Nous relations dans notre édition du 29décembre, le décès de Marie-France, 3 ans et demi. Mais comment une fillette peut-elle mourir de privation de nourriture à Noël en plein cœur de Perpignan? Quelqu’un a-t-il une explication à l’horreur?

Marie-France avait à peine trois ans et demi le 27décembre dernier.

Le jour où les secours ont découvert son petit corps rachitique. Morte de faim en plein cœur de Perpignan, à deux pas de l’agitation des fêtes de Noël. Jusqu’au bout, personne n’a rien vu. Personne n’a rien entendu du drame qui se jouait derrière ces volets au deuxième étage du numéro6 de la rue des Augustins. Là où, depuis des semaines, une petite fille en pleurs luttait jusqu’au dernier souffle pour survivre au supplice que lui infligeait sa propre mère. Arrêtée par les services de police, celle-ci a été déclarée irresponsable de ses actes en attendant les résultats d’une contre-expertise psychiatrique. Une bénévole de l’église évangélique et le pasteur adjoint ont, eux, été mis en examen dans cette affaire pour non dénonciation. Pourquoiet comment cette femme a-t-elle basculé dans l’horreur? Au nom de quoi?

Une mère aimante
Tous les témoignages sont unanimes. Dorcas Mikue Nve, la mère de Marie-France, apparaissait comme "terriblement" normale. Une belle et élégante jeune femme de 31 ans originaire de Guinée Équatoriale "toujours bien mise", "bien coiffée" et "bien habillée". Une maman incontestablement "aimante" avec cet adorable bout de chou "potelé" dont elle ne se séparait jamais. Cette enfant "trop belle" qui avec ses bonnes joues et ses pompons dans les cheveux, faisait fondre tous les commerçants du quartier et repartait toujours avec un bonbon. L’apparence du bonheur simple, sans difficultés financières, avec son cortège de petits bonjours que Dorcas Mikue ne manquait jamais de lancer en passant aux commerçants et à toutes ses compatriotes de la rue des Augustins et de l’avenue Foch. Mais qui pouvait dire qu’il connaissait vraiment cette jeune femme arrivée le ventre rond à Perpignan en 2002 depuis Barcelone, qui fuyait la communauté guinéenne pour ne pas avoir d’histoires, et qui ne se livrait à personne sur sa vie et sur son passé?

Quelques-uns savaient qu’elle fréquentait assidûment l’église évangélique situé boulevard des Pyrénées. Rien de plus. "Une fois, je l’avais accompagnée. Là-bas, elle était la chouchou. Tout le monde l’embrassait", raconte Stefania Pomarole, une amie guinéenne. "J’ai connu Dorcas en 1995 en Espagne. Elle était venue à Madrid avec sa tante qui était hôtesse de l’air", ajoute Prudencia, commerçante ambulante guinéenne dans les P.-O. "Dorcas avait déjà une fille en Guinée, c’est sa mère qui s’en occupe.

Le père de Marie-France, on l’appelle Bissosso, mais son vrai nom c’est Balthazar. C’est un chanteur, un musicien, très connu et il a aussi travaillé pour le gouvernement. Pour moi, Dorcas est une victime de la religion. Je sais que dans sa famille, la religion c’est important, ils étaient catholiques. Chez nous en Guinée, on est ou catholique ou protestant. Je pense qu’elle ne voulait pas que l’on sache qu’elle avait changé de religion". Marie-France avait fréquenté l’école à la rentrée pendant deux jours. Son absence avait été signalée par la directrice par un point d’interrogation à côté de son nom. Et dans le quartier, à peine avait-on remarqué que l’on ne voyait plus ni la fillette, ni sa mère. Tous se disaient qu’elles étaient parties en Espagne dans la famille. La voisine de palier croyait même qu’elle avait déménagé. Nul n’a vu que cette jeune femme avait changé. Mais qui pouvait imaginer l’impensable?

"Si un jour, j’avais sonné chez elle…"

"Elle l’aimait cet enfant, ça se voyait. La dernière fois que je l’ai vue c’était fin octobre. Elle faisait ses courses à Casino. La petite m’avait accroché par la jupe…", se souvient encore Anne Carchano, propriétaire du magasin "L’Afrique se déplace", avenue Foch. Un jour, elle est passée me voir après avoir eu son enfant, Elle m’a fait sortir du magasin et m’a montré où elle habitait. Elle m’a dit. On ne sait jamais… Je m’en veux terriblement aujourd’hui. Si un jour, j’avais sonné à sa porte j’aurais vu que l’enfant n’allait pas bien et j’aurais donné l’alerte. Je n’aurais jamais laissé faire ça".

"En juillet, on ne les a plus vues mais au départ on n’a pas fait très attention, explique Alain Denizou, le pasteur de l’église fréquentée par la jeune femme et sa petite. Un mois après, on a tenté de téléphoner à Dorcas mais elle ne répondait pas. C’est le mardi (26décembre NDLR) que l’on m’a appelé. Dorcas est descendue au salon de thé situé au pied de son immeuble et a demandé au gérant d’appeler une vieille dame de 73 ans, qui est bénévole à l’église pour lui dire qu’"il fallait passer". La mamie a contacté mon assistant et ils sont allés à l’appartement en fin d’après-midi. Ils m’ont appelé tous les deux vers 20heures. Ils m’ont dit que c’était difficile, que la situation était dramatique et que l’appartement était sens dessus dessous. Mon assistant était allé acheter à manger, des pains au chocolat, du pain, des pâtes, des bananes, du jambon pour 30 euros et il l’avait apporté chez elle. Ils m’ont dit qu’il fallait absolument emmener du savon pour laver la petite et des couches. J’ai dit que j’irai le lendemain. On est passé chercher un paquet de couche avec ma femme et on s’est rendu à l’appartement le mercredi à 16heures. C’était propre et il y avait un filet rempli de jouets.

"On aurait dit un enfant du Sahel"
"En trente secondes, j’ai compris qu’il fallait prévenir les secours. A part à la télévision, je n’avais jamais vu un enfant comme ça. Elle n’avait plus que la peau et les os. Elle était consciente, elle grignotait un bout de pain au chocolat. La mère avait changé, elle était amaigrie mais pas outre mesure. Elle a dit qu’elle n’avait pas mangé. J’ai prismon portable pour appeler les secours. J’ai fait le 15 au lieu du 115… Ma femme est descendue à la pharmacie. Entre mon premier appel et l’arrivée des secours, il s’est écoulé une heure et demie. La petite a fait un malaise juste avant l’arrivée des pompiers. Elle se vidait par la bouche. Je l’ai vu partir."

"On aurait dit un enfant du Sahel", expliquent encore ceux qui ont découvert la petite, gisant sur un clic-clac au milieu de la pièce unique de cet appartement. Les organes et les muscles atrophiés, le ventre gonflé par des jours de famine. Agonisant sous les yeux de sa mère. Elle qui, sans réaction, une grosse bible dans son sac, a expliqué aux enquêteurs comment elle avait depuis "65 jours" privée sa fille de nourriture après avoir reçu une injonction divine.

Le 26décembre, une deuxième incantation lui avait dit qu’elle pouvait arrêter son jeûne et celui de sa fille

Laure Moysset