Des acteurs de terrains notent une augmentation des cas d’enlèvements d’enfants. Les auteurs des rapts les utilisent à des fins d’exploitation ouvrière ou de prostitution, mais aussi pour prélever leurs organes ou demander une juteuse rançon.

Le rapt d’enfant est une réalité dont on parle de plus en plus au Cameroun. Dans le cadre de la lutte contre l’exploitation infantile, une attention particulière est accordée à la « lutte contre les enlèvements d’enfants, étant donné que la tranche de 4 à 14 ans est la plus vulnérable », indique le Portail du gouvernement. Et dans ce cas, on est loin de la tradition qui veut, dans certaines régions, que l’on « vole » la fille que l’on veut épouser, avant de revenir demander sa main aux parents.

Il n’existe pas de statistiques officielles sur le phénomène, mais Interpol-Cameroun, que nous n’avons pas pu joindre, dispose de quelques chiffres. Le ministère des Affaires sociales collabore pour sa part avec le Bureau international du travail (BIT) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) pour recenser les cas, que d’aucuns jugent « de plus en plus récurrents ». « Nous avons des signalements qui nous viennent des services sociaux, des gendarmeries et de la police. Il n’y a pas une région en particulier qui est touchée », précise Samuel Njock, juriste et inspecteur aux affaires sociales.

Exploitation ouvrière et trafic d’organe

Le Cameroun serait aujourd’hui à la fois zone de transit d’enfants en provenance d’Afrique de l’Ouest et « fournisseur ». Les kidnappings, qui ont lieu dans l’arrière-pays ou dans la rue, sont notamment le fait de proches qui ont promis monts et merveilles aux parents des victimes (tactique appelée fraude) ou de trafiquants qui se servent simplement. « Environ 200 enfants d’origine camerounaise et une soixantaine d’autres, notamment d’origine béninoise et nigériane, victimes de réseaux des trafiquants et destinés à des employeurs du Gabon et de la Guinée équatoriale, ont été récupérés aux frontières du pays et remis à leurs familles », expliquait, le 3 juillet lors d’un atelier, Léon Noah Manga, président du Comité consultatif du programme du BIT/Lutrena (Lutte contre la traite des enfants à des fins d’exploitation de leur travail en Afrique de l’Ouest et du centre).

Ces enfants sont réduits à l’état d’esclavage dans le pays, qui a adopté en juillet une loi réprimant l’exploitation et la traite infantiles, ou à l’étranger. Ils travaillent des heures durant dans des conditions inhumaines et sont parfois maltraités. « Cela se produit surtout dans les provinces du Nord-Ouest et de l’Extrême-Nord, qui sont limitrophes du Gabon et de la Guinée, où beaucoup font le trafic d’enfants », commente une source du BIT.

« Nous avons eu des informations concernant des rapts d’enfants prostitués à l’étranger et dans certains cas nous avons pu les récupérer. Ils ont soit été confiés à des parents qui pensaient qu’ils auraient la belle vie en Europe ou sont tombés dans les filets de réseaux », souligne Samuel Njock. « Généralement, des proxénètes les enlèvent et les placent chez d’autres personnes qui en abuseront sexuellement », indique notre source du BIT. Autre réseau : celui du trafic d’organes. « Cette thèse n’est pas tout à fait vérifiée, mais il arrive que l’on retrouve des enfants avec un organe en moins. On les choisi parce que leurs organes peuvent bien se développer », analyse l’inspecteur aux affaires sociales.

Rançonneurs-mutilateurs

Il existe par ailleurs d’autres formes d’exploitation, moins connues. On rapporte que des sectes et des sorciers prennent également des enfants dans le cadre de leurs rituels. « Dans l’Est, il y a le phénomène de capturer des enfants pour prendre ses parties génitales. Les gens font ça pour avoir des biens, pour être riches », confie un journaliste de l’Est du Cameroun. Il ajoute le cas des rançonneurs. « Les ex-rebelles tchadiens et centrafricains qui ont soutenu le Président centrafricain Bozizé, et qu’il n’a pas payé lors de son investiture, venaient à la frontière et amènent les enfants (parfois trois ou quatre d’une même famille) en brousse, raconte-t-il. Ils envoient un émissaire qui demande de grosses rançons à de grands éleveurs de bœufs, qui possèdent des millions. Les parents se battaient pour récupérer leur enfant car, chez les musulmans, un enfant est un cadeau. Une fois payés, ils repartaient, parfois avec des milliards ».

En cas de refus, ils pouvaient se montrer sans pitié. « Plus le temps passe, plus le risque de mutilation augmente. Comme les coupeurs de route, ils coupent une partie du sexe si c’est un garçon ou un membre pour donner l’exemple. Alors, les parents s’exécutent. Mais il y a eu des décès, parce qu’on a tué l’enfant ou parce que le manque d’hygiène, qui laisse à désirer dans cette partie du pays, entraîne des infections après les mutilations. Ceux qui rentrent font une peur effroyable : ils ont des séquelles et des blessures faites au couteau qui font toute la face, des cheveux au menton », poursuit le journaliste. Il assure que la situation s’est calmée car le gouvernement a envoyé des militaires « dans pratiquement toutes les villes à la frontière ». Mais les frontières sont poreuses et les rançonneurs parviendraient tout de même à se frayer un chemin.

Une loi de plus en plus sévère

Des vies brisées qu’il faut raccommoder. « Le ministère de l’Education participe à la réinsertion en donnant des formations scolaire ou professionnelle. Nous nous occupons, avec le ministère des Affaires sociales, des enfants sortis de la traite. Mais cela demande beaucoup de coût pour réinsérer et la demande est toujours plus forte par rapport à l’offre », regrette notre source du BIT.

Mieux vaut alors prévenir et sensibiliser. « Nous portons le débat sur la place publique, nous sensibilisons à la traite. Nous essayons de former la police, la gendarmerie, les acteurs sociaux pour que les gens soient informés », énumère Samuel Njock. Pas superflu, selon notre source du BIT : « Beaucoup ne connaissent pas la loi de décembre 2005, qui lutte contre le trafic et l’exploitation des enfants, alors qu’avant les auteurs de ces faits ne risquaient rien. Maintenant, ils doivent savoir qu’ils risquent une arrestation, une amende et même la prison ». Le droit camerounais réprime en effet les kidnappings de mineurs (article 352 du code pénal) et l’enlèvement avec fraude ou violence (articles 353 et 354) de « peines de prison ferme, parfois assorties d’une amende », souligne Samuel Njock. La législation en vigueur devrait être prochainement complétée par un Code de protection de l’enfant, actuellement en cours d’écriture, pour prévenir les rapts d’enfants.

Enlèvements à des fins d’exploitation et de trafic d’organes, contre rançon
lundi 28 août 2006, par Habibou Bangré