Les professeurs se sentent désarmés face à certaines interrogations ou contestations
Que répondre à un élève qui assène en classe que " le cochon, c’est du poison " ou qu’" une église est un lieu impur " ? Sur quel mode dialoguer avec des parents qui contestent aux enseignants le droit d’affirmer en classe que " Jésus était juif " ? Les enseignants reconnaissent volontiers leur inculture religieuse et leur besoin de formation en la matière.
Cinq ans après la publication du rapport de Régis Debray sur " L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque ", qui soulignait cette nécessité, des formations proposées dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) ne touchent pas tous les étudiants. " Les enseignants d’aujourd’hui sortent du désert religieux des années 1970 et 1980, que l’on a pris pour une victoire de la laïcité, mais qui les a privés d’un fonds de connaissances religieuses ", souligne Jean-Louis Auduc, directeur adjoint de l’IUFM de Créteil (Val-de-Marne).
Les programmes scolaires balayent assez efficacement l’histoire des religions, notamment celle des trois grands monothéismes. Mais des lacunes persistent et les enseignements restent cantonnés aux cours d’histoire, de géographie et de français, complétés au lycée par des apports en philosophie. Les spécialistes souhaiteraient une présence du fait religieux dans les autres disciplines, et dès l’école primaire.
" Comment peut-on parler du communautarisme aux Etats-Unis en cours d’anglais sans aborder la question des religions ? ", s’interroge Dominique Borne, président de l’Institut européen en sciences des religions. " En travaillant sur le thème de l’eau avec les plus petits, on peut parler du Jourdain, des ablutions des musulmans ou de l’eau de Lourdes ", énumère M. Auduc. L’enseignement catholique, lui, propose déjà des séquences pédagogiques liant les religions aux mathématiques ou au sport.
" Les religions asiatiques sont quasiment absentes des programmes, alors que le nombre d’élèves originaires d’Asie s’accroît, relève par ailleurs M. Borne. La manière d’aborder l’islam et le judaïsme pose aussi problème. On passe directement des Hébreux, peuple de la Bible, à la Shoah ; et sur l’islam, on s’en tient à l’islam des origines ; une approche qui, au passage, fait le jeu des fondamentalistes. "
Consulté sur ces questions, Azzedine Gaci, président du conseil régional du culte musulman de Rhône-Alpes, est aussi critique. " Ce que les jeunes retiennent de l’islam, c’est que "l’homme a le droit de battre sa femme", déplore-t-il. Améliorer l’enseignement du fait religieux à l’école est une nécessité absolue. "
" Sur le Coran, par exemple, insiste M. Borne, il faut pouvoir expliquer aux élèves que "pour les croyants" le livre a été révélé au prophète, mais que "d’un point de vue historique", c’est un ouvrage écrit sur un siècle. Il faut aussi éviter de tomber dans l’explication rationnelle du religieux en suggérant que c’est un tsunami qui a ouvert la mer Rouge devant les Hébreux. "
La même distinction est indispensable face aux objections des tenants du créationnisme (qui nient la théorie de l’évolution), de plus en plus présents. " Les professeurs de sciences et vie de la Terre (SVT) doivent à la fois tenir sur les certitudes scientifiques, expliquer qu’il existe des zones de recherche et distinguer ce qui relève de la croyance de l’élève ", assure M. Auduc.
Enfin, une réflexion sur l’évolution des pratiques religieuses serait nécessaire, notamment face aux revendications liées aux interdits alimentaires et au jeûne. " En expliquant d’où vient l’expression "face de Carême" ou en rappelant pourquoi les cantines servent du poisson le vendredi, on montre que les pratiques actuelles de l’islam n’ont rien d’exotique ", souligne M. Auduc. Plusieurs ouvrages destinés à aider les enseignants confrontés à ces questions doivent paraître à la rentrée.
Stéphanie Le Bars