Ils ont écopé de huit mois de prison ferme pour avoir causé la mort de leur fils de 16 mois par malnutrition.
Par Jean-Louis GUILLAUME
samedi 04 juin 2005 (Liberation – 06:00)
Quimper correspondance
«Ils se sentaient d’une telle puissance avec la kinésiologie, capables de s’affranchir de la mort, qui n’était plus une limite pour eux, je me suis demandée jusqu’où ils pouvaient aller. Oui, j’ai eu peur pour les autres enfants et j’ai donc pris la décision d’alerter le procureur.» Armelle, 45 ans, est médecin. Elle se sait responsable de l’incarcération de sa soeur aînée, Pascale, 46 ans, et de «l’opprobre qui va rejaillir sur toute leur famille».
C’est sur ce champ «de ruines et de mort» dépeint par les experts que les deux soeurs se sont affrontées cette semaine devant les jurés de la cour d’assises de Quimper (Finistère). Pascale est accusée, avec son mari Ronan Boucher, 45 ans, d’avoir «laissé mourir leur enfant de 16 mois privé de soins et de nourriture» (1).
New Age. Le couple dispensait depuis quelques années des cours de «kinésiologie» en Basse Cornouaille et à Belle-Ile. Ce mouvement inspiré du New Age, qui demande au corps de réagir par des stimuli face à tel ou tel aliment, pourrait voir pour devise : «Notre corps sait ce que nous refusons de savoir.» L’ex-Mission interministérielle de lutte contre les sectes avait pointé un petit caractère sectaire. Ce dont s’étaient défendus les époux Boucher en éditant, en 2000, une plaquette sur «la kinésiologie en France face aux administrations».
Brune, chignon tiré, massive dans son ensemble de laine noire, Pascale est assise à deux mètres de sa cadette, debout à la barre, distinguée dans une tunique indienne. «Kérywan avait de grands yeux noirs en creux, commence Armelle, mais je ne me souviens pas de l’avoir vu sourire.» Elle a vu à quatre reprises son neveu. Une fois, il a 11 mois, elle tente de lui faire avaler une bouillie. «C’était un petit bout de chou qui avait un tonus équivalent à celui d’un bambin de 3 ou 4 mois. Sa tête tenait pas bien. A sa mort, il n’avait que 1,5 gramme d’hémoglobine, c’est effarant.»
Quand il décède le 12 novembre 2000, l’enfant pèse 6,050 kg, le poids d’un nourrisson de 4 mois. Tous les experts pointent ses carences alimentaires. Le Pr Billette de Villemeur stigmatise «le régime alimentaire de la mère, et donc du bambin, qui ne comporte aucune protéine animale ni supplément vitaminique, l’enfant n’étant allaité que par sa mère qui persistait à suivre un régime végétalien». Les expertises effacent toute suspicion de maladie de type autistique, mais soulignent «l’état de marasme» (grave dénutrition) du bébé. «Il m’a fait penser à un enfant du Sahel», dira le Pr Auguste Le Moigne.
Hurler. Quelques semaines avant la mort de l’enfant, Pascale avait rassuré sa soeur au téléphone, lui expliquant que Kérywan souriait enfin, ne vomissait plus, qu’il prenait du poids. Armelle affirme qu’elle lui avait dit : «Les médecins ne lui ont trouvé aucune maladie organique. Il faut simplement lui stimuler l’affectif, ça, on sait faire, c’est notre métier.» Devant la cour d’assises, la cadette poursuit son récit : «J’étais persuadée qu’il y avait eu des analyses, des bilans, rien, elle m’avait menti.» Au téléphone, Pascale lui aurait dit : «Dans l’état où il était, je savais que tout prélèvement serait impossible dans le labo du coin, il aurait fallu aller à l’hôpital, et là on aurait eu la Ddass sur le dos…» Pascale lève la tête vers sa soeur, semble vouloir hurler, se tait finalement. La voix d’Armelle reste posée : «Mais ce qui m’a horrifiée, c’est le récit d’une de mes nièces qui me lance dans la cuisine le jour de l’enterrement : on a fait un truc avec papa et maman, on s’est pris en photo avec Kérywan. Imaginez un peu, mes trois nièces avec l’enfant mort sur les bras… Ici, j’ai compris que je n’avais plus face à moi de gentils babas New Age un peu frappés, mais des gens dangereux.»
Etranges. Armelle raconte les étranges pratiques du couple qui met du charbon dans son bain, refuse le pain puis les oeufs. Ces repas de Noël en famille, la grande table divisée en deux, une moitié pour poser les cagettes de légumes, et l’absence de sapin, Ronan étant allergique. «Ils avaient réponse à tout, poursuit la soeur. Ma mère venait de faire un second accident cardio-vasculaire, Pascale prétendait la soigner avec des huiles essentielles. "J’en ai sauvé des plus graves que ça" qu’elle m’a dit. J’en suis restée sidérée. Je me suis dit que c’était impossible qu’ils n’aient pas constaté le dépérissement de Kérywan. Ils seraient devenus spectateurs de son agonie, pendant seize mois ?»
Deux associations se sont constituées parties civiles. La Voix de l’enfant et l’Union nationale des associations pour la défense des familles et de l’individu (Unadfi) représentée par Jean-Michel Pésenti. Cet avocat a demandé aux jurés d’accorder des circonstances atténuantes pour ces parents, avant tout victimes du système des sectes. «Mais leur enfant est mort de faim, tous les experts l’attestent, il faut donc que la justice sanctionne cette logique sectaire évidente : ces gens sont des affabulateurs dangereux, ils se sont coupés de leur famille, ils sortent un module face à chaque questionnement, exactement comme les scientologues.»
Les parents ont été condamnés vendredi à cinq ans de prison, dont huit mois ferme, ce qui couvre leur détention préventive.
(1) Trois médecins homéopathes jugés pour ne pas avoir fait hospitaliser l’enfant ont été condamnés à 3000 euros d’amende pour «non-assistance à personne en danger».