Ça s’est passé un…

En octobre 1950, le tribunal correctionnel d’Orléans voit comparaître un bien curieux prévenu. Paul Hareng,guérisseur renommé, est traîné en justice pour exercice illégal de la médecine. Il est soutenu par la foule.

Une agitation peu commune secoue la rue de la Bretonnerie, ce 25 octobre 1950. Dès 13 heures, une foule compacte se presse devant les grilles du palais de justice d’Orléans. Ils sont venus de partout, et notamment de Seine-et-­Marne, dans un car décoré de fleurs naturelles, affrété pour l’occasion. Ils ? Des patients de Paul Hareng, le fameux guérisseur de Jargeau, que le syndicat des médecins et l’Ordre des médecins de Seine-­et-­Marne ont entrepris de traîner en justice pour exercice illégal de la médecine.

Quelques jours plus tôt, le journaliste de La République du Centre, Roger Lemesle, s’est rendu à la consultation de ce bon vivant, dont le visage rubicond et l’épaisse chevelure blanche trahissent une jovialité non feinte.

Ce qu’il décrit dans l’édition du 12 octobre du quotidien est simplement étonnant :

« Dans la salle d’attente, meublée de bancs d’école, où soixante ou quatre-­vingts postulants à la guérison se sont entassés, l’élégante parisienne en manteau de fourrure coutoie la vieille paysanne du val. Des ouvriers en bleu racontent leurs souffrances à un industriel et à un orfèvre parisien, dont les chauffeurs gardent à la porte les somptueuses autos… »

Ils sont ainsi des centaines, chaque jour, venus de toute la France et même des pays voisins, à s’entasser dans ce petit pavillon que Paul Hareng, entrepreneur de maçonnerie reconverti dans l’activité de guérisseur, a construit de ses mains, à proximité de sa propre habitation.

On fait la queue devant l’entrée, dès 3 heures du matin.

Les consultations débutent une heure plus tard et s’achèvent souvent à 20 ou 21 heures. Hareng et sa baguette de sourcier font des miracles. « Pour moi, c’est le bon dieu ! », résume un sexagénaire à l’égard duquel la médecine traditionnelle avait baissé les bras.

C’est cet homme, né le 25 mars 1889 à Sury-­aux-Bois, que la justice s’apprête donc à juger. Son arrivée au tribunal, sur les coups de 14 heures, est saluée par des hourras. On se précipite pour lui remettre des fleurs. Paul Hareng salue la foule, bras levés ; il brandit la baguette de sourcier dont il parcourt le corps de ses patients pour déceler l’origine de leurs maux ; il serre des mains et donne des accolades.

Dans son édition du 26 octobre 1950, La République du Centre relate ce procès hors norme.

« Un parfait honnête homme »

À Jargeau, où il passe pour « un parfait honnête homme », on le traite en héros. Et pas seulement parce qu’il lui est un jour arrivé de sauver trois hommes de la noyade. La cinquantaine de témoins, appelés à se succéder à la barre, livrent le même discours laudatif, teinté d’admiration, à propos du guérisseur. C’est le cas de Robert, ingénieur des travaux publics, qui souffrait d’un ulcère à l’estomac : « J’ai suivi un régime pendant cinq ans et ai dépensé plus de 100.000 francs. Depuis que j’ai consulté M. Hareng, je vis normalement et la radio ne montre plus que la cicatrice de l’ulcère ».

« J’étais guérie »

Une dame de Saint-­Denis-­de-­l’Hôtel était complètement paralysée. Elle raconte : « Je ne pouvais même pas grouiller. Il est venu chez moi. Dix minutes plus tard, je me levais pour faire mon lit. Deux heures après, j’étais complètement guérie ! »

Voici que s’approche maintenant un ancien combattant. Deux décorations agrafées à la poitrine, il se déplace en prenant appui sur deux cannes. Il témoigne de cette intervention chirurgicale ratée qui l’a, lui aussi, paralysé. « J’ai été trois ans au lit ; les médecins m’ont abandonné. Depuis que je vois M. Hareng, je peux marcher avec des cannes ! », rapporte triomphant le vieil homme. Il ajoute : « Je ne suis pas riche ; il ne me faisait pas payer et je repartais chaque fois avec un pot ­au ­feu. Vive Monsieur Hareng ! »

« Ce n’est pas la justice des hommes qui m’empêchera de faire le bien. Quand une mère me supplie de sauver son enfant, c’est pas parce qu’un médecin veut me pendre que je refuserai ! »

Les béquilles sur l’épaule

Un habitant d’Olivet souffrait de sciatique. « Les médecins disaient que je ne marcherais plus jamais. Je suis reparti avec mes béquilles sur l’épaule. Je me demande pourquoi on embête cet homme-là », s’étonne l’intéressé. Une fillette de cinq ans, à laquelle le guérisseur a rendu l’ouïe et la parole, saute bientôt sur les genoux de son sauveur…

« Mon arrière-­grand-­mère était guérisseuse », indique Paul Hareng, qu’ »un besoin de rendre service » a toujours animé. « Ce n’est pas la justice des hommes qui m’empêchera de faire le bien. Quand une mère me supplie de sauver son enfant, c’est pas parce qu’un médecin veut me pendre que je refuserai ! », déclare le prévenu, que les prétentions indemnitaires des praticiens n’impressionnent pas.

Applaudissements

« Je me fous qu’on me prenne mes sous ! », s’exclame Hareng, auquel l’Ordre des médecins et le syndicat des médecins réclament pourtant un million de francs de dommages et intérêts. En l’absence de charlatanisme, allant même jusqu’à constater que le prévenu a obtenu des résultats, le tribunal correctionnel inflige au guérisseur une peine on ne peut plus clémente : Paul Hareng est condamné à 10.000 francs d’amende avec sursis. Le syndicat des médecins se voit attribuer 20.000 francs au titre des dommages et intérêts. L’Ordre des médecins n’obtient que le franc symbolique. À l’énoncé du jugement, des applaudissements nourris envahissent la salle d’audience.

Philippe Renaud

source :

le 29/10/2019

La République du Centre

https://www.larep.fr/jargeau-45150/actualites/25-octobre-1950-le-detonnant-proces-du-guerisseur-de-jargeau-paul-hareng_13673356/