De notre correspondant à Yaoundé

On pourrait l’appeler Laura. Chaque matin, elle parcourt toute la «Cité verte», un quartier, naguère prestigieux, à l’ouest de Yaoundé. Son but: proposer la cité céleste aux habitants de cette succession de pâté de maisons et d’immeubles, sorte de HLM des années 80, à la camerounaise. Pas une porte sur laquelle elle n’ait toqué. Pas un occupant qui ne se souvienne de ce visage toujours souriant, de cette voix rassurante, qui porte, au seuil de chaque porte, l’évangile, proposant une leçon de «théologie», ou une brochure, Réveillez-vous. Obstinément.

Laura ? Témoin vivante de la présence au Cameroun des Témoins de Jéhovah, qui ont littéralement envahi les grandes métropoles. Et construit des temples, dans la quasi-totalité des quartiers, sans rien négliger de l’arrière-pays. Un peu plus visibles que les tenants de la Mission du Plein Évangile, du Living World Fellowship, de la Vraie Église de Dieu, et bien d’autres. Un peu plus présent que les évangélistes de tous bords, apparemment de culture anglo-saxonne, qui s’activent si souvent chaque fin année, occupant pendant de longues semaines, l’esplanade du stade Ahmadou-Ahidjo de Yaoundé, ou celle du stade de la Réunification au quartier Bépanda de Douala.

Dans ce pays où les rumeurs d’appartenance des dignitaires du régime à des ordres comme la Rose-Croix et la franc-maçonnerie circulent inlassablement, pas besoin d’attendre la version définitive de deux études menées par l’Église catholique il n’y a pas longtemps, à Bamenda dans la Nord-ouest anglophone, et à Douala. Deux archidiocèses qui comptent dans le paysage catholique local, et qui sont, comme l’ensemble de la communauté catholique, préoccupées par l’arrivée -le succès ?- de nouvelles religiosités. Certains ont voulu justifier ce printemps religieux par l’existence d’une loi de 1990 consacrant la liberté de culte. Mais la nuance est de mise. «La liste des associations religieuses autorisées ne s’est du reste pas considérablement allongée depuis décembre 1990. Aux vingt-six associations enregistrées à cette date, se sont seulement ajoutées, en plus de dix ans de libéralisation, une vingtaine de nouvelles dénominations, sans que l’on sache très bien le critère de cette sélection qui intègre autant les Églises pentecôtistes que des associations et les Témoins de Jéhovah, interdits pendant plus de vingt ans au Cameroun en raison de leur refus d’intégration à l’État», explique Maud Lasseur, géographe de l’université de Paris I, très familière de ces questions.

L’esprit de Vatican II

Même des voix autorisées de l’Église catholique ne prêchent pas contre la loi de 1990. «On a souvent évoqué cette loi. Mais il faut laisser la liberté à nos concitoyens d’aller vers les églises de leur choix. C’est en tout cas à l’Église catholique de tout faire pour garder ses fidèles», avance Mgr Patrick Lafon, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun. Et de passer à la confession face à l’occupation du terrain par les autres formes de religiosités. «Nous considérons ce phénomène comme un véritable défi, dans la mesure où, si les gens vont vers les sectes, cela signifie qu’il y a quelque chose qu’ils ne trouvent pas chez nous. Ailleurs par exemple, les prédications sont simplifiées à l’extrême. On y promet de l’argent, des biens matériels, des guérisons, etc. C’est ce qui attire les gens.» Alors ? «La question est préoccupante, il faut le reconnaître. Mais nous n’en sommes pas obsédés», concède Mgr Lafon, non sans rappeler que le Cameroun compte tout de même plus de six millions de catholiques, sur les près de 16 millions de citoyens, qui comptent aussi des protestants, des musulmans, des animistes.

Il n’empêche. D’autres facteurs rentrent apparemment en ligne de compte des explications de cette montée de l’influence des nouvelles religiosités. «Le Cameroun respire l’esprit du concile Vatican II. Depuis lors, l’Église catholique a cessé de combattre tous ceux qui ne pensent pas comme elle, et abandonnant l’ancienne formule "hors de l’Église, point de salut". Donc, à cette tolérance, il faut deux influences, celle des médias, et celle de l’exigence de démocratie à travers le monde», fait remarquer Pierre Titi Nwel, sociologue et coordonnateur de la commission «Justice et Paix» de la conférence épiscopale nationale.

Ce soir, à la tombée de la nuit, au quartier Elig-Essono, au cœur de la ville, des dizaines de fidèles se retrouveront au temple Bethel, un des nouveaux lieux de spiritualité de la capitale, où ils chanteront et prieront de tout leur chœur, et de tout leur corps. À quelques encablures de la cathédrale Notre-Dame-des-Victoires, où les évêques diront une messe de requiem en mémoire du pape Jean-Paul II…


Valentin Zinga
Dernière mise à jour le 05/04/2005 à 15:30 (heure de Paris)