Sécurité. Une start-up, chargée d’élaborer des listes de sites interdits aux enfants, accuse un concurrent de lui avoir volé ses codes, mal protégés par le fournisseur d’accès Internet.

Par Catherine MAUSSION
     
Xooloo attaque Optenet, alias Opus Dei. Non, ce n’est pas le dernier épisode d’un jeu vidéo, mais un procès en bonne et due forme pour contrefaçon, intrusion dans une base de données, vols de listes, entre deux spécialistes du contrôle parental sur Internet… L’affaire a été classée au pénal. Mais les actions au civil se poursuivent.

 Au ministère de l’Education nationale, on est bien ennuyé par cette histoire. Surtout depuis que les liens entre Optenet et l’Opus Dei refont surface (lire encadré/BAS DE CETTE PAGE). La Délégation aux usages de l’Internet, un organisme interministériel sous la tutelle de l’Education nationale, est tout aussi marrie. Tout comme le ministère de la Famille, ou encore E-enfance, une association très chatouilleuse sur la protection des enfants contre les mauvaises fréquentations sur le Net.

Passoire. Aucun de ces acteurs ne tient à s’immiscer dans le conflit entre Xooloo et Optenet. Tous dénoncent en revanche le contrôle parental passoire censé trier le bon grain de l’ivraie et qui filtre mal. Tout particulièrement le mode renforcé ciblant les jeunes enfants. Et notamment celui d’Optenet qui les laisse un comble !  librement gambader sur un maximum de pages malvenues. Le dernier test piloté par les pouvoirs publics et E-enfance, publié en février, est édifiant. Club Internet a obtenu la note de 9 sur 20. Alice a décroché un 11… Tous deux utilisent Optenet. Tantôt c’est un tchat qui échappe à la vigilance, tantôt c’est un site visiblement pour adultes qui passe entre les mailles.
Depuis novembre 2005, et la signature d’une charte avec les pouvoirs publics, les fournisseurs d’accès Internet (FAI) sont tenus d’offrir gracieusement à leurs abonnés deux niveaux de contrôle parental : un mode «ado», où le Net reste largement ouvert sauf aux sites couchés sur une liste noire et qui sont verrouillés, et un mode «enfant», où la navigation est limitée à une liste blanche de sites dûment autorisés, tout le reste étant interdit. Le mode «ado» ne crée pas trop de soucis. «C’est pas très compliqué de fabriquer des listes noires, surtout pour les sites pornos», explique-t-on à l’Education nationale. L’Université de Toulouse en édite une, réactualisée à l’aide de robots et de mots-clés, qu’elle met à disposition de tous.
L’édition de listes blanches, et surtout leur rafraîchissement régulier, est autrement délicat. Un groupe de travail a été mis sur pied par la Délégation aux usages de l’Internet pour comprendre et trouver les remèdes. Il s’est réuni le 2 mai. Il met en cause les éditeurs de logiciels. Les fournisseurs d’accès Internet sont libres de leurs solutions. Certains comme Free ou AOL développent un contrôle parental maison. D’autres délèguent à des éditeurs privés. Et c’est là que le bât blesse. Seul Xooloo, une start-up créée au début des années 2000, a développé un logiciel et mobilisé d’importants moyens humains pour fabriquer des listes blanches et affiner en permanence la surveillance. Plus de deux millions d’euros ont été investis. Christine du Fretay, présidente de E-enfance, salue le travail accompli : «Nous avons fait trois batteries de tests sur les listes blanches et Xooloo, la solution choisie par Orange, a toujours obtenu 20 sur 20.» Orange vient pourtant de remercier Xooloo, au profit d’une solution beaucoup moins performante. Version officielle d’Orange : «Le contrat avec Xooloo arrivait à échéance et nous l’avons rompu.»

Siphonné. En réalité, un litige sévère oppose, le petit Xooloo au puissant Optenet. Le premier fournissait à Orange ses listes blanches et le second ses listes noires. L’opérateur est au coeur du conflit. Xooloo accuse Optenet de lui avoir siphonné ses listes blanches. Et Orange, par défaut de protection des listes, lui aurait facilité la tâche. Des saisies opérées chez Optenet attestent d’opérations suspectes. Contacté en Espagne par Libération, Optenet a indiqué ne pas souhaiter s’exprimer sur le sujet. En revanche, Orange, interrogé à ce propos, se défend de jouer un quelconque rôle dans le litige entre les deux éditeurs. Et l’opérateur souligne, en s’appuyant sur le classement de l’action au pénal, que «la contrefaçon n’est pas établie». Quant aux accointances entre Optenet et l’Opus Dei, Orange clôt la discussion en expliquant: «Le ministère de l’Education nationale ne nous a pas informé de ces liens-là et il ne nous revient pas d’enquêter sur nos fournisseurs.»
Alice, de son côté, a toujours recours à Optenet. L’éditeur, se souvient Julie de Blanquat, chez Alice, «n’avait pas de listes blanches et les a "montées" en trois mois». Coïncidence : la proposition est venue au moment des «vols de listes». La piètre qualité d’Optenet inquiète Alice : «Optenet nous a promis de recruter des équipes dédiées.» Mais, les listes sont élaborées en Espagne… et linguistiquement parlant, ce n’est pas l’idéal. Au ministère de l’Education nationale, signataire des accords de coopération avec Optenet lui ouvrant toute grande la porte des établissements scolaires, c’est carrément le malaise.

Optenet, chapelle de l’Opus Dei

Par Catherine MAUSSION

Optenet, créé en 1997, s’appelait avant Edunet. Son siège est à San Sebastián. Elle emploie aujourd’hui «130 professionnels» et possède des antennes en Europe, au Brésil, au Mexique et aux USA. En France, Optenet Center compte parmi ses membres fondateurs Alberto Navarro Mas, gérant de la SARL. Il pilote le bureau d’Optenet à Paris. C’est aussi le gérant des éditions Le Laurier, spécialisées dans les publications de l’Opus Dei, et sise au 19, rue Jean-Nicot, à Paris. Cette ruelle du VIIe arrondissement abrite au numéro 6 le centre Garnelles, le plus fréquenté des treize lieux de rencontre gérés par l’Opus Dei à Paris. C’est à cette adresse qu’est domicilié professionnellement Alberto Navarro Mas. C’est là aussi qu’est domiciliée l’Acut (Association de culture universitaire et technique), considérée comme un des satellites de l’Opus Dei.