J.O n° 126 du 1 juin 2005 page 9751
texte n° 8
Décrets, arrêtés, circulaires
Textes généraux
Premier ministre
NOR: PRMX0508471C
Paris, le 27 mai 2005.
Le Premier ministre à Mesdames et Messieurs les ministres et secrétaires d’Etat, Mesdames et Messieurs les préfets
En créant, par le décret du 28 novembre 2002, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), le Gouvernement a entendu réorganiser l’action préventive et répressive des services de l’Etat à l’encontre de ces agissements.
Après trente mois de fonctionnement de la MIVILUDES et à la suite du deuxième rapport annuel qui m’a été remis par son président, je juge utile de tirer les enseignements et de fixer les orientations qui suivent.
I. – Les principes de l’action menée par le Gouvernement
L’action menée par le Gouvernement est dictée par le souci de concilier la lutte contre les agissements de certains groupes, qui exploitent la sujétion, physique ou psychologique, dans laquelle se trouvent placés leurs membres, avec le respect des libertés publiques et du principe de laïcité.
L’expérience a montré qu’une démarche consistant, pour les pouvoirs publics, à qualifier de " secte " tel ou tel groupement et à fonder leur action sur cette seule qualification ne permettrait pas d’assurer efficacement cette conciliation et de fonder solidement en droit les initiatives prises.
Aussi a-t-il été décidé, plutôt que de mettre certains groupements à l’index, d’exercer une vigilance particulière sur toute organisation qui paraît exercer une emprise dangereuse pour la liberté individuelle de ses membres afin d’être prêt à identifier et à réprimer tout agissement susceptible de recevoir une qualification pénale ou, plus généralement, semblant contraire aux lois et règlements.
Ce souci de sécurité juridique, loin d’affaiblir l’action menée, ne fait que mieux garantir son efficacité.
Il est clair, toutefois, qu’une telle démarche ne peut être pleinement efficace que si les fonctionnaires et agents publics mènent, avec discernement, une véritable action de terrain :
– ils doivent s’attacher à rechercher et à identifier, dans leur périmètre d’attributions, toute activité, quelle que soit sa forme, susceptible de revêtir un caractère " sectaire ", parce qu’elle place les personnes qui y participent dans une situation de sujétion ou d’emprise et tire parti de cette dépendance ;
– cette activité doit alors être suivie avec une extrême vigilance de manière à prévenir tout agissement répréhensible et, s’il se produit, à engager sans délai l’action répressive.
Cette vigilance doit s’exercer en tenant compte de l’évolution du phénomène sectaire, qui rend la liste de mouvements annexée au rapport parlementaire de 1995 de moins en moins pertinente. On constate en effet la formation de petites structures, diffuses, mouvantes et moins aisément identifiables, qui tirent en particulier parti des possibilités de diffusion offertes par l’internet.
Cette vigilance est particulièrement cruciale à l’égard de certains groupes fondés sur une conception totalitaire et pratiquant un fonctionnement occulte, dont les agissements peuvent avoir des conséquences irréparables.
II. – Les modalités de l’action
L’action engagée doit être poursuivie grâce au dispositif, sans égal en Europe, mis en place tant au niveau national que local.
1. L’existence d’une mission interministérielle rattachée au Premier ministre permet la cohérence de l’action de l’Etat en coordonnant l’activité des services.
Le comité exécutif de pilotage opérationnel, qui réunit les représentants des administrations centrales les plus concernées, se réunit tous les deux mois. Je demande que ce rythme soit maintenu et que la représentation des services soit assurée de façon régulière et au meilleur niveau de responsabilité.
Le dialogue confiant et fructueux qui s’est noué sous la responsabilité du président de la MIVILUDES entre ce comité et le conseil d’orientation, qui réunit des personnalités qualifiées, doit être approfondi.
2. La même cohérence a été recherchée au niveau local avec l’institution, par une circulaire du ministre de l’intérieur, de " cellules de vigilance départementales " placées sous l’autorité des préfets.
Les missions de ces cellules seront transférées par décret en Conseil d’Etat, dans le cadre de la simplification des commissions déconcentrées, à un nouveau conseil compétent en matière de prévention de la délinquance, de lutte contre la drogue, contre les dérives sectaires et d’aide aux victimes.
Les préfets mettront en place au sein de chaque conseil un groupe de travail chargé de suivre spécifiquement les questions relatives à la lutte contre les dérives sectaires.
3. Certains ministères ont désigné des correspondants ou chargés de mission spécialisés. Je souhaite que chaque ministre se dote d’un tel responsable, à un niveau adéquat (cabinet, direction des affaires juridiques ou direction stratégique) avec des capacités de coordination et d’animation reconnues.
4. Les correspondants régionaux de la MIVILUDES désignés par les préfets de région ont reçu une mission générale de formation et d’information. Cette mission doit être confortée et élargie. Je souhaite en particulier que soit élaboré, au niveau régional, un document de synthèse permettant de suivre les évolutions, et que soit organisé, avec l’aide notamment du " Guide de l’agent public ", un programme de formation interservices sur les dérives sectaires.
5. Les services compétents de police et de gendarmerie, ainsi que l’autorité judiciaire, constitueront des recueils de données actualisées, portant notamment sur le nombre et la nature des signalements, des plaintes, des enquêtes ou des condamnations en rapport avec des dérives sectaires.
6. Chaque département ministériel dressera un bilan annuel de ses actions pouvant figurer, en tout ou partie, dans le rapport du président de la MIVILUDES. Ce bilan devra porter sur les activités poursuivies, les actions de formation entreprises et les résultats obtenus au niveau local comme au niveau national. Le cas des enfants et des adolescents devra faire l’objet d’une attention particulière de façon à assurer la protection qui leur est due.
7. Les réponses aux questions écrites des parlementaires portant sur les problèmes liés au phénomène sectaire – plusieurs dizaines par an – doivent faire l’objet de toute votre attention. Compte tenu de la sensibilité du sujet, je vous demande de solliciter systématiquement l’avis de la MIVILUDES avant toute réponse.
8. Enfin, un certain nombre d’instructions ministérielles données par vos prédécesseurs doivent être actualisées en fonction des orientations définies par la présente circulaire. Je vous demande de procéder à cet examen en lien avec la MIVILUDES. En tout état de cause, les références aux organismes comme l’Observatoire des sectes ou la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) devront être remplacées par des références au décret instituant la MIVILUDES, et le recours à des listes de groupements sera évité au profit de l’utilisation de faisceaux de critères. Je vous demande de procéder à cette mise à jour au plus tard pour le 31 décembre 2005.
Jean-Pierre Raffarin