâce à Dieu". Au moment où elle affrontait "seule des épreuves", elle a rencontré sur son chemin des personnes qui lui sont venues en aide. Aujourd’hui, cette jeune élue du peuple "épaule avec les moyens qu’elle dispose les plus démunis". Il n’a pas été facile pour elle de définir la laïcité. "C’est quelque chose qui se vit au quotidien, basé sur le respect des autres, des opinions et des origines". Elle sera "toujours à leur écoute".

INTERVIEW DE RAJAH VELOUPOULÉ, CONSEILLER RÉGIONAL PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L’EPANOUISSEMENT HUMAIN (CULTURE, SPORT, VIE ASSOCIATIVE)

"La Laïcité garantit à tous égalité et intégration"
Publié dans l’édition du mercredi 23 août 2006