Jesus camp a provoqué des réactions indignées chez pratiquement tous ceux qui l’ont vu. Certains évangéliques, aux Etats-Unis surtout, y voient un film de promotion pour les valeurs qu’ils défendent mais reprochent aux réalisatrices leur mise en cause des méthodes pédagogiques fondamentalistes. L’immense majorité des critiques des médias ont apprécié le documentaire réalisé par Heidi Ewing et Rachel Grady. Leurs analyses témoignent d’une peur des journalistes et autres observateurs à l’égard des fondamentalistes évangéliques en général et de leurs méthodes d’évangélisation en particulier. Cette peur, fondée sur des faits précis aux Etats-Unis, est-elle justifiée en France aussi ? Y a-t-il des Jesus camp chez nous et faut-il en avoir peur ?

«C’est très peu probable», répond d’emblée Jean-Michel Roulet, président de la Miviludes, qui a pour mission de lutter contre les dérives sectaires. En France, cet organisme n’a pas observé de phénomènes d’embrigadement et de bourrage de crâne des enfants dans des camps de vacances gérés par les Eglises évangéliques, ni par d’autres Eglises. «Aux Etats-Unis, explique Jean-Michel Roulet, l’Etat a du mal à contrôler tout ce qui s’y passe. Puis, il règne une autre tradition de liberté religieuse. On tolère mieux le fondamentalisme là-bas. En France, on est plus jacobin. Puis, il y a une culture de scepticisme trop forte pour ces pratiques. Les esprits ne sont pas mûrs pour ce type d’évangélisme. L’Eglise catholique sert encore de régulateur. Ceci dit, il faut toujours rester prudent».

Même discours chez l’Unadfi. Des camps évangéliques fondamentalistes pour enfants ? «L’Unadfi n’a pas de témoignages d’enfants embrigadés à ma connaissance», dit Dominique Hubert, au nom de l’organisation. Elle est responsable de l’Adfi à Nantes et elle a vu le film. Qui l’a choquée. «C’est la foi comme une entrée en guerre, des gens hystériques, un retour au Moyen Age !». Puis, elle fait part de cette observation : «Cette utilisation d’enfants fait penser aux pratiques des scientologues ou de certaines sectes hindoues». Mais elle ne connaît pas de cas précis d’Eglises évangéliques qui ressemblent à celles visibles dans Jesus Camp. A Nantes, le seul cas documenté qui a un rapport avec l’endoctrinement de mineurs concerne l’Eglise Charisma, une sorte de «Méga Church» qui attire des centaines de jeunes gens aux cultes. Il s’agit d’un jeune qui est entraîné par un ami de sa classe à l’Eglise le dimanche. Petit à petit, il s’isole du reste de sa famille. Après intervention de ses parents et l’aide de l’Adfi, le jeune finit par se rendre compte du problème d’enfermement et ne fréquente plus l’Eglise. Ce type de cas fait dire à Dominique Hubert que l’évangélisme peut être dangereux., surtout parce qu’il est prosélyte. Elle dit s’inquiéter des gens qui s’inspirent d’évangélistes «comme Billy Graham» et «qui sont pour Bush». Mais elle avoue aussi ne pas maîtriser toutes les subtilités de l’univers évangélique. Quand nous suggérons que les démocrates Jimmy Carter, Bill Clinton et Al Gore sont tous baptistes, donc évangéliques, du même courant spirituel que l’évangéliste Billy Graham, et qu’aucun d’entre eux, Bush non plus d’ailleurs, ne sont charismatiques, ni fondamentalistes, elle apprend manifestement quelque chose de nouveau.

Avertissement utile

A la Fédération Protestante de France, Jesus Camp a provoqué un certain émoi. Son président, Jean-Arnold De Clermont, pasteur réformé et non évangélique, pense que le documentaire est un avertissement utile pour les croyants tentés par le fondamentalisme, même s’il n’y a pas de Jesus Camp en France. «Nous, luthéro-réformés, devons dire aux évangéliques de ne pas faire de la foi un combat. Je me souviens des cantiques de combattants pour le Christ que l’on chantait dans nos temples. Mais on les a laissés de côté. Il faut par ailleurs que toutes les Eglises soient transparentes. On n’a aucun intérêt à cacher des informations. Il faut au contraire apprendre les principes de la liberté et de la responsabilité». Transparence, responsabilité, liberté. C’est effectivement en vertu de ces principes que l’on obtient le plus de renseignements chez les premiers concernés eux-mêmes, les évangéliques. Stéphane Lauzet est secrétaire général de l’Alliance Evangélique Française, dont le conseil national est représentatif de 70 à 80% des 500.000 évangéliques français. Lui tient d’abord à se défendre contre les idées fausses. C’est devenu un réflexe puisque chaque fois qu’un scandale médiatique éclate autour d’une Eglise évangélique, en France ou aux Etats-Unis, lui et d’autres responsables évangéliques sont sommés par les médias d’expliquer qu’ils ne sont pas des adeptes de George Bush, et qu’ils respectent ceux qui ne partagent pas leur foi. Stéphane Lauzet, comme la plupart de ses collègues pasteurs, réprouve les méthodes d’évangélisation vues dans le film.

Amalgame

Certaines images l’ont choqué. «On n’est à l’abri de rien en France, mais il y a un tel encadrement dans nos camps de jeunes que les dérives que l’on voit dans le film ne perdureraient pas longtemps», dit-il. Puis, il apporte des décisions importantes : «En tant qu’évangélique, je ne me reconnais pas du tout dans ce film et la quasi-totalité des Américains non plus. Jesus Camp évoque le cas d’une petite Eglise pentecôtiste fondamentaliste qui a un aspect très politique. La directrice du camp dit aussi qu’elle s’intéresse d’abord aux enfants très motivés, soit une présélection qui ne correspond pas du tout à la démarche dans nos camps chrétiens en France». Et de continuer : «Aux Etats-Unis, le pentecôtisme est minoritaire chez les 80 millions d’évangéliques. Et peu d’entre eux sont aussi politisés que ceux que l’on voit dans le film. Ce n’est donc pas un phénomène général.

Dernière chose : il n’y a plus de Jesus Camp aux Etats-Unis, puisque le camp a dû fermer suite aux protestations provoquées par le film. J’ai aussi appris que la fédération nationale des camps et congrès chrétiens, prend ses distances avec l’approche pédagogique et spirituelle employée par la femme pasteur dans le film». Pour toutes ces raisons, Stéphane Lauzet estime qu’il faut faire attention à ne pas exagérer les risques. Pour lui, trop de journalistes ne font pas suffisamment la distinction entre les évangéliques en général, qui réprouvent fortement les méthodes d’évangélisation en œuvre dans Jesus Camp, et certains fondamentalistes. Lauzet a raison sur ce point. A titre d’exemple, Marianne, Télérama, France Info et même La Croix, qui dispose pourtant de ressources pour comprendre le fait religieux, ont fait l’amalgame en question. On pourrait même penser que c’est un scandale dans le scandale. Un peu comme si on identifiait le catholicisme avec l’intégrisme ultraminoritaire, comme le suggère Sébastien Fath. Ce sociologue spécialisé dans l’évangélisme précise que le film «s’intéresse à un mouvement charismatique de type troisième vague (…) très particulier, propice aux dérives sectaires, qui n’est pas en odeur de sainteté chez beaucoup d’évangéliques».

Marc Deroeux, directeur général de la Ligue Pour la Lecture de la Bible, une organisation qui fait partie de la Fédération Protestante de France, abonde en ce sens. Il gère notamment des camps de vacances chrétiens où participent environ 1000 enfants, dont la plupart sont issus de milieux évangéliques. «On y prie et on lit la Bible. Mais on ne fait pas que cela. Et on n’a jamais reçu de plaintes qui portent sur nos méthodes pédagogiques. D’ailleurs, nos projets sont agréés par le Ministère de la Jeunesse et des Sports», dit ce baptiste. Comme tant d’autres personnes de son courant religieux, il met surtout en cause ceux qui veulent qu’il n’y ait plus d’éducation religieuse du tout. Et de dénoncer un climat antireligieux que l’on verrait en œuvre un peu partout. A titre d’exemple, les Caisses d’allocations familiales dans certains départements, refusent de donner des bons de vacances aux familles qui souhaitent envoyer leurs enfants aux camps organisés par la Ligue pour la Lecture de la Bible sous prétexte qu’ils sont «religieux». Alors que les camps scouts, eux, n’ont jamais connu ce problème. A la Fédération Protestante, on dénonce une discrimination. Il n’empêche. Le discours qui se veut vrai et rassurant de Stéphane Lauzet et de Marc Deroeux est parfois contredit par d’autres évangéliques. En privé, maintes personnes nous ont dit qu’ils n’ont pas trouvé Jesus Camp choquant. On a beau leur parler d’embrigadement d’enfants, ils y voient tout au plus une certaine naïveté de la part de la femme pasteur. «On voit des gamins qui sont bien dans leur  peau, prêts à vivre selon les commandements de la foi», nous disent-ils.

A l’association pour l’évangélisation des enfants, un organisme évangélique plutôt doctrinaire, un des responsables de Lyon, Armand Félix, veut bien donner son point de vue sur le principal enjeu en cause : l’éducation religieuse des enfants. D’après lui, les chrétiens sont à la recherche d’un équilibre pour leurs enfants. Or, «cet équilibre est regardé de façon critique par ceux qui revendiquent qu’expérimenter le désordre moral est une bonne chose, car finalement si l’Homme descend du singe, est-ce si anormal s’il agit comme un être bestial et selon ses pulsions profondes ?».Bref, Paul Ohlott fait partie de ceux, rares, qui osent dire pourquoi le film ne les a pas déstabilisés du tout. Son témoignage prend un sens particulier quand on sait qu’il est à la fois attaché de presse du Parti Républicain Chrétien, une formation politique nouvelle qui présentera des candidats aux municipales en 2008 pour la première fois, et journaliste à Top Chrétien, le plus grand portail chrétien francophone (entre 15000 et 20000 visiteurs par jour). «Rien ne me choque dans Jesus Camp. Je vois des enfants de 8 à 12 ans qui parlent de Dieu avec leurs mots à eux. Ils sont précoces. Il est rare que nos jeunes de 20 ans aient atteint une telle maturité. Certes, il y a un aspect américain qui nous est étranger. C’est d’ailleurs une raison pour laquelle un tel camp ne fonctionnerait pas en France. Nous exprimerions les choses différemment, mais la méthode d’évangélisation ne pose pas de problème pour moi».

L’étrange PRC

Quand on demande à Paul Ohlott s’il mettrait ses enfants dans un ‘’jesus camp’’, il hésite avant de répondre. «Disons que je n’aurais aucun scrupule à mettre mes enfants dans un camp où on leur explique quels sont les péchés et comment ils doivent vivre en sainteté et avec intégrité». Le journaliste s’étonne des réactions de la plupart de ses confrères qui ont vu le film. «Certains sont scandalisés parce que les enfants n’écoutent que de la musique chrétienne. Mais où est le problème ? Un enfant qui n’écoute que Lorie, est-ce mieux ? Drôle de normalité, vous ne trouvez pas ? Personnellement, je préfère une musique propre, pure». Il prend un autre exemple emblématique : «Je suis chrétien. Je crois donc que Dieu est notre créateur. Pour beaucoup de journalistes, c’est un point de vue erroné. Mais pour avoir le bac, je suis censé croire fermement à l’évolution selon Darwin. C’est une forme d’idéologie qui m’est ainsi imposée, non ?».

Quand on lui demande pourquoi autant d’évangéliques ne partagent pas son point de vue, Paul Ohlott y voit entre autres la trace d’une division entre charismatiques et non charismatiques. Stéphane Lauzet et Marc Deroeux ne sont pas charismatiques. Ohlott l’est. «Il faut qu’ils réalisent que l’aile pentecôtiste est probablement majoritaire en France», dit simplement Paul Ohlott. Cette allusion à la guéguerre entre charismatiques et traditionnels n’est guère justifiée. Nous avons contacté plusieurs responsables des Assemblées de Dieu, qui constituent la principale famille d’églises pentecôtistes en France. Ils s’inquiètent des dérives qui concernent des enfants. A en croire un d’entre eux, le pasteur Gérard Fo, le fondamentalisme à l’américaine fût-il charismatique, est très éloigné des pratiques en vigueur en France. Quand Stéphane Lauzet entend Paul Ohlott s’exprimer sur le film, il a simplement envie de citer la première lettre de Paul aux Corinthiens : «Admettons que l’Eglise entière se rassemble et que tous parlent en langues, s’il survient de simples auditeurs ou des non croyants, ne diront-ils pas que vous êtes fous ?». (1 Cor. 14,23).

Il est sûr que des charismatiques comme Paul Ohlott cultivent, du moins dans la forme, une certaine radicalité. Plusieurs membres actifs du Top Chrétien sont influents auprès des jeunes évangéliques en France. Mais il est impossible d’évaluer leur force et même leur nombre. Dans les instances représentatives, ils sont ultraminoritaires. Et Top Chrétien n’est pas prêt d’entrer dans la Fédération Protestante de France, selon Jean-Arnold De Clermont. Politiquement, ils sont peut être une force. Mais pour le moment, le Parti Républicain Chrétien qui joue clairement sur un registre religieux, ne compte même pas 400 membres actifs. L’année prochaine, ils comptent présenter «au minimum» 30 candidats aux municipales. Même si le PRC rassemble des chrétiens de toute confession, la plupart sont évangéliques. Un peu comme les intégristes catholiques, ils entendent faire de leurs enfants des «combattants pour le Christ». Et ils précisent dans tous les cas qu’il s’agit bien d’un «combat spirituel au nom de quelqu’un qui n’a jamais fait la guerre, mais qui est mort pour nous». Chacun ses méthodes…

Henrik Lindell

Source : Témoignage Chrétien