L’affaire avait défrayé la chronique, il y a une année à cause de son caractère insolite. En effet, la secte des pieds nus de Kadiolo avait opposé une résistance à l’autorité publique au sujet de la vaccination de leurs enfants et l’affaire avait dégénéré en conflit meurtrier.

Huée hier mardi 7 novembre, à la Cour d’assises présidée par Zoumana Cissé, la célèbre affaire dite des pieds nus de Kadiolo a connu son épilogue. Les sieurs Abdrahamane Kéïta, Alassane Dembélé et Moussa Koné répondaient aux chefs d’accusation de rébellion, de coups et blessures volontaires aggravées, de menace de mort et d’opposition à l’autorité légitime. Outre ce chef, les intéressés ont été retenus dans les liens d’autres accusations. Ainsi, ils ont été déclarés coupables des faits d’opposition à l’autorité légitime, de menace de mort et de coups et blessures volontaire aggravés. A cet effet, ils ont été condamnés chacun à une peine de 5 ans d’emprisonnement ferme. Ce n’est pas tout, les deux derniers ont été sommés de payer, au titre des dommages et intérêts, la somme de deux millions de F CFA à Mohamed El Wali, un des éléments des forces de l’ordre, victime de la barbarie des pieds nus.

Pour les faits, nous sommes le 18 septembre 2005 à l’occasion des Journées nationales de vaccination (JNV). La secte dite des "pieds nus", installée aux abords de la ville de Kadiolo, comme à son habitude, entendait s’opposer à la vaccination des enfants de ses adeptes. Face au refus, la commission de vaccination fit appel aux notabilités de la localité dont le chef de village, le maire et le commissaire de police. Malheureusement, la mission de bons offices de cette commission buta sur l’intransigeance des pieds nus, décidés à ne pas céder. En désespoir de cause, l’administration locale, à la demande de la mairie, réquisitionna la police, renforcée par quelques éléments de la garde nationale et de la gendarmerie. Ainsi, ces éléments invitèrent le chef de file des pieds nus à les suivre au commissariat. Ses camarades, qui étaient déjà sur un pied de guerre depuis le matin, armés de sabres et de faucilles, prêts à l’affrontement, n’attendaient que cela pour lancer l’assaut contre les agents en appelant à la Djihad avec des slogans comme "mort aux cafres". Ceux-ci étaient obligés de lancer les gaz lacrymogènes et les sommations d’usage. Malgré tout, la résistance des pieds nus se renforçait et des éléments des forces de sécurité furent sérieusement molestés à coups de sabre. Ainsi, la riposte ne s’est pas fait attendre, certains éléments vont faire usage de leurs armes en tirant à balles réelles sur les pieds nus, seul moyen, selon eux, d’arrêter la furie meurtrière des assaillants et sauver les vaccinateurs. Trois pieds nus, Ibrahim Traoré, Ousmane Coulibaly et Issa Sanou, laisseront leur vie dans l’affrontement tandis que côté forces de l’ordre, Alassane Traoré, Drissa Sangaré et Mamadou Elwali s’en sont sont tirés avec des blessures.

Arrêtés, puis mis sous mandat de dépôt en octobre 2005, les pieds nus reconnurent certains faits notamment l’opposition à l’autorité publique à l’origine des coups et blessures volontaires. En revanche, ils déclaréraient n’avoir jamais eu l’intention de fomenter une quelconque rébellion.

Devant la Cour d’assises, ils restèrent sur leur position. Ainsi, Abdrahamane Kéïta, considéré comme étant le chef spirituel de la secte, reconnut même s’être farouchement opposéà la vaccination de leurs enfants. Cependant, il soutint que ce sont les forces de l’ordre qui ont déclenché, en premier lieu, les hostilités.
"Nous ne voulons pas de la vaccination parce qu’ elle porte préjudice à nos enfants. Certains d’entre eux souffrent des séquelles de cette pratique occidentale, d’autres en sont simplement morts. En bon croyants, nous nous méfions de tout produit dont nous ignorons la composition. Tous les maux ici-bas sont dus à l’Occident" a-t-il martelé.

Quant à Alassane Dembélé, il a mis l’accent sur le comportement peu orthodoxe des forces de l’ordre qui, selon lui, ont abusé de leur pouvoir. Enfin, s’agissant du dernier accusé Moussa Koné, il a reconnu, sans ambages les faits. "Je reconnais, nous avons érigé des barricades en vue d’empêcher les vaccinateurs d’accéder à nos enfants. Au cours de l’affrontement, j’ai pu même asséner un coup à un élément des forces de l’ordre". Face à cet aveu l’avocat de la partie civile, Me Tiécoro Konaré qui assurait la défense de la victime Mohamed El Wali, était vraiment à l’aise pour soutenir l’accusation. "Mesdames et Messieurs de la Cour, les faits sont constants. Ce sont les menaces de mort qui ont abouti aux coups et blessures volontaires. Toute chose qui repose sur une résistance à l’autorité légitime. J’ai été très heureux de constater avec vous, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’aveu de certains accusés. Ne soyons donc pas plus royalistes que le roi" a-t-il soutenu, avant d’ajouter qu’on ne saurait parler de la bavure de la part des agents des forces de l’ordre. "Ils ont été attaqués par les pieds nus et ils ont riposté".

Intervenant pour son réquisitoire, le représentant du ministère public, Aliou Nappé, a estimé qu’ "il y a eu même de l’opposition systématique à l’autorité de l’Etat. Je ne ferais pas de littérature sur la dangerosité des pieds nus. La magistrature en a même été victime. Vous avez devant vous une branche armée d’une secte. Heureusement que certains d’entre eux ont reconnu, sans ambages, les faits qui leurs sont reprochés. Il faut les maintenir dans les liens de l’accusation et les punir conformément à la loi, sans aucune circonstance atténuante".

La défense des accusés assurée par Mes Tiéssolo Konaré, Jean Claude Sidibé, Oumar Sidibé et Nématou Maïga, a estimé que l’opinion a, malheureusement, des préjugés sur les pieds nus. "nos clients sont victimes des préjugés. Depuis la malheureuse affaire dite des pieds nus de Dioïla dans laquelle un de vous a perdu sa vie, cette secte attire l’animosité de la plupart de nos concitoyens. Et, dans cette affaire, il y a eu bel et bien de la bavure de la part des forces de l’ordre qui n’ont pas hésité à tirer à balles réelles sur des pauvres gens qui n’avaient que des armes blanches" a déclaré Me Tiéssolo Konaré appuyé par ses collègues Mes Oumar Sidibé et Jean claude. Quant à leur consœur Nématou Maïga, elle a fait de la littérature abondante brodant sur certaines notions de droit qu’elle avait rédigée auparavant. Malheureusement, pour la défense, elle n’a pas été suivie par la Cour qui a reconnu les accusés coupables des faits d’opposition à l’autorité légitime, de menace de mort et coups et blessures volontaires.

Par conséquent, elle a infligé une peine de 5 ans de prison ferme à chacun des accusés,Abdramane Kéïta, Alassane Dembélé et Moussa Koné. En outre, les deux derniers ont été sommés de payer, au titre des dommages et intérêts, la somme de deux millions de F CFA à Mohamed El Wali, l’un des éléments des forces de l’ordre, victime de la barbarie des pieds nus.

Alassane DIARRA