Si la capture cette semaine du "prophète" d’une secte polygame constitue une victoire pour les autorités américaines, il reste difficile de lutter contre ce phénomène, marginal mais profondément enraciné en certains endroits de l’Ouest du pays.

Arrêté en début de semaine au Nevada (ouest), Warren Jeffs, dirigeant de "l’église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints du dernier jour" (FLDS), va être renvoyé en Utah (ouest), où on le réclame pour complicité de viol. S’il est reconnu coupable, il risque la prison à vie.

Jeffs, 50 ans, sera aussi jugé en Arizona (sud-ouest) pour agression sexuelle sur mineur. Les accusations contre cet homme de grande taille et à l’allure ascétique découlent des soupçons d’avoir organisé des unions illégales entre des mineures et des hommes plus âgés au sein de sa secte, un schisme du mouvement mormon.

La plupart des 10.000 membres de la FLDS vivent dans les villes contiguës de Hildale (sud-ouest de Utah) et Colorado City (nord-ouest de l’Arizona) où la secte possède presque tous les terrains, rendant très difficile d’y appliquer la loi, souligne le porte-parole du ministre de la Justice de l’Utah, Paul Murphy.

"Ce qui nous inquiète, c’est qu’ils sont très repliés sur eux-mêmes et contrôlent le conseil municipal et la police. Les victimes (d’abus) dans cette communauté ne peuvent pas bénéficier de la même aide que les autres habitants de l’Etat", explique-t-il à l’AFP.

Bien que la polygamie puisse y être théoriquement punie de cinq ans de prison, l’Utah a renoncé dans les faits à poursuivre lorsqu’il s’agit de relations entre adultes consentants.

"C’est une question de ressources. Il existe 37.000 membres de familles polygames en Utah. Si nous arrêtions tout le monde, cela signifierait 10.000 hommes emprisonnés et 27.000 femmes et enfants dont les services sociaux devraient s’occuper", constate M. Murphy.

Dans les années 1950, les autorités de l’Arizona avaient dû reculer après avoir tenté d’appliquer la loi, opération qui s’était soldée par une catastrophe sociale.

En revanche, "nous lançons des poursuites pour polygamie en liaison avec d’autres crimes", comme "abus sexuels sur mineur, inceste, violences conjugales et fraude fiscale", insiste le porte-parole.

Jeffs, qui a succédé en 2002 à son père, régnait sans partage sur la secte, ayant notamment le pouvoir de "réassigner" des femmes et des enfants à un autre homme que leur mari et père, selon les autorités.

L’église mormone officielle, "église de Jésus-Christ des saints du dernier jour" (LDS) de son nom complet, qui revendique 12,5 millions de membres dans le monde, s’est toujours distanciée de la FLDS.

"Warren Jeffs n’est pas un mormon. Warren Jeffs n’est pas un membre de la LDS et ne l’a jamais été", a martelé la LDS dans un communiqué après la capture du gourou, en rappelant que les mormons ont abandonné la polygamie en 1890. L’Utah n’était alors pas incorporé aux Etats-Unis, où épouser plusieurs femmes est illégal depuis 1862.

Toutefois, comme le note Bryce Nelson, professeur de journalisme à l’Université de Californie du sud à Los Angeles et spécialiste du mouvement mormon, la tolérance actuelle vis-à-vis de la polygamie en Utah s’explique aussi par le fait que "les mormons descendants de familles qui étaient déjà mormonnes au XIXe siècle ont des ancêtres polygames".

Quelque 57% des habitants de l’Utah sont mormons.

"Dans certains endroits de l’Utah, l’opposition à la polygamie est forte, mais d’une certaine façon, je pense qu’il existe aussi une certaine sympathie, parce que si les gens ne la pratiquent pas eux-mêmes, elle a été pratiquée par leurs ancêtres et ils ne pensent pas forcément que (les polygames) sont l’incarnation du Mal", conclut-il.
Source : La Croix