Au Canada…Les jeunes filles de 15 et 16 ans adeptes de l’Église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours, installée depuis 50 ans dans le petit village de Bountiful, en Colombie-Britannique, éprouvent une jouissance extrême lorsqu’elles sont choisies pour être l’une des épouses d’un de leurs coreligionnaires âgés de 50 ans. Lorsqu’elles prononcent le traditionnel «Oui, je le veux», elles le font librement, sans contrainte aucune et en toute conscience. Pour toutes ces raisons, le ministère de la Justice ne devrait pas tenter de poursuivre les hommes qui ont épousé ces adolescentes.

Voilà, en substance, la conclusion à laquelle est arrivé l’avocat de la défense Richard Peck dans le rapport qu’il a soumis au procureur général de la Colombie-Britannique. Ce dernier, se rangeant derrière ce splendide argumentaire, ne poursuivra pas la secte polygame. Il ne fera aucune démarche judiciaire, sauf peut-être celle de soumettre la question de la polygamie à la Cour suprême du Canada, même s’il croit que la loi canadienne interdisant la polygamie est valide.

Afin de justifier les conclusions de son rapport d’expertise, M. Peck a déclaré avoir été étonné de constater le nombre élevé de jeunes filles ayant déclaré à la police qu’elles considéraient être victimes, non pas de la secte, mais des autorités policières. Elles veulent avoir des relations sexuelles avec les hommes âgés, affirme cet éminent juriste.

À l’évidence, l’argument de la liberté de choix a prédominé dans l’esprit de cet avocat. Pour lui, les jeunes filles ont, en toute liberté et sans menaces de représailles, accepté d’épouser un homme deux ou trois fois plus âgé qu’elles et qui, par-dessus le marché, est déjà l’époux d’une ou de plusieurs autres femmes. Peck est persuadé que, devant un juge canadien, la poursuite n’aurait aucune crédibilité si elle avançait que les jeunes filles sont des victimes car celles-ci affirment le contraire et rêvent toutes de se retrouver dans le lit avec leur quinquagénaire chéri et adoré.

{{Un témoignage troublant}}

Toutefois, au-delà de ces arguments quasi lubriques, la vraie — et la seule — question valide dans ce dossier, au coeur duquel se retrouvent des jeunes filles isolées du reste de la société, est celle-ci: est-ce que ces jeunes vierges offertes aux adeptes masculins comme des trophées de chasse ont le droit de dire non à ce genre de mariage sans pour autant être victimes d’ostracisme ou, pis, être exclues de la seule Église qui, pour elles, enseigne la vérité qui les conduira directement au «paradis»?

Ironie du sort, la veille où cet hurluberlu d’avocat rendait publiques ses incroyables divagations, CNN diffusait un témoignage fort troublant de Kathy Jo Nicholson, ancienne adepte de cette secte qui se partage entre les États-Unis et le Canada. Dans cette tranche de vie d’une femme américaine se trouve sans doute la réponse à la fameuse question, à laquelle notre brillant avocat n’a manifestement pas songé.

Dans son reportage, la journaliste Amanda Townsend rapporte que Mme Nicholson a eu peur en voyant à la télévision le leader de la secte polygame, Warren Jeffs. Ce dernier est poursuivi par la justice américaine pour inceste et agressions sexuelles sur des mineures.

L’ancienne adepte raconte que, lorsqu’elle a eu 14 ans, Warren Jeffs a commencé à lui indiquer qu’il espérait se marier avec elle. Cependant, constatant le comportement violent du leader envers les enfants et sa tendance à les humilier, Kathy Jo a commencé à douter des principes religieux de la secte, qui force les jeunes filles à se marier à des polygames suffisamment âgés pour être leur père.

Adoptant un comportement non conforme aux règles en vigueur dans la secte, elle fut rapidement mise au pas. Un jour, se rappelle-t-elle, Warren Jeffs lui a pris la gorge et lui a susurré à l’oreille: «Est-ce que tu va être gentille ou as-tu besoin d’être punie?» Après s’être fait prendre à passer une note à un garçon dans l’école gérée par la secte, elle en fut exclue. On l’obligea à travailler dans une usine appartenant à la secte. Là se retrouvaient les jeunes ayant été mis à la porte de l’école.

{{
Menace de mort spirituelle}}

À 18 ans, elle épouse un jeune homme, adepte du groupe tout comme elle. Son mariage n’a pas été accepté par la communauté sectaire, ni par ses parents, puisque celui-ci a été contracté en dehors de la secte et devant un juge de la paix. Elle et son mari furent excommuniés. Quelques années plus tard, elle réussit à convaincre sa famille de donner la permission à son frère de venir vivre avec elle. Plus tard, ce fut au tour de sa mère de venir vivre avec elle. Sa mère n’est pas retournée auprès de son mari et de la secte.

Des témoignages comme celui de Mme Nicholson pullulent sur Internet et dans les autres médias. Il suffit de quelques secondes pour se faire une idée assez fidèle de la réalité sectaire de cette Église. Évidemment, un avocat ne peut se fier à ces témoignages. Il doit rencontrer les membres du groupe incriminé et les interroger. C’est ce qu’a réalisé Me Peck. Cependant, la conclusion qu’il a tirée de ses rencontres avec les victimes prouve qu’il ne comprend absolument rien à la dynamique sectaire. En suivant aveuglément les recommandations de ce dernier, le procureur général de la Colombie-Britannique manifeste également une ignorance totale de la réalité à l’intérieure d’une secte.

Il serait trop long d’expliquer en détails la vie des adeptes d’une secte. Notons cependant que ceux-ci — et cela est tout particulièrement vrai pour les membres qui sont nés à l’intérieur du groupe — éprouvent une très grande peur à l’idée de quitter leur mouvement. Cela s’explique par les enseignements reçus des responsables de la secte. Ceux-ci convergent tous vers un même cul-de-sac: en dehors de la secte, point de salut. À ceux et à celles qui osent retourner vers la société corrompue est réservé un sort abominable: l’exclusion du «paradis»!

Aux oreilles des adeptes, cette seule perspective équivaut ni plus ni moins qu’à une menace de mort éternelle. À cette menace vient s’ajouter celle de perdre à jamais le contact avec les proches demeurés dans la secte. Devant de telles menaces, qui oserait défier l’ordre établi? Voilà pourquoi les jeunes victimes de la secte polygame ont toutes déclaré être parfaitement d’accord avec la règle qui les oblige à épouser un homme qui possède (et c’est bien de cela qu’il s’agit ici… ) plusieurs femmes. Même si certaines d’entre elles le pensent vraiment, cela ne change rien à cette réalité.

{{Il faut défier les sectes}}

Lorsque vient le temps de poursuivre les responsables d’une secte, cette loi du silence doit être brisée. Pour y arriver, il faut d’abord gagner petit à petit la confiance des adeptes. Cela n’est pas une mince entreprise, loin de là! Cependant, le cas des baptistes de Windsor dans les années 1980 prouve qu’il est possible, avec un minimum de volonté politique, de convaincre des adeptes de témoigner contre leur leader. Pour permettre la poursuite du gourou de la secte, sise à Windsor près de Sherbrooke, la Couronne avait donné l’immunité aux parents qui avaient battu leurs enfants sur ordre de leur chef religieux. Ce dernier fut condamné le 15 mars 1990 à trente jours d’emprisonnement…

Certes, il ne s’agit pas ici de proposer la même solution (quoique, en y réfléchissant bien, elle pourrait permettre de se concentrer sur les véritables responsables de la secte polygame… ) mais plutôt de plaider pour une solution imaginative qui tiendrait compte des besoins élémentaires des enfants. D’ailleurs, ces derniers ne semblent pas peser bien lourd dans la balance judiciaire.

Faire fi d’une telle recherche de solutions et préférer remettre le dossier entre les mains des juges de la Cour suprême ne fait que repousser le problème. En effet, même si le plus haut tribunal du pays en venait à la décision que la polygamie est bel et bien une pratique illégale, il faudrait quand même intervenir au sein de l’Église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Le problème se posera avec encore plus d’acuité si les sages de la Cour suprême en viennent à considérer inconstitutionnelle la loi qui interdit la polygamie au Canada.

Voilà pourquoi il faut que les autorités canadiennes aient le courage de défier les sectes qui mettent en péril la dignité et l’intégrité de citoyens, en particulier lorsque ceux-ci sont des enfants. À ce chapitre, il serait bon que le procureur général de la Colombie-Britannique médite cette citation du procureur Paul Crépeau au sujet de l’affaire opposant la Couronne à l’Église baptiste de Windsor: «L’État ne se mêlera jamais des convictions religieuses des gens, mais il ne laissera jamais des enfants subir des sévices au nom de qui que ce soit… »

Yves Casgrain, Consultant en mouvements sectaires et animateur du blogue «L’anti-sectaire» (http://lantisectaire.spaces.live.com)