Témoignage · Une ancienne participante de l’équipe à Jean-Michel décrit son difficile retour à la vie normale. La souffrance des «sortants de sectes» est méconnue. La vigilance, elle, doit rester de mise.
«Jean-Michel et son équipe». Dans les années 70, cette secte avait fait parler d’elle en Suisse romande. Elle refait surface aujourd’hui dans le témoignage d’une ancienne adepte qui y a cru pendant dix-sept ans, jusqu’en 1992. Un témoignage important, car il montre bien que le plus difficile, dans une secte, n’est pas d’en sortir, mais de se reconstuire, de reprendre goût à la vie.
Isabelle Camara a 16 ans quand elle est séduite par l’accueil chaleureux d’une «communauté» du Jura vaudois. Elle-même vit mal le divorce de ses parents, elle a soif d’idéal et elle se sent si bien avec ses nouveaux amis: elle adhère au groupe en 1975, à dix-huit ans. Itinéraire sectaire classique.
Le fondateur, Jean-Michel Cravanzola, est un Français arrivé en Suisse romande dans les années 60. Il se convertit à Lausanne, dans une Eglise évangélique. Désormais la Bible lui sert de guide, et il se sent appelé à sauver les paumés, les drogués. Il se finance en envoyant les adeptes vendre ses livres dans toute la Suisse et bientôt à l’étranger: 30 par jour, sinon les reproches pleuvent.
Condamné en 1979 pour «escroquerie à la charité», Cravanzola se réfugie en France. A nouveau poursuivi, il part en Floride, toujours financé par la «dîme» de 20% qu’il prélève sur les activités de ses disciples. Il les dirige par téléphone et par «confessions» interposées.
Cette vie, Iabelle Camara la raconte avec simplicité, décrivant l’amabilité de façade des adeptes et la violence cachée qui s’exerce contre les membres ou, pire encore, contre les enfants de la secte. Histoires banales, hélas.
Après 1990, le petit empire Cravanzola s’écroule: les chefs qu’il a laissés en Europe ne veulent plus payer, les enfants devenus adolescents ne veulent plus obéir, les communautés se dispersent. Isabelle revient auprès de son ex-mari à Genève. Elle a 35 ans, des dettes, pas de formation achevée.
Le retour à la vie normale va être dur, très dur.
«Ce n’est pas parce qu’ils quittent une secte que la secte les quitte», disent les professionnels du centre Georges Devereux, de Paris, avec qui a travaillé Isabelle Camara. Devenue assistante sociale, elle a en effet analysé son expérience et celle de plusieurs ex-adeptes, dans le cadre d’un travail de diplôme présenté à Genève. C’est la base du livre qu’elle publie aujourd’hui.
Sept jours sur sept
La secte blesse en profondeur. Pendant des années, elle occupe toutes les pensées du disciple, sept jours sur sept, lui imposant une vie intense, sans cesse tendue vers l’objectif à atteindre: se sauver soi-même et sauver le monde.
Quand il prend conscience d’avoir été trompé, le choc est terrible. Si tout n’était qu’illusion, comment croire encore à quelque chose? Comment avoir confiance en soi-même, à ses propres choix? Comment croire en Dieu, puisque le gourou parlait en Son nom? Isabelle Camara dit les dépressions, le drame aussi d’une normalité sans idéal.
Une soif d’idéal
Car celui qui tombe dans une secte n’est pas nécessairement le «pauvre type fragile». Il peut avoir une personnalité forte, qui a soif d’absolu. Se retrouver dans un appartement de banlieue ne lui suffit pas: «J’étais comme tout le monde alors que j’avais donné tant d’années pour une cause que j’avais crue noble, et cela me déprimait».
Isabelle a pu se reconstruire en donnant sens à ce qu’elle a vécu. Ses questions sur le sens de l’existence, le besoin de se sentir vivante et solidaire avec les autres. Elle a retrouvé cela dans son nouveau métier, et dans le réseau qu’elle a mis sur pied pour «sortants de sectes».
«Elles font des dégâts»
Elle donne de nombreux conseils aux familles et aux thérapeutes. Elle met aussi en garde: si les sectes ne sont plus à la mode, d’autres «offres de développement personnel» les ont remplacées. Et certaines «font de gros dégâts». I