Enseignant à l’université de Douala, il essaye d’expliquer ces phénomènes dont il a souvent été témoin dans les rues de la capitale économique.
Qu’est qui peut amener un être humain normal à se déshabiller et marcher nu en ville?
Ce qui peut amener une femme à marcher nue dans la ville, c ‘est tout simplement que nous sommes dans une société dans laquelle la culture de l’argent l’emporte sur toutes les valeurs que l’on puisse rechercher dans une société normale. On a poussé le vice dans le pays à un tel point que les uns et les autres recherchent, par tous les moyens, les occasions qui permettront d’avoir de l’argent. Qu’importe le prix à payer. Souvent, le prix à payer dépasse l’imagination et les Camerounais sont près à ne reculer devant rien, pourvu qu’au bout du compte, ils puissent avoir de l’argent, pour donner, dans leur entourage, l’impression d’être sortis de la misère. La philosophie des Camerounais est que la fin justifie les moyens.
Je dois dire que je n’en ai pas seulement entendu parler. Parfois, j’ai été dans les transports publics et collectifs dont les taxis, et j’ai pu entendre des Camerounais jeunes et moins jeunes s’en plaindre. Il nous est arrivé de voir une femme, précisément dans la rue, au niveau de la salle des fêtes d’Akwa, se déshabiller et s’approcher d’un malade mental pour avoir des rapports sexuels avec ce malade mental. Je dois dire qu’heureusement pour la société, ce malade mental a repoussé les avances de cette femme. Une autre fois, c’était une autre jeune femme qui, descendue d’une grosse cylindrée au niveau du marché d’Akwa nord, s’est mise toute nue. On ne sait pour quelle raison. La population, menaçante, a accouru vers elle. Elle est remontée dans la voiture. La réaction des gens, dans les taxis, n’était pas d’émotion forte et ne pouvait témoigner d’une indignation. La surprise était tout simplement banale.
On en est arrivé à un grand niveau de recherche de la facilité. On souffre tellement que certains ont trouvé, par ces moyens, l’occasion de s’en sortir. Il s’agit d’une démission de la population. Parce que c’est dans l’effort et le travail que les sociétés se construisent et non dans la facilité. On veut de l’argent ; mais, on ne veut pas passer par les moyens qui conviennent pour pouvoir acquérir cet argent. La culture est celle de la facilité, qui remplace celle de l’effort.
Avez-vous une idée des organisations promotrices de ces pratiques ?
Cette question dépasse le cadre de la sociologie pour atteindre celui de la spiritualité. Au plan spirituel, il y a une ligne de démarcation entre le bien et le mal. En général, quand on a lu les écritures, on se rend compte que la voie du bien est décrite comme une porte étroite. Le chemin qui se trouve derrière est étroit et très peu l’empruntent. La voie du mal se situe derrière une porte large. Plusieurs l’empruntent. Cette voie accueille très facilement ceux qui ne veulent pas faire des efforts, ceux qui s’impatientent. Elle donne l’impression de nous apporter la satisfaction tout de suite. Et c’est souvent accompagné de conditionnalités dont on n’est pas conscient au moment où on emprunte cette voie.
Vous voyez des gens qui vont par exemple à l’église, qui sont croyants et dont on se moque parce que depuis qu’ils prétendent croire en Dieu, ils ont une vie médiocre. Il y en a qui font le choix d’aller vers les sectes où on leur propose tout. Avec bien sûr le prix à payer. Ce genre de pratiques passe nécessairement par un avilissement de l’homme. Soit, on vous demande d’avoir des rapports contre-nature, l’homosexualité par exemple. A un ou une autre, il sera proposé des rapports avec un malade mental dans la rue. Vous aurez de l’argent, mais en retour, vous payerez d’une manière ou d’une autre de votre vie.
Face à tout ceci, quels conseils prodiguez-vous à la société camerounaise en général ?
Même si le Cameroun c’est le Cameroun, le Cameroun n’est pas un pays qui ne peut faire comme les autres. Prenons l’exemple des Français et de son nouveau président qui a coutume de dire, depuis sa campagne électorale que : “ Ecoutez, nos voisins font mieux que nous. Il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas êtres capables de travailler. On a décidé chez nous de travailler 35 heures alors que partout ailleurs, cet exemple n’a jamais été retenu. ” J’ai pour habitude de penser que c’est par le travail que l’on construit une société, que la voie de la facilité a toujours conduit vers la perdition tôt ou tard. Il ne faut privilégier comme valeurs, que des valeurs morales positives.
La voie de la facilité ne participe pas de ces valeurs positives. Patience, courage, persévérance, abnégation, goût de l’effort : voilà ce qui mène à la réussite, même si cela prend du temps. Les Camerounais doivent apprendre à bâtir pour les générations futures. Les Camerounais n’ont pas la culture de long terme. Chaque Camerounais qui naît et est adolescent aujourd’hui ne se voit pas dans un horizon de 50 ans. Il vit toujours pour mourir. Or, il y a des fortunes qui peuvent commencer à se réaliser à la quarantaine. J’ai entendu un jeune Camerounais dire, si à 45 ans au plus tard je n’ai pas une maison… C’est un étudiant d’université en master qui le disait. Il a, je crois, 28 ans. Et il s’exprime de cette manière. Ça veut dire que déjà, dans son esprit, il a hypothéqué son avenir. Imaginons qu’à 45 ans ou qu’approchant les 45 ans, il ne voit pas les raisons objectives qui pourraient justifier que dans 5 ans il puisse réaliser son rêve, alors il va succomber à la tentation de la facilité.
Par Entretien mené par Honoré FOIMOUKOM
Le 05-10-2007