LE FIGARO [10 juin 2005]

ÉTHIQUE Un avis mesuré guide les médecins confrontés à des situations aussi difficiles que l’opposition à une transfusion ou à une chimiothérapie

Le comité des sages admet le refus de soins

Martine Perez

Le médecin doit-il se plier à la volonté des personnes qui refusent des soins pour des raisons diverses ? Le Comité consultatif national d’éthique s’inquiétant des divergences entre les textes législatifs qui prévoient, d’un côté, que le malade dûment informé puisse s’opposer aux traitements et, de l’autre, qu’un médecin a l’obligation de tout mettre en oeuvre pour sauver son patient au risque d’être accusé de non-assistance à personne en danger, a rendu hier un avis balancé sur cette question difficile.

Un avis rédigé sous la responsabilité de Mario Stasi, intitulé «refus de traitement et autonomie de la personne» qui propose «de ne pas céder à l’obsession médico-légale du concept de non-assistance à personne en danger» tout en ajoutant que le médecin peut «accepter de passer outre un refus de traitement dans des situations exceptionnelles». Au final cependant, le Comité soutient que «le refus de traitement clairement exprimé par une personne majeure ayant encore le gouvernement d’elle-même ne peut être que respecté, même s’il doit aboutir à sa mort».

Les termes du débat abordé par le Comité d’éthique ne se posent pas de manière univoque, tant les situations en jeu sont diverses : le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah n’a pas les mêmes conséquences que le renoncement à une énième chimiothérapie pour un cancéreux à un stade avancé. Et tant le niveau d’autonomie des uns et des autres peut être différent.

Le refus de toute transfusion soulève des questions difficiles. En situation d’urgence, hémorragie digestive, accident, accouchement, le médecin est placé dans un grave dilemme. Aux États-Unis, la mortalité en couches des femmes Témoin de Jéhovah est quarante fois plus élevée que pour les autres. Faut-il l’accepter ? De même, certains médecins ont pu être confrontés à des femmes refusant d’accoucher par césarienne, car dans certaines cultures celle-ci est vécue comme «une entame du corps définitive et insupportable». «Ce refus, qui met en cause l’enfant à naître, ne peut être considéré comme l’expression d’une totale liberté à respecter. La société doit en l’occurrence protéger le plus faible, c’est-à-dire l’enfant à naître», analyse le Comité.

Autres exemples. Le médecin doit-il prendre en charge les grévistes de la faim quand leur santé se dégrade ? Les personnes âgées qui refusent de se nourrir et veulent se laisser mourir ? Doivent-ils accepter les refus de trachéotomie (la pose d’une canule dans la trachée pour favoriser la ventilation) qui empêche de parler et perturbe les relations. Les refus de chimiothérapie ? De perfusion ? Pour les situations en fin de vie : «Respecter un refus de traitement engage une obligation d’accompagnement», soulignent les sages. Dans les situations de coma végétatif prolongé, les familles demandent parfois de ne pas mettre en route un traitement simple, comme des antibiotiques pour une pneumopathie. «La médecine est alors bien embarrassée face à ces sollicitations extérieures qui vont à l’encontre des chances de survie du malade…», note le Comité qui estime que ces situations doivent être débattues, hors du contexte de crise.

Dans ces différents contextes, le médecin est relativement seul. Le cadre juridique n’est pas d’une grande aide, la jurisprudence étant relativement contradictoire. Ainsi par exemple, en 1981, le Conseil d’État a sanctionné le Conseil de l’ordre des médecins qui avait tenu comme fautif la prescription de seuls soins palliatifs à une malade atteinte d’un cancer de l’utérus et qui refusait de se soumettre au traitement efficace.

Alors qu’en 1994, le Conseil d’État a considéré qu’un médecin ayant prescrit des médicaments homéopathiques à une patiente ayant refusé tout traitement avait commis une faute en acceptant de lui délivrer des traitements illusoires qui l’avaient privée d’une chance de survie. La Cour de cassation en 1988 a, elle, condamné un médecin ayant opéré une patiente inconsciente, sans son consentement, alors qu’il n’y avait pas de nécessité vitale. Enfin, le tribunal administratif de Lille le 25 août 2002 a considéré dans une affaire de Témoin de Jehovah que le refus par un médecin de respecter la volonté d’un patient peut être justifié par un danger immédiat pour sa vie.

Si le Comité d’éthique admet le refus de soin dans le cadre d’une personne strictement autonome et dûment informée, il souligne également la nécessité «comme toujours en situation de crise, de recourir non seulement à un deuxième avis, mais aussi à un processus de médiation pour ne pas laisser seuls, face à face, le médecin, le malade ou éventuellement sa famille».

 
 
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