Devant la cour d’assises, un médecin regrette sa "réaction inopportune" face au petit Kerywan
LE MONDE | 01.06.05 | 13h42 • Mis à jour le 01.06.05 | 13h42
On peut encore sentir le désarroi dans la voix du docteur Jean-Michel Rosenstein lorsqu’il évoque le 12 août 2000. Ce jour-là, il a reçu en consultation Pascale et Ronan Boucher, inquiets de l’état de santé de leur dernier enfant, Kerywan, alors âgé de 13 mois et demi. Depuis plusieurs semaines, l’enfant, né légèrement prématuré, refusait de s’alimenter et perdait du poids. Trois mois plus tard, jour pour jour, il est décédé subitement, victime d’une dénutrition très avancée.
Devant la cour d’assises du Finistère, où il comparaît avec deux autres médecins pour "non-assistance à personne en danger" , au côté des parents de Kerywan, poursuivis quant à eux pour "privation de soins ou d’aliments suivie de mort" , le généraliste homéopathe a raconté, mardi 31 mai, la vision qui l’a saisi quand il a ouvert la porte de sa salle d’attente.
"J’ai vu l’enfant, il était dans un état extrêmement fatigué, se souvient-il. Il avait une mine terrible, les lèvres pincées, la tête en arrière. Il n’avait pas un tonus normal. D’après ce que m’avaient dit ses parents au téléphone, je m’attendais à une histoire banale de régurgitation mais, là, il était tout maigre, tout jaune, les bras ballants. J’étais complètement bouleversé."
Selon lui, les parents de Kerywan n’avaient qu’un souci : obtenir un traitement homéopathique pour venir à bout des vomissements. "Je leur ai dit : "L’homéopathie ne peut rien faire pour ça. S’il attrape une infection, il est mort d’ici la fin de la semaine." Ils m’ont regardé, n’ont pas bronché, comme si j’avais dit une incongruité. Je leur ai annoncé qu’il fallait absolument l’hospitaliser, et Mme Boucher m’a répondu : "On vient pour l’homéopathie, les hospitalisations, on a déjà donné, ça ne s’est pas bien passé"."
Devant cette attitude déconcertante, le médecin a soupçonné un cas de maltraitance et a décidé d’examiner Kerywan. "J’ai recherché des traces de sévices, mais je n’ai pas trouvé de signes de tuméfactions anciennes, assure-t-il. L’enfant était dans un état de dénutrition, un gros foie, une grosse rate. Comme il n’y avait pas eu de sévices, j’ai cherché une autre explication."
"INCONSCIENCE DES PARENTS"
"C’étaient des gens bien habillés, ils étaient accompagnés de leurs trois filles aînées, magnifiques, continue le médecin. La maman a donné le sein à Kerywan devant moi. Je me suis dit que l’enfant devait être atteint d’une maladie grave, qu’il était en phase terminale, que ses parents le savaient et qu’ils étaient dans une sorte de pré-deuil, et j’ai pensé que j’avais fait une énorme boulette en les soupçonnant de maltraitance."
Le docteur Rosenstein a accédé à leur demande de médicaments homéopathiques. Il explique qu’il était persuadé que les Boucher étaient en fait venus en consultation pour des soins palliatifs. "Je suis entré en compassion avec eux" , justifie-t-il. Sur le dossier médical de Kerywan, le médecin a tout de même noté : "Inconscience des parents. Enfant en danger."
Une semaine plus tard, il a pris des nouvelles. Au téléphone, Pascale et Ronan Boucher lui ont fait part de leur satisfaction : l’enfant avait arrêté de vomir. Rassuré, Jean-Michel Rosenstein est parti en vacances. A son retour, il a informé son associé, Joël Dory, qui avait lui-même examiné Kerywan en mai, de la visite du couple Boucher. Pour lui, l’affaire s’est arrêtée là. Il n’a appris que début 2001 la mort de l’enfant le 12 novembre 2000.
Voilà comment il explique sa part d’action dans le processus conduisant au drame. Les époux Boucher ont une autre vision de cette journée du 12 août 2000. "Je comptais sur l’avis du médecin pour savoir ce qu’il fallait faire, explique Pascale, la mère de Kerywan. Il hésitait à faire hospitaliser notre enfant. Finalement, il nous a prescrit un traitement homéopathique en nous disant que, si les vomissements persistaient au-delà de trois jours, il faudrait l’hospitaliser. Jamais il ne nous a dit qu’il y avait un risque de mort."
Faute de preuves matérielles, c’est parole contre parole. Les Boucher, en tout cas, ne s’arrêtent pas à une critique en règle du docteur Rosenstein. Ils attaquent avec la même vigueur les deux autres médecins qui avaient eu à examiner leur enfant dans les mois précédant sa mort : les docteurs Joël Dory et Rolande Jouanjan.
Eux, en revanche, ne seraient que les victimes impuissantes d’un corps médical incapable d’entendre leurs appels à l’aide. Pourtant, dans sa manière d’esquiver les questions, de rejeter la responsabilité sur d’autres, Pascale Boucher peine à convaincre, tout comme son mari, qui, pour l’essentiel, se contente de confirmer les dires de son épouse.
Le docteur Rosenstein, qui, devant l’état "cadavérique" de Kerywan, a réagi a minima et qui n’a pas songé à faire un signalement, n’a pas eu le réflexe professionnel de base. Mais, à la différence des époux Boucher, il reconnaît cette faute.
"Dans ma vie, il y a l’avant et l’après cette rencontre, dit-il. J’aurais dû vérifier. Si je l’avais fait, j’aurais pu faire que Kerywan soit sauvé. Il est mort et, pour moi, c’est un drame. Je me demande vraiment comment j’ai fait pour avoir posé toutes ces questions et en être arrivé à ce résultat. J’ai eu, c’est vrai, une réaction inopportune, mais il faut dire que les époux Boucher ont une maîtrise stupéfiante des réponses."