PARLEMENT – Rapport
Entre 60 000 et 80 000 enfants seraient la proie des groupes sectaires. Dramatisation?

Paris/MATHIEU VAN BERCHEM
Publié le 20 décembre 2006 Tribune de Geneève

On connaît l’extrême vigilance des autorités françaises à l’égard des mouvements sectaires. En douze ans, l’Assemblée nationale a concocté pas moins de trois rapports d’enquête sur la question. Le dernier, publié hier, fera d’autant plus de bruit que le sujet est ultrasensible: l’impact sur les mineurs. Le bilan est plutôt inquiétant.

Entre 60 000 et 80 000 enfants sont la proie des sectes, estime le député UMP Georges Fenech. «Tous ne sont pas soumis aux mêmes dangers, mais certains d’entre eux sont vraiment exposés», ajoute le président de la commission d’enquête, précisant que ce chiffre «n’est pas en régression».

D’où viennent ces statistiques? Les parlementaires ne sont pas allés chercher très loin. Interrogé par la mission, Emmanuel Jancovici, chargé de prévenir les dérives sectaires au Ministère de la santé, estime que 60 000 à 80 000 enfants sont élevés dans un contexte sectaire. «Par prudence, je préfère parler de plusieurs dizaines de milliers d’enfants», ajoute le haut fonctionnaire. Pour les seuls témoins de Jéhovah, M. Jancovici compte, par déduction, au moins 45 000 mineurs concernés.

Contrôles plus sévères

C’est dans les rares zones de flottement laissées par l’Education nationale que la commission veut agir. Il n’est pas encore question d’interdire l’instruction à domicile, mais les députés entendent la contrôler plus sévèrement. Des raisons sérieuses, type maladie ou handicap, devront justifier ce régime d’exception. L’«angélisme» de l’Etat, selon l’expression du député communiste Jean-Pierre Brard, est révolu. Les témoins de Jéhovah s’opposent aux transfusions sanguines?

Les médecins pourront passer outre le refus des parents. La commission souhaite aussi que les grands-parents puissent saisir directement la justice, lorsque la santé, la sécurité ou la moralité de l’enfant sont en danger.

«Si ces estimations sont exactes, alors la situation est grave», note Nathalie Luca, chargée de recherche au Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux. «Ce qui m’étonne, poursuit l’auteure du «Que sais-je?» sur les sectes, c’est l’apparition soudaine de ces statistiques, alors que l’on croyait que le travail des pouvoirs publics portait ses fruits.» Un rapport pas si ancien, rappelle la sociologue, celui de l’inspecteur général de l’Education nationale Daniel Groscolas, affirmait que la situation était en voie d’amélioration.

La France serait-elle, plus que jamais, obsédée par la lutte contre les sectes, au point de rejeter tout regard nuancé sur la question? «On a bien fait, dans les années 1990, de renforcer le contrôle de l’instruction à domicile ou des institutions privées», estime Nathalie Luca. Mais il ne faudrait pas, poursuit la sociologue, dramatiser les choses. La Miviludes, l’organisme chargé de lutter contre les sectes, est marquée par des personnalités farouchement «antisectes». «Dans l’Hexagone, il suffit d’émettre un avis distancié pour être suspecté d’appartenir à une secte», déplore Mme Luca.

Témoins de Jéhovah et transfusions: le cas genevois

Comment les Hôpitaux universitaires genevois (HUG) font-ils face au refus qu’expriment les témoins de Jéhovah de bénéficier d’une transfusion de sang? Grâce au CIC (Comité intercantonal d’information sur les croyances), nous avons pu prendre connaissance de l’avis édicté par le Conseil d’éthique clinique des HUG. Le principe qui prime demeure le respect de la liberté de décision du patient adulte, témoin de Jéhovah ou non. Mais il en va différemment des enfants,
en fonction des situations suivantes.

Patients mineurs incapables de discernement. Si elle est nécessaire, la transfusion doit être effectuée, quelle que soit l’opinion des parents.
Patients mineurs en état d’urgence avec risque vital. La décision de transfuser reste la règle.
Patients mineurs capables de discernement, hors urgence. Il n’existe que des cas particuliers qui doivent faire l’objet d’un «contrat thérapeutique» entre patients et équipe soignante, incluant ou non des transfusions.
«Directives anticipées». En outre, les témoins de Jéhovah gardent souvent sur eux, enfants ou adultes, des «directives» contre le recours aux transfusions sanguines, même en cas de perte de connaissance. Il ne s’agit pas d’une sorte d’«ordre de marche» mais d’un élément, parmi les autres qui sont pris en considération par le médecin responsable avant de décider de transfuser ou non. La «directive» sera examinée avec d’autant plus d’acuité qu’elle concerne un enfant.
Maternité. Il convient d’informer les femmes enceintes membres des témoins de Jéhovah qu’en cas de nécessité vitale et faute d’autres solutions, elles recevront une transfusion de sang.
Jean-Noël Cuénod