Fonctionnaire dans le civil et pasteur protestant dans le privé, Carlos Payan a une passion : guérir. Le soir, le week-end, il rassemble des milliers de fidèles en quête de prodiges Cet homme a deux vies. Le jour, il travaille au service du président d’une grande collectivité territoriale. Il côtoie des élus de tout bord. Il n’en dira pas plus. Même s’il ne cache pas sa foi sous son costume cravate, il tient à séparer les genres.

Et puis, il y a l’autre Carlos Payan. Le pasteur protestant évangélique, rattaché à une Eglise indépendante. Une vedette dans son domaine. Le soir ou le week-end, il laisse venir à lui les accidentés de la vie, les blessés de l’âme. Carlos Payan guérit.

C’est sa spécialité. Il a créé, en 2003, une association dont le nom est tout un programme : " Paris, tout est possible ". Un premier rassemblement s’est tenu à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), en novembre 2004. Puis un autre l’année suivante, avec toujours plus de succès : 2 500 fidèles. Des protestants, des catholiques, mais aussi des juifs messianiques, qui croient que " Jésus-Yéchoua " est le Messie, et d’ex-musulmans convertis au christianisme, qui prient " pour la baraka dans les banlieues ".

La notoriété de Carlos Payan est désormais acquise, au-delà de la capitale. Il sillonne la France, un week-end dans l’Ain, un autre en Normandie, une soirée dans l’Hérault. Les foules se déplacent. " Je pense que je vois entre 2 000 et 3 000 personnes par mois ", estime-t-il. Ce vendredi 24 février, la destination est Châlons-en-Champagne (Marne). La communauté charismatique catholique Le Rocher a organisé une " convention ", avec une " grande soirée de guérison ", au parc des expositions, sur une zone d’activités sans âme, à côté de l’hypermarché Carrefour. Carlos Payan est l’invité vedette. Mais il y a aussi le Père dominicain Rémi Schappacher, spécialiste du " repos dans l’esprit " : il lui suffit de poser ses mains sur la tête des croyants pour que ceux-ci tombent par terre, comme foudroyés. Il y a le Frère Marie-Angel, aumônier adjoint des pompiers de Paris.

On le surnomme le " moine-pompier ", avec ses grosses bottes de cuir et sa robe de bure. Il vient d’écrire un livre intitulé Du feu de Dieu (Presses de la Renaissance). Il y a aussi Jean-Luc Trachsel, un beau blond suisse, président pour l’Europe de l’Association internationale des ministères de guérison. Un réseau mondial, fondé par un couple de pasteurs américains. Car la guérison se joue des frontières entre les continents et entre les Eglises.

Pentecôtistes protestants et charismatiques catholiques communient dans une même ferveur. L’évêque de Châlons, Mgr Gilbert Louis, a même cautionné ce week-end, en acceptant de présider la messe du dimanche. Carlos Payan est censé prendre la parole à 15 heures. A l’heure dite, c’est un orchestre qui monte sur scène et chauffe la salle avec des chansons pieuses, sur fond de guitare et synthétiseur. " L’agneau de Dieu est digne de régner ! L’agneau de Dieu est souverain ! " Une heure de musique qui fait chavirer le public.

Une jeune handicapée moteur danse sur son fauteuil roulant. Enfin, Carlos Payan, à 16 heures, déboule sur la scène. C’est peu dire. Il saute sur place, agite les mains, chante. Le pasteur Payan est un artiste avant d’être un guérisseur. Il prêche, il mime, il raconte des histoires. Par exemple celle du billet de 20 euros. Un grand classique. " Vous voyez ce billet. Qui en veut ? Tout le monde. Eh bien, je le roule sous les aisselles, je le piétine, je le déchire. Qui en veut ? Vous, Madame ? Parce qu’il suffit de le recoller et de l’échanger à la Banque de France. Il vaut toujours 20 euros. Eh bien, avec Jésus, c’est pareil.

Quels que soient votre histoire, votre passé, vous avez toujours autant de prix aux yeux de Jésus. " Le pasteur touche son public avec des mots simples, des phrases qui vont droit au coeur. L’orchestre entame un nouveau chant : " Dieu d’amour, entre dans les coeurs, entre dans les vies… "
Un frémissement parcourt le public. Les choses sérieuses commencent. Carlos Payan poursuit au micro : " Il y a trois personnes dans l’assistance qui ont pensé au suicide. Approchez-vous, ceux qui souffrent dans leur coeur. " Une quarantaine d’ hommes et de femmes de tous âges, se lèvent et s’agglutinent au pied du podium. Carlos Payan passe devant eux, pose ses mains sur leur tête. " Par le nom de Jésus, guéris ! " Ceux qu’il touche tombent raides sur le sol. Mais le thaumaturge veut guérir toute l’assemblée. Alors, il souffle dans son micro. " Esprit, libère les coeurs ! "

La salle tangue, comme sous l’effet d’un coup de vent. Une jeune femme est prise d’une crise ininterrompue de fou rire. Une vieille dame s’effondre sur sa chaise. Beaucoup de gens pleurent toutes les larmes de leur corps. Carlos Payan fait baisser la tension : " Ne soyez pas inquiets, tout cela est normal… " La musique reprend, la ferveur des cantiques ramène le calme.

Autre décor : un appartement cossu du 6e arrondissement de Paris, meublé avec goût. Une atmosphère vieille France. Des tableaux XIXe, des bergères, une cheminée de marbre. Une quarantaine de personnes sont assises en cercle autour de Carlos Payan pour un " salon de guérison ". Le principe est un peu celui des réunions Tupperware. On invite des connaissances, par le bouche-à-oreille. Tous ont une bonne raison d’être là. Maladie ? Blessure secrète ? Crise de foi ? Peut-être simplement la curiosité. Le pasteur commence par distribuer un petit texte, qui contient une mise en garde : " Tous ne seront pas guéris ", est-il écrit.

Puis il fait sa petite prédication. Quelques habitués témoignent des " grâces " qu’ils ont reçues lors de précédentes soirées. Une femme en a fini avec ses maux d’estomac. La jambe d’un médecin a guéri miraculeusement. Son couple aussi est raccommodé. Une femme a pu sortir son fils de la drogue. Arrive l’heure des guérisons. Chacun ferme les yeux. Carlos Payan invite successivement ceux qui veulent se convertir, puis les " blessés du coeur ", et enfin les malades à lever la main. Il les bénit. On rouvre les yeux, on se regarde, on se demande si son voisin a levé la main… Pour les cas les plus graves, le pasteur Payan emploie de l’" huile de Jérusalem ", avec laquelle il frotte la partie du corps malade. Ces salons de guérisons attirent surtout des catholiques, souvent issus de la bonne bourgeoisie, quelques vieilles comtesses, des journalistes, des gens du show-biz, des diplomates, et même – susurre le pasteur – des femmes de ministres… Carlos Payan organise aussi des prières pour les hommes d’affaires " afin qu’ils augmentent leurs bénéfices ". " Bien entendu, à condition qu’ils fassent un bon usage de ces profits ", ajoute-t-il aussitôt. Le pasteur Payan n’a aucun complexe avec l’argent. Nul ne verse son obole à l’issue de la séance. " Je ne vis pas de ma prédication. C’est ma passion. Je vis de mon salaire de fonctionnaire, c’est tout. On me reproche de m’occuper des riches, se défend-il.

Mais pourquoi faire du racisme social ? Eux aussi ont besoin d’être guéris. " Les racines de Carlos Payan sont pourtant à gauche. Ce fils de républicains espagnols a coutume de dire qu’il est passé " de la génération Mitterrand à la génération Jésus ". " J’étais adhérent aux Jeunesses communistes, plus par respect pour mon père que par conviction. Je votais plutôt socialiste. A la maison, on chantait "Accroche à ton coeur un morceau de chiffon rouge…". " Et puis Jésus lui est tombé dessus, un jour de 1981 où il vendait L’Humanité Dimanche sur un marché.

Un groupe de chrétiens évangéliques lui a glissé un Nouveau Testament. Il l’a lu. Il est tombé à genoux au pied de son lit, le poing levé, promettant de servir Jésus comme il avait servi le parti… Son père a pleuré le jour de son baptême. " Pour une partie de ma famille, c’était une trahison. " Sa vocation de guérisseur est venue en 1983. Il assistait à un rassemblement autour du Père Emiliano Tardif, un prêtre catholique canadien réputé pour ses guérisons miraculeuses. " J’ai dit à Jésus : "Je voudrais être un jour comme ça !" "

Le don lui serait venu un peu plus tard. Carlos a fréquenté assidûment les milieux charismatiques. Il s’est rendu compte, affirme-t-il, que Jésus opérait des miracles à travers lui. Il s’efforce d’entretenir de bons rapports avec les clergés catholique et protestant. Le 2 février, il a invité le pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France, et Mgr Gérard Daucourt, évêque de Nanterre (Hauts-de-Seine), à " un temps de louanges " au temple de la Rédemption à Paris. Mgr Daucourt se déclare favorable au dialogue : " Certains de mes confrères sont plus méfiants. Je n’ai pas assisté aux soirées de guérison.

Je ne suis pas du genre à crier trop vite au miracle. Mais je pense que Carlos Payan est loyal et qu’on peut faire un bout de chemin avec lui. " Impossible de vérifier si les miracles opérés par le ministère du pasteur Payan sont avérés. " Je ne tiens pas la comptabilité des guérisons ", prévient-il d’emblée. Il ose tout de même une statistique : " Parmi les gens qui viennent me voir, 5 % à 10 % sont guéris. " Rien ne lui fait peur. Il parle de jambes trop courtes qui ont repoussé, de cancers guéris… Une seule chose est sûre : il a prié pour que l’homme politique qu’il sert soit réélu. Et il l’a été.

Xavier Renissien le monde
15-05-2006