Malgré la lassitude et le découragement, Scott Grant raconte dans un sourire les rares moments où il a pu voir ses enfants au cours des cinq dernières années. "La première fois, je les ai rencontrés une heure, sur un terrain de sport de Satillieu, en Ardèche, le 5 janvier 2002. J’ai pu rester avec eux une heure le 18 janvier, toujours sur ce terrain, avec une voiture de police à proximité. Un an plus tard, en décembre 2002, nous avons passé trois heures ensemble, sous surveillance, dans un lieu d’accueil aménagé de l’hôpital d’Annonay. Et, le 5 juin 2004, je suis parti cinq jours avec eux pour la première fois. Pendant ce séjour, nous avons acheté des gâteaux et des bougies et nous avons fêté ensemble tous les anniversaires que nous avions ratés pendant cinq ans."

Scott Grant est le père de Maximilien et Joséphine, deux enfants placés au coeur d’une tourmente judiciaire franco-canadienne qui s’est conclue, le 10 avril, par l’incarcération de leur mère. Ce jour-là, Nathalie Gettliffe est arrêtée à sa descente d’avion à Vancouver et placée en détention pour avoir enlevé, en 2001, Maximilien et Joséphine, qui ont aujourd’hui 11 et 12 ans. "Je n’ai pas réussi à la joindre au téléphone depuis, raconte son compagnon, Francis Gruzelle. Je suis inquiet, car elle est enceinte de quatre mois et demi. Notre bébé, qui est ici, en France, et qui a neuf mois, supporte mal cette tension." Lundi 1er mai, la cour provinciale de Richmond a prolongé la détention de la jeune femme au moins jusqu’au 11 mai, dans l’attente d’une décision sur son éventuelle remise en liberté conditionnelle.

En 2001, Nathalie Gettliffe a quitté le Canada avec Maximilien et Joséphine alors que la Cour suprême de Colombie-Britannique le lui avait interdit. Depuis, leur père, conseiller financier à Vancouver, tente en vain de les revoir. "Lorsqu’il est venu une semaine en France, en 2004, leur mère a refusé qu’il voie les enfants, ne serait-ce qu’une heure, raconte l’avocat de Scott Grant, Kaddour Haboudou. Il avait apporté des cadeaux pour les enfants. Il a fallu que je les remette à l’avocate adverse lors de l’audience de la cour d’appel. C’était déprimant, j’en aurais presque pleuré."

Au Canada comme en France, Scott Grant collectionne pourtant les décisions judiciaires en sa faveur. Peu après l’enlèvement des enfants, la justice canadienne lui a attribué provisoirement la garde et la tutelle de Maximilien et Joséphine. En France, le tribunal de Privas, la cour d’appel de Nîmes et la Cour de cassation lui ont, eux aussi, donné raison en ordonnant le retour de Maximilien et Joséphine à Vancouver. "C’est vrai, Nathalie a quitté la Colombie-Britannique sans l’autorisation de son mari ou de la justice, ce qui était illégal, admet son avocat français, Dominique Chambon. Mais elle l’a fait pour protéger ses enfants de l’influence de la secte dont fait partie Scott Grant, l’Eglise du Christ international."

Nathalie Gettliffe, alors étudiante au Canada, se marie avec Scott Grant en 1989. Lorsqu’ils s’installent à Vancouver, les époux, qui cherchent à s’intégrer dans leur nouveau quartier, sont invités par leurs voisins à rejoindre l’Eglise du Christ international. Créée à Boston en 1979, cette église évangéliste n’est pas considérée comme une secte au Canada. Mais, en France, le rapport parlementaire de Jacques Guyard de 1996 la classe parmi les "mouvements sectaires". "Scott Grant a été absorbé par la secte", affirme le compagnon de Nathalie Gettliffe. "L’ambiance est devenue invivable : il fallait faire des temps de prière le soir, respecter les préceptes de la secte, vivre auprès des autres adeptes. Nathalie a tenté de sauver son mari, mais elle a échoué et, en 2001, elle a décidé de quitter le domicile conjugal."

Après la séparation, Maximilien et Joséphine, qui ont alors 7 et 5 ans, vivent avec leur mère, qui poursuit son doctorat en sciences du langage à l’université de Vancouver, tandis que Scott Grant bénéficie d’un large droit de visite et d’hébergement. Pour prévenir tout enlèvement, la Cour suprême interdit, le 11 mai 2001, aux parents de "déplacer (les enfants) sans un protocole d’entente signé par les deux parties ou une ordonnance prononcée par le juge (…). Veuillez, Scott Alfred Grant et Nathalie Jeanne Grant, prendre note que si vous refusez ou négligez d’obéir aux termes de la présente ordonnance, vous serez arrêté par un agent de la paix ou un agent de la garde royale du Canada", conclut solennellement la Cour, qui demande à Nathalie Gettliffe de rendre les passeports des enfants.

Pendant l’été 2001, Nathalie Gettliffe obtient l’autorisation de venir passer les vacances en France avec Maximilien et Joséphine. Elle en profite pour obtenir un passeport français où figurent ses enfants. Dès son retour à Vancouver, elle demande au juge l’autorisation de partir en France pendant un an. Le 24 août, elle essuie un refus. Trois jours plus tard, elle prend la fuite en utilisant ses documents français. Aux yeux de la convention de La Haye de 1980, ce départ est un enlèvement : les parents qui soustraient leurs enfants de moins de 16 ans à leur "résidence habituelle" en violant les décisions de justice commettent un "déplacement illicite".

Dès son arrivée en France, Nathalie Gettliffe se réfugie chez sa mère, qui vit à Satillieu, un village ardéchois où elle est conseillère municipale. "Ce chef-lieu de canton est le berceau de sa famille, raconte son compagnon, journaliste au Dauphiné libéré. Le père de Nathalie, qui était photographe, y a vécu jusqu’à son décès, lorsqu’elle avait 16 ans. Sa mère est restée et y a élevé ses enfants." Maximilien et Joséphine sont scolarisés au village dès la rentrée. Nathalie Gettliffe enseigne l’anglais à l’université Lyon-II et les sciences du langage à l’Ecole normale supérieure de Lyon.